Les squats d’artistes se multiplient

Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2000 - 662 mots

Si l’on considère le nombre croissant de propriétés et de friches industrielles laissées aujourd’hui vacantes, le phénomène des squats a encore de beaux jours devant lui. Les squats artistiques se multiplient, aussi bien en province que dans la capitale. À Paris, bien sûr, le mouvement fait tache d’huile : la fermeture de l’un engendre immanquablement la création d’au moins trois nouvelles entités. L’expulsion en septembre 1999 du groupe de « La Bourse », installé en face du Palais Brongniart, a entraîné l’ouverture de l’annexe « Matignon », ainsi que la naissance de deux autres « filiales », respectivement rue de Rivoli et rue La Boétie.

PARIS - Réunis sous le vocable de “Groupe Matignon”, neuf plasticiens occupent illégalement depuis le 1er novembre un immeuble du VIIIe arrondissement. Au numéro 35 de l’avenue Matignon, face à la galerie Jérôme de Noirmont et à quelques mètres du nouveau siège de Christie’s, ce bâtiment de trois étages, inoccupé depuis plus de cinq ans, a été, depuis l’arrivée des squatters, transformé en ateliers et en galerie. Pour Pierre Manguin, un des membres du groupe, la pénurie d’ateliers constitue la raison majeure de leur action, mais pas la seule : “Travailler dans des lieux destinés à être détruits nous confère une liberté d’expression totale. Aucun espace d’exposition traditionnel ne nous offrirait de telles possibilités”.

La société immobilière Volney Invest, propriétaire de l’immeuble, a engagé une action en justice afin d’obtenir la restitution de ses locaux. Celle-ci pourrait être imminente, car la décision judiciaire d’expulsion a été fixée au 26 décembre 1999. Mais ce nouveau bras de fer avec la justice ne paraît pas effrayer le “Groupe Matignon”. La plupart de ses membres ont participé à l’aventure de “La Bourse”, et l’expérience acquise lors de leurs précédentes résidences illicites leur permet aujourd’hui de se mesurer plus sereinement aux autorités judiciaires, et de sortir de la clandestinité qui fut le lot commun des premières équipes de squatters. En effet, Pierre Manguin estime que leur image est en train de changer : “Notre mouvement n’est plus underground, il sort de l’anonymat. Nous voulons désormais nous focaliser sur la production artistique en proposant plus d’expositions et plus de performances, en organisant aussi des portes ouvertes afin que les visiteurs puissent découvrir l’essence même de notre travail et ce qui est inhérent à la vie dans le squat : une démarche collective. Nous sommes passés de la rubrique “faits divers” à la rubrique “faits de société”. Maintenant, il nous reste à atteindre le fait culturel ; c’est sans doute ce qui sera le plus difficile”. Cette nouvelle génération d’artistes n’envisage donc plus l’illégalité comme une fin en soi, mais comme un moyen de pression auprès des politiques. Leur ambition est de se voir attribuer par le ministère de la Culture un vaste complexe d’ateliers au centre de la capitale, et non en périphérie. Les riverains sont pour la plupart moins enthousiastes à cette idée.

À Grenoble, le Brise-Glace
En province, les artistes du “Brise-Glace” se battent également pour la survie de leur squat et espèrent, de la même manière qu’à Paris, une intervention favorable des pouvoirs publics. Installée à Grenoble dans la friche industrielle de Bouchayer-Viallet, cette structure résiste depuis 1995 aux menaces d’expulsion. La présence de ce lieu expérimental comprenant une quinzaine d’ateliers était jusqu’à présent relativement bien tolérée par les élus locaux. En cinq ans, les artistes se sont constitués en association loi de 1901 et ont lancé de nombreux projets culturels, procurant à Grenoble l’aura d’une ville “branchée”. Mais l’existence du “Brise-Glace” est aujourd’hui remise en cause par le propriétaire du bâtiment, la société GEC-Alsthom, qui souhaite le vendre. Le collectif de créateurs (plasticiens, musiciens, comédiens…) qui vit dans ces lieux se considère comme un interlocuteur incontournable, et revendique à ce titre le droit d’être associé aux négociations de transformation de la friche. Le développement endémique des squats d’artistes et leur mise en réseau révéleraient donc un engagement accru des artistes dans la vie politique et sociale de la cité.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°97 du 21 janvier 2000, avec le titre suivant : Les squats d’artistes se multiplient

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