Les six travaux de l’Ermitage

Le musée cherche à réunir plus de 900 millions de francs

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 1 mai 1996 - 1144 mots

Pour la première fois de son histoire, le Musée de l’Ermitage publiera prochainement son bilan financier dans un rapport d’activité. Des restrictions budgétaires drastiques et une chute spectaculaire de sa fréquentation ont conduit le musée à se lancer dans une vaste collecte de fonds, qui a pour objectif de réunir l’équivalent de plus de 900 millions de francs. Cette somme sera affectée à six projets de rénovation et d’extension qui permettront un jour à l’Ermitage de présenter 20 % de ses collections permanentes, contre 5 % actuellement.

SAINT-PÉTERSBOURG - Le rapport d’activité 1995 de l’Ermitage, dont notre partenaire éditorial The Art Newspaper a pu avoir connaissance avant sa prochaine publication, fait apparaître que le musée a reçu de la Fédération de Russie l’équivalent de 65 millions de francs, soit beaucoup moins que les 100 millions promis par le gouvernement avant les restrictions budgétaires, auxquels s’ajoute l’équivalent de 10 millions de francs de ressources propres, provenant pour l’essentiel de la vente des billets d’entrée. Cette année, les subventions gouvernementales pourraient être réduites encore plus sévèrement et ne couvrir que les traitements des fonctionnaires.

Par ailleurs, l’Ermitage, qui ac­cueillait plus de 3 millions de visiteurs par an au cours des années quatre-vingt, n’a enregistré en 1995 que 1 983 000 entrées (1 690 000 visiteurs de Russie et de l’ex-URSS et 293 000 étrangers). Selon Mikhaïl Piotrovsky, son directeur, cette baisse significative de la fréquentation du musée est à mettre largement sur le compte de la situation politique et économique en Russie. Il reconnaît toutefois que l’Ermitage ne pourrait actuellement faire face à un comparable afflux de visiteurs, du moins tant que ses aménagements n’auront pas été achevés.

Les responsables du musée n’ont pas abandonné leur objectif d’exposer à terme 20 % des 3 millions d’œuvres que possède l’Ermitage, dont 5 % seulement sont aujourd’hui visibles. Dans ce but, ils comptent mener leur action sur six fronts à la fois : achèvement des nouvelles réserves, réaménagement du Petit Ermitage, création d’une nouvelle entrée, assainissement des sous-sols, restauration du portique des Atlantes et création d’un nouveau musée des art décoratifs.

Commencée il y a cinq ans, la construction de nouvelles ré­serves, dans la banlieue nord-ouest de Saint-Pétersbourg, a été interrompue lorsque les fonds ont commencé à manquer : l’équivalent de 175 millions de francs serait nécessaire à l’achèvement et à l’équipement du bâtiment. Une fois terminées, ces réserves pourraient être ouvertes non seulement aux spécialistes, mais également à certains groupes de visiteurs.

Une nouvelle entrée sur la place du palais d’Hiver
Le réaménagement du Petit Ermitage – édifié entre 1764 et 1767 par Vallin de la Mothe, à la demande de Catherine II – est directement lié à l’aboutissement du projet précédent. Il faudra en effet fermer les réserves et les ateliers installés dans les vieilles écuries du rez-de-chaussée pour pouvoir convertir cet espace en deux vastes salles d’expositions temporaires. Le jardin suspendu, au niveau supérieur, serait restauré dans sa splendeur originelle et ouvert au public. La création d’un toit translucide et amovible, qui permettrait de transformer le lieu en jardin de sculptures, est à l’étude. L’ensemble de ces travaux est évalué à l’équivalent de 150 millions de francs.

L’entrée de l’Ermitage se fait actuellement par le quai du Palais, le long de la Neva. La circulation y étant assez dense, l’endroit n’est guère agréable pour les visiteurs, et les gaz d’échappement s’infiltrent à l’intérieur du musée. Il a donc été décidé de créer une nouvelle entrée sur la place du palais d’Hiver, dont la construction devrait coûter l’équivalent de 67,5 millions de francs.

À l’extérieur, les travaux les plus urgents concernent le portique des Atlantes. Les dix grands Atlantes en granit qui supportent le porche sont particulièrement endommagés, et leur restauration est évaluée à l’équivalent de 50 millions de francs. Des interventions sont également nécessaires dans les sous-sols du Vieil et du Nouvel Ermitage, afin de traiter d’urgence les problèmes d’humidité engendrés par la proximité du fleuve. Estimés à 75 millions de francs environ, ces travaux ingrats, mais absolument indispensables pour empêcher l’humidité de remonter dans les murs, auront du mal à attirer d’éventuels mécènes.

Cependant, le projet le plus coûteux concerne le palais du Grand état-major – bâtiment circulaire édifié sur les plans de Carlo Rossi entre 1820 et 1845 – qui fait face au palais d’Hiver et à la colonne Alexandre. Naguère occupé par des bureaux des ministères des Affaires étrangères et des Finances, la moitié du bâtiment a été donnée depuis à l’Ermitage, et Mikhaïl Piotrovsky a l’ambition d’y installer un vaste musée des arts décoratifs, dont la première tranche de travaux est évaluée à l’équivalent de 390 millions de francs.

Création d’un département du Développement
Le coût total de ces six projets s’élève à une somme équivalente à plus de 900 millions de francs, mais compte tenu des difficultés à trouver de l’argent en Russie, seuls trois d’entre eux ont des chances d’aboutir, une fois achevé le nouvel édifice abritant les réserves : les travaux du Petit Ermitage, la nouvelle entrée et l’assainissement des sous-sols. De plus, des financements devront également être obtenus pour la rénovation du système de sécurité, l’éclairage, le matériel informatique, la conservation, le département du marketing et la formation du personnel.

La collecte des fonds a été confiée à Anatoly Soldatenko, directeur du nouveau département du Déve­loppement du musée, épaulé par l’Unesco qui a délégué l’expert américain Stuart Gibson pour en assurer la coordination. Le conseil international consultatif du musée réunit, entre autres, Irène Bizot (Réunion des musées nationaux), Neil MacGregor (National Gallery, Londres), J. Carter Brown (National Gallery, Washington) et Edmund Pillsbury (Kimbell Art Museum, Fort Worth). Déjà, Coca-Cola a pris à sa charge la conservation des peintures a tempera, la Kimbell Art Foundation s’occupe de la présentation des œuvres et de leurs cartels, l’Académie royale suédoise finance une exposition sur la Suède et la Russie du XVIIIe siècle qui se tiendra en 1998, et Honeywell s’est engagé à fournir les équipements de sécurité. Au nombre des autres donateurs : le gouvernement néerlandais, Ruhrgas, la Preussischer Kulturbesitz, la Japan Foundation et Rothmans.

\"Des trésors cachés révélés II\" : Goya, Delacroix, Daumier, Cézanne, Van Gogh, Signac…

Après l’exposition, en 1995, de 74 tableaux impressionnistes et postimpressionnistes saisis en Allemagne par l’Armée rouge, l’Ermitage récidive en présentant une sélection de 39 dessins et aquarelles de Goya, Delacroix, Daumier, Cézanne, Van Gogh, Signac… Rassemblées sous le titre "Des trésors cachés révélés II", ces œuvres étaient toutes considérées comme perdues depuis la guerre. Comme pour les peintures, elles proviennent essentiellement des collections Otto Krebs (Holzdorf), Otto Gerstenberg (Berlin) et Bernhard Koehler (Berlin) [lire le JdA n° 12, mars 1995].
À propos des 74 toiles exposées l’année dernière et vues par près de 2 millions de visiteurs, Mikhaïl Piotrovsky a déclaré qu’il ne souhaitait pas les intégrer au parcours des collections permanentes, mais espérait pouvoir les exposer à nouveau d’ici quelques mois dans une salle spécifique.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Les six travaux de l’Ermitage

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