Livre

Les papiers volants de Jean-Pierre Raynaud

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2017 - 755 mots

Un petit volume compile les aphorismes, poèmes ou sentences que l’artiste, usant d’un ton désenchanté, écrit chaque jour depuis toujours, sur l’art ou la vie.

Le livre occupe une place singulière dans l’œuvre de Jean-Pierre Raynaud, et dans les bibliothèques. Dans le petit ouvrage que font paraître les Éditions Jannink sous le titre L’Art à perpétuité, l’artiste note : « Je reste à l’âge du papier, pas très loin de l’âge de pierre. » Petit livre en effet, qui répond et prolonge à sa manière les monographies importantes illustrées que l’on connaît de l’artiste, comme son Raynaud. Autoportrait (2015) publié, parmi d’autres titres, aux Éditions du Regard. Nulle image dans celui-ci, sinon celle de l’écriture elle-même puisque, à la manière d’un calepin de poche, ses pages reproduisent l’écriture manuscrite de l’artiste (une écriture « primaire et simple », dit-il lui-même). Celle d’un écolier sage, lui qui pourtant ne le fut guère, mais qui transcrit des petits poèmes, aphorismes, haïkus, sortes de phrases incisives qui parlent de l’art, de l’artiste et de la vie.

Loin donc de toute fatuité d’écrivain, Raynaud pratique l’écriture d’une manière régulière mais avec une méthode qui lui est propre. Son unité c’est la phrase, et tant mieux si cela sonne presque comme des vers, mais c’est avant tout l’écho de la parole qui s’entend là. Jean-Pierre Raynaud d’ailleurs précise au détour d’une conversation : « Je n’écris pas » – au sens où l’écrivain peut le revendiquer. Mais il ajoute : « Dans ma cuisine, j’écris une petite phrase… j’ai toujours fait cela, du reste. Et puis je l’accroche au mur, devant moi, comme ça. J’ai ces sortes de repères sous les yeux et, à un moment, il y en a une qui m’accroche et je la sors du mur. Trois bouts de mots. Je ne sais souvent plus si je l’ai notée la veille ou dix ans avant. Cela n’a aucune importance. Mais ce que les mots permettent, les œuvres ne pourraient le dire, bien qu’ayant en commun une distance, une économie, une passion aussi. » Dans la cuisine de l’artiste en effet, avec la même familiarité qu’il y aurait à y noter des listes de courses, figure tout un ensemble de paperolles, condensés de mots formant parfois à peine des phrases, dont le livre est composé.
 

Un jeu avec la mort

Et c’est bientôt le ton singulier de la pensée que ces phrases portent qui fait le prix de ces pages. Avec cette tonalité qui ne veut pas, sans doute même ne sait pas, faire tiède. « 37° la pire solution », note-t-il un peu plus loin.

On connaît le sens du contraste du sculpteur, à travers le blanc éclatant de ses carrelages ou environnements et ses rouges empruntés au système d’alarme. On connaît aussi son sens de l’échelle, de l’objet, ready-made ou choisi, ici agrandi, là ramené à la densité du bijou : ses emblématiques pots ont ainsi pris des tailles, des coloris improbables. S’il s’agit bien de sentences, elles sont à l’opposé du sentencieux, même si une forme profonde de gravité les traverse. Le jeu avec la mort est un point de départ de l’œuvre, et un horizon indépassable pour l’homme. «… Tout doit disparaître », rappelle-t-il. Mais pour peu que l’on prête une juste attention, rien de l’œuvre – de l’auteur comme du sculpteur – ne s’encombre de pathos.

La noirceur de la vision rencontre un peu de celle de Cioran, à qui Raynaud se réfère souvent, mais prend aussi une tonalité presque beckettienne (« Enfin la fin », dernière phrase du recueil), d’autant plus quand s’y adjoint le goût du mot et du jeu de mots. Ou plus précisément du witz, comme la langue allemande résume ce que le français désigne dans cette curieuse formule le « mot d’esprit ». « Les œuvres ne sont parfois pas éloignées des “basses œuvres”», lit-on. Libre au lecteur de saisir là un regard sévère sur certaines formes d’engagement artistique, celles qui assujettissent le projet à la recherche du succès. Non que le succès l’indiffère, mais Raynaud n’y voit pour lui-même que la chance, précieuse, d’avoir pu faire ce qu’il avait à faire. Si l’on devait y voir du cynisme, c’est seulement au sens des philosophes, et son retrait d’artiste n’est pas jugement, sauf peut-être quand il précise : « Puisque le monde est maintenant en accélération constante, seule chose à faire : ralentir. »

De la noirceur dans ce petit livre blanc ? De la lucidité plutôt que du pessimisme, de la révolte vitale plutôt que du désespoir : « Que chacun enchante sa prison », l’invitation s’entend d’autant mieux quand elle vient de cet artiste-là.

 

 

Jean-Pierre Raynaud, L’art à perpétuité,
2017, Éditions Jannink, Paris, collection « L’art en écrit », 48 p., 12 €, 200 € pour le tirage de tête à 280 exemplaires avec collage original signé de J.-P. Raynaud.

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°487 du 20 octobre 2017, avec le titre suivant : Les papiers volants de Jean-Pierre Raynaud

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