L’ombre du Getty Museum plane sur Los Angeles

Maître d’œuvre de l’installation du Getty Museum sur la colline de Brentwood, John Walsh vient de quitter l’institution pour laisser sa place à Deborah Gribbon. La passation de pouvoir intervient à une période charnière pour le musée qui entend aujourd’hui poursuivre sa croissance au-delà de ses murs.

Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2000 - 1120 mots

Après l’ouverture en 1997 de son nouveau bâtiment sur les collines de Brentwood, le John Paul Getty Museum s’est fait remarquer par sa discrétion. Ses acquisitions récentes ont rarement fait les gros titres de la presse et plusieurs de ses succursales ont fermé discrètement. Fort de sa capacité financière et d’une nouvelle directrice, Deborah Gribbon, le musée semble aujourd’hui se réveiller et mène simultanément la réouverture de sa villa à Malibu, l’extension de ses collections, et des actions hors les murs.

LOS ANGELES (de notre correspondant) - À Brentwood, les visiteurs continuent d’affluer en masse. Le monument de Richard Meier a amené le Norton Simon Museum, de l’autre côté de la ville, à restaurer ses locaux, et le Los Angeles County Museum, à mener, pour le meilleur ou pour le pire, une programmation blockbuster. Dans une ville où ils n’intéressent personne, les musées sont devenus des attractions pour touristes, aussi incontournables que la visite d’Universal Studio. “C’est une explosion”, s’enthousiasme Barry Munitz, président du Getty. En poste depuis trois ans, ce dernier estime que le Getty peut façonner la vie culturelle de Los Angeles. L’institution a ainsi lancé le programme, “Preserve LA” (protéger Los Angeles), pour étudier l’architecture de Los Angeles et identifier les sites nécessitant des travaux de restauration. Des fonds ont aussi été alloués à différents musées de la région. Dans ce cadre, le Los Angeles County Museum s’est vu octroyer un prix de 350 000 dollars pour la numérisation de ses collections. “Nous ne visons pas un impérialisme culturel, mais je veux que le Getty apporte une contribution encore plus importante à Los Angeles”, explique la nouvelle directrice du Getty, Deborah Gribbon qui succède à John Walsh (lire notre entretien). Cette contribution pourrait aussi se matérialiser par un espace d’exposition dans le centre-ville, l’extension de son site actuel et des collaborations plus poussées avec d’autres musées et institutions. Pour exemple, le Getty vient de financer une exposition consacrée à Sigmund Freud au Skirball Center, institution culturelle juive avec laquelle il partage son flanc de colline.

Avec la rénovation (fin des travaux prévue pour 2003) de sa villa romaine à Malibu, le Getty aura bientôt deux grands temples à touristes dans la cité des anges. Le musée et l’enrichissement des collections restent la grande priorité du trust. “Nous nous sommes réellement engagés dans l’extension de la collection et allons poursuivre sans relâche”, rassure Barry Munitz. “Notre réussite, quels que soient les domaines concernés, dépend essentiellement de notre politique d’acquisition. Il est évident que John Walsh a bénéficié du soutien du conseil d’administration et qu’il a obtenu des résultats remarquables au cours d’une période relativement courte. Mais après l’ouverture du Getty Center de Brentwood, le conseil d’administration aurait pu décider que le bâtiment était terminé et que les collections pouvaient en rester là. Il n’en fut rien”, explique Deborah Gribbon. “Je ne resterais pas au Getty si je n’étais pas investie de ce genre de mission”, ajoute cette dernière. Barry Munitz confirme d’ailleurs, que sans cette garantie, Deborah Gribbon aurait certainement quitté l’institution. “D’autres institutions voulaient la recruter, il a bien fallu que nous pensions à nous réveiller.”

Puissance financière
Quel que soit le directeur, l’excellente santé des valeurs boursières investies par le Getty assure sa position. “Pour le dernier trimestre, la dotation est à son point culminant et ce malgré les travaux de construction et les acquisitions”, triomphe Barry Munitz qui estime, en tenant compte de l’instabilité des marchés financiers, la dotation du trust à près de 6 milliards de dollars. “Grâce à ces liquidités, nous pouvons agir rapidement, et même improviser de temps en temps afin de tirer le meilleur parti d’une situation imprévue”, se félicite la nouvelle directrice. Au cours de ces cinq prochaines années, elle projette d’acquérir davantage de “stars”, autant d’œuvres majeures associées à l’image du musée. La plus grande acquisition pour l’année écoulée est Femme italienne, une toile de Cézanne. Le musée a aussi réalisé une grande avancée en enrichissant sa collection de dessins du XIXe siècle, avec des œuvres de Seurat et de Courbet. Mais l’un des achats les plus commentés du Getty reste la Crucifixion du Greco, en juin dernier, pour un prix record de 5,8 millions de dollars (environ 44 millions de francs). Pendant indispensable de sa collection de mobilier, les peintures du XVIIIe siècle se placent également dans les priorités du musée.

Unique secteur de la collection pour lequel le musée acquiert des œuvres du XXe siècle, le fonds photographique est lui aussi concerné par cette politique. Mais, dans le domaine contemporain, Deborah Gribbon espère que le Getty continuera d’encourager l’aménagement de sites par des artistes. Figurent pour l’instant un jardin signé du sculpteur Robert Irwin et des créations in situ d’Andy Goldsworthy, Alexis Smith, Ed Ruscha et Martin Puryear. Le Getty Research Institute prévoit, lui, de rendre ses collections d’art moderne plus accessibles. Les œuvres contemporaines pourraient même faire leur entrée au Getty. “Je pense que notre programme d’expositions temporaires va nous permettre d’explorer divers domaines qui ne font pas partie de notre collection”, poursuit Deborah Gribbon.

Quelques nuages
Mais les expositions temporaires sont loin d’être la priorité du musée. La plupart des conservateurs du Getty ont choisi d’y travailler pour pouvoir acheter des œuvres d’art. Entretenant un flou artistique, Deborah Gribbon laisse pourtant entendre qu’elle prévoit des expositions temporaires et “provocantes, qui pousseront les gens à s’arrêter et à s’interroger sur ce que nous faisons, sur ce qu’ils considèrent comme étant de l’art…  Allons-nous, pour ce faire, exposer des motos et des chaussures de sport ? Certainement pas”. Ironie facile pour un musée qui se voit dans l’obligation de réguler les entrées face à son succès et a décidé de poursuivre sa politique d’accès gratuit.

Quelques ombres viennent tout de même obscurcir le ciel de Californie. Citons une procédure engagée par les habitants de Malibu qui se plaignent du bruit, de la lumière et de la circulation, consécutifs à l’expansion de la villa et une plainte déposée par Nicholas Turner. Ancien conservateur du département des dessins du Getty, il accuse le musée de fraude et de conspiration et revient sur les termes d’un arrangement à l’amiable qui avait clos un procès engagé en 1997. Il avait porté plainte pour harcèlement sexuel à l’encontre d’une secrétaire avec laquelle il avait rompu et qui le poursuivait et accusé le Getty de publier un catalogue de dessins comprenant des dessins du XVe siècle et du XVIe siècle. Achetés par le musée au début des années quatre-vingt-dix, ils seraient l’œuvre du faussaire Eric Hebborn. Plus gravement, le Getty a annoncé que 250 de ses 425 tableaux sont d’une provenance incertaine pour la période relative à la Deuxième Guerre mondiale. Des recherches sont en cours, et le Getty a été félicité pour sa collaboration.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°111 du 22 septembre 2000, avec le titre suivant : L’ombre du Getty Museum plane sur Los Angeles

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