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MARQUES DE COLLECTIONS

Les marques de collections, une valeur ajoutée aux œuvres graphiques

Par Hélène Bonafous-Murat · Le Journal des Arts

Le 17 janvier 2019 - 1388 mots

MONDE

Le timbre ou paraphe qui est apposé sur les œuvres constitue un sceau d’authenticité pour l’amateur d’art. Il permet de témoigner d’une transmission et d’un « pedigree ». Mais ici comme ailleurs il faut se méfier des falsifications….

Souvent, les collectionneurs marquent leurs dessins et estampes d’un timbre ou d’un paraphe. Cette trace offre une validation supplémentaire et une assurance pour l’amateur d’art. Elle raconte aussi l’histoire d’une transmission de main en main et dessine un pedigree. « Les belles pièces sans aucune marque sont comme des enfants trouvés. Par contre, les belles pièces qui portent des indications de leur provenance sont comme parées de titres de noblesse. » C’est ce qu’écrivait le collectionneur et historien de l’art hollandais Frits Lugt (1884-1970), qui entreprit dès 1921 de rassembler dans une publication capitale toutes les marques de collections connues (1). On recherchera ainsi les œuvres provenant de collectionneurs auteurs de catalogues raisonnés (Delteil ou Curtis pour l’estampe, Lotz-Brissonneau pour Auguste Lepère en particulier) ou d’ensembles historiques qui dessinent une histoire du goût en Europe (Brentano-Birckenstock, Frédéric Auguste II de Saxe, les princes de Ligne ou de Fürstenberg….). Également d’amateurs passionnés tels que les frères Goncourt.

Il est en effet des collections prestigieuses. Pierre Jean Mariette (1694-1774), héritier d’une dynastie de marchands, éditeurs et graveurs, amateur érudit, possédait plus de 9 000 dessins dont un millier atterrit au Louvre, constituant le fonds Mariette. La plupart portent son chiffre imprimé « M » ou « P I M » dans un cercle. Ils se distinguent aussi par leurs montages-signatures, de la célèbre couleur « bleu Mariette ». « C’est ma marque préférée, confie l’expert en dessins Patrick de Bayser. On la rencontre parfois sur le marché et elle est toujours un gage de qualité. » Il cite encore la marque du marquis de Lagoy (1764-1829), un « L » dans un triangle, et les timbres anglais de Lord Somers, Reynolds, W. Esdaile et J. Richardson, grands accumulateurs d’œuvres remarquables.

La marque est parfois constitutive du montage (passe-partout ou support) : ainsi chez l’expert J.-B. Glomy (dont le nom est à l’origine du verbe « églomiser »), le monteur F. Masson ou le collectionneur L. Valentin dont les marques sont apposées sur le passe-partout. Les grands montages ornés de Vasari sont identifiables et précieux. Au démontage, hélas, c’est souvent la provenance qui disparaît.

Une fonction de validation

Les collections publiques marquent leurs œuvres : « Les estampes de la Bibliothèque nationale portent une petite estampille rouge ovale, explique Maxime Préaud, conservateur général honoraire à la BNF. Elle a une fonction dissuasive, servant à protéger contre le vol. » Certaines collections se défont parfois de leurs doublons et leur appliquent un timbre particulier : ainsi les cabinets des estampes de Dresde, Vienne ou Berlin, le Musée des beaux-arts de Boston, voire anciennement, dans de rares cas, la Bibliothèque nationale de France. La provenance est alors incontestable.

Il y a des timbres discrets : le minuscule cachet sec de Robert-Dumesnil sur les estampes auxquelles il consacra un important catalogue raisonné, ceux imprimés de Firmin-Didot ou de Roger Marx. À l’opposé, la grande marque de la succession Degas, rouge et imposante sur les dessins, noire sur les estampes. Entre les deux, mille variations de lettres ou de figures, parfois des marques en étoile, des plantes ou des animaux.

On trouve aussi des paraphes : Greuze fut l’un des premiers à signer au verso les planches réalisées sous ses yeux par ses graveurs attitrés, pour se prémunir contre les indélicatesses de sa propre femme qui vendait en surnombre ! Le marchand Naudet, au Louvre, signait au verso les belles estampes qui lui passaient entre les mains, y ajoutant un millésime entre 1769 et 1810. Les amoureux du dessin ancien recherchent le petit paraphe de Dezallier d’Argenville. Longtemps attribué au collectionneur Crozat, il a récemment été redonné à cet amateur du XVIIIe siècle, qui amassa objets de curiosité, dessins et estampes dans un esprit encyclopédique.

Le timbre peut aussi être celui que le graveur ou l’éditeur appose sur la feuille. George Auriol grava pour nombre de ses contemporains leur timbre rouge japonisant – pour Henri Rivière, il en réalisa douze différents ! Ainsi l’œuvre garde la trace de son créateur et arbore un sceau d’authenticité.

Le timbre aide donc à dater l’œuvre et offre une forme de validation. Le collectionneur d’estampes Sjoerd Wartena cite une gravure de Kolbe, La Vache au marécage, qu’il acquit en confiance car elle était revêtue d’un timbre « E. F. » – la marque d’un négociant allemand qui vivait à Kiel au début du XIXe siècle, donc contemporain de Kolbe, garantie d’un tirage effectué du vivant de l’artiste.

Un indice dans une enquête

Le timbre est souvent apposé à la mort de l’artiste par ses exécuteurs testamentaires. Sir Joshua Reynolds, exemple de l’amateur éclairé formé par le « Grand Tour », était un collectionneur avide. À son décès en 1792, sa marque fut apposée au recto des 1 163 dessins jugés les meilleurs et au verso de 748 autres estimés inférieurs. Elle servit de nouveau lors de la vente de 1798, où plus de 2 000 feuilles furent dispersées. Mais aujourd’hui, on recense plusieurs fausses marques Reynolds – généralement apposées sur des dessins faux ou médiocres qu’elles cherchent à « embellir ». Dès 1956, Frits Lugt établit un constat alarmant, mettant en garde les amateurs contre le travail des faussaires, « imitations plus ou moins habiles de marques existantes (surtout de ventes d’ateliers de grands artistes) ou inventions de marques de collections fictives ». On connaît ainsi un faux timbre Burty, plusieurs faux timbres Delacroix ou Millet… La base de données Lugt [lire l’encadré] décrit une fausse marque d’une « vente Corot » et évoque les milliers de faux de cet artiste qui inondent le marché.

Aujourd’hui encore, la succession du marchand H.-M. Petiet fait apposer un timbre sec à ses armes sur les gravures de Picasso provenant de sa collection, à l’origine non signées, pour les protéger des fausses signatures qui pourraient venir ultérieurement les enjoliver. « Les marques sont des indices dans une enquête, rappelle Patrick de Bayser. Un dessin de Prud’hon portant la marque de Boisfremont, son ami et exécuteur testamentaire, est a priori indubitable. »

Fétichisme et transmission

Le collectionneur est parfois fétichiste d’une marque en particulier. Pour Sjoerd Wartena, c’est celle de J. H. de Bois, marchand érudit d’Haarlem qui introduisit Redon aux Pays-Bas et guida son propre père dans l’établissement de sa collection. Celle-ci se transmet et se prolonge souvent de père en fils. Denis Calando essaie aujourd’hui de repérer tous les dessins achetés et revendus par son aïeul, l’amateur et marchand Émile Calando (1840-1898). « Dans cette entreprise, le fait que son timbre tienne dans un petit losange me facilite beaucoup la tâche. Certaines marques sont moins identifiables. » Le collectionneur Louis-Antoine Prat, dont les dessins sont souvent exposés de par le monde, s’est constitué une marque, un « P » dans un cercle, qui évoque celle du grand Mariette. Il l’appose au recto, soucieux de s’inscrire ainsi aux côtés de ses illustres prédécesseurs – parfois cependant au verso des dessins de Seurat, pour ne pas nuire à l’image. Toujours avec soin et respect. « Une bonne marque est en outre un confort supplémentaire pour l’amateur, explique-t-il. Elle est souvent reliée à un inventaire ou catalogue existant. C’est un signe d’appartenance, de passion partagée. Elle participe à la vie du dessin. »

Edmond de Goncourt désirait pour les œuvres d’art de sa collection, non pas « la froide tombe d’un musée, et le regard bête du passant indifférent », mais qu’elles soient vendues et passent après lui à « un héritier de ses goûts ». Si la marque rassure le collectionneur, elle le valorise aussi en l’inscrivant dans la chaîne historique des grands amateurs.

(1) F. Lugt, Les Marques de collections de dessins et d’estampes, 2 vol., Amsterdam et La Haye, 1921 et 1956.

La base de données Lugt  

inventaire. Le recensement des marques de collections des dessins et estampes lancé par Frits Lugt se poursuit aujourd’hui sous forme numérique, par le biais de la Fondation Custodia, sise à Paris, en partenariat avec le Musée du Louvre. La base de données est accessible gratuitement en ligne et compte à ce jour 7 500 marques (3 000 environ sont en attente). Outre celles des collectionneurs et des institutions, elle vise à inventorier les marques de marchands, d’éditeurs, d’imprimeurs, les cachets de ventes après décès, etc. Elle couvre l’Europe et les États-Unis, avec une attention plus récemment portée aux musées d’Europe de l’Est (Russie, Pologne). www.marquesdecollections.fr

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°515 du 18 janvier 2019, avec le titre suivant : Les marques de collections, Une valeur ajoutée aux œuvres graphiques

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