Les autographes font un carton

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 5 septembre 2012 - 836 mots

Discret mais très actif, le marché des autographes connaît une nette progression depuis quelques années, sans être spéculatif.

Quand mon roman sera fini, dans un an, je t’apporterai mon manuscrit complet, par curiosité. Tu verras par quelle mécanique compliquée j’arrive à faire une phrase », écrivait Flaubert à Louise Collet. La fascination éprouvée par un public croissant d’amateurs à la lecture d’un manuscrit avec ses ratures, rajouts, réécritures, tient à la fois au plaisir d’approcher les mystères de la création littéraire, mais aussi à celui de pénétrer dans l’intimité de l’auteur. Cette étrange fascination explique sans doute la bonne santé de ce marché.
C’est au XIXe siècle qu’est né le marché des autographes. En 1822, le littérateur et publiciste Villenave (1762-1846) publia le premier catalogue commercial entraînant sur ses pas une nuée de nouveaux collectionneurs dont Sainte-Beuve, Edmond de Goncourt, Alexandre Dumas et Pierre Louÿs. Les grands amateurs du XXe siècle se nomment, eux, Louis Barthou, Alfred Dupont, Sacha Guitry et Jacques Guérin suivis, plus récemment, par Henri Mondor, James et Henri de Rothschild, Robert Schuman, Daniel Sicklès et Claude Seignolle.

Ce marché réunit, aujourd’hui à Paris, une poignée d’experts spécialisés qui voisinent avec de nombreux libraires s’intéressant aussi de près aux autographes. « La réalité du marché, sa force vive est constituée par les libraires, non par les ventes publiques. Si vous rassembliez tous les catalogues publiés en une année par les libraires français, la pile ainsi constituée serait trois à cinq fois plus importante que celle des catalogues des ventes publiques », soutient le libraire Frédéric Castaing.
« Les collections ne se font pas toutes seules et les libraires ont un rôle fondamental à jouer », ajoute de son côté Jean-Claude Vrain, autre libraire bibliophile.

Les spécialités qui progressent le plus vite ? Les grands manuscrits, lettres et poèmes autographes des XIXe et XXe siècles. En tête des auteurs les plus recherchés figure Baudelaire. Un exemplaire des Fleurs du mal dédicacé à l’encre noire sur la page de faux-titre : « à Eugène Delacroix, témoignage d’une éternelle admiration, Ch. Baudelaire », s’est envolé à 603 200 euros en juin 2007 à Paris. Les poètes maudits sont eux aussi très prisés. Les autographes de Rimbaud sont parmi les plus chers. Vie courte et sulfureuse et période de création très réduite expliquent en partie sa cote exceptionnelle. Le collectionneur Pierre Leroy a déboursé en 2006 plus de 500 000 euros pour acquérir le recueil de poésies d’Une saison en enfer dédicacé à la main par Rimbaud à Verlaine. Les écrits de Verlaine, moins rares, sont plus accessibles. Ceux de Victor Hugo, très nombreux sur le marché, étaient réputés plus accessibles. Mais, une vente récente a démenti ce précepte. Une belle lettre passionnée écrite par Victor Hugo à sa « fiancée » Adèle Foucher est partie à plus de 39 000 euros en avril 2012 chez Christie’s Paris.

La valeur des autographes est avant tout fonction de la notoriété de l’auteur. Les écrivains les plus connus du XXe siècle comme Proust ou Céline sont aussi les plus chers. L’intérêt du texte autographe est lui aussi primordial... Le principe est simple : plus le contenu du document est en rapport avec l’activité du signataire, plus sa cote est élevée. Contribuent aussi à valoriser un autographe la signature, le destinataire de la lettre, le lieu et la date de celle-ci – plus ou moins déterminants dans la vie de l’auteur – et l’état de conservation de celui-ci.

Ces quelques critères expliquent qu’une belle lettre autographe évoquant les premières impressions de pilote d’Antoine de Saint-Exupéry se soit envolée à plus de 41 000 euros en mai 2012 chez Christie’s. « Mais, j’aime mon métier et que l’on y risque quelque chose… Ca me plaît tellement que ce ne soit pas un sport pour gigolos mais un métier », écrivait l’auteur de Vol de nuit.

Un marché français plus abordable
Les enchères sont encore plus soutenues aux États-Unis : 1,5 million de dollars pour 27 pages du manuscrit d’Ulysse de James Joyce en décembre 2000 et 2,4 millions de dollars pour le tapuscrit du roman de Kerouac Sur la Route, héraut de la beat generation, chez Christie’s en mai 2001.
« Les prix des autographes sont très en deçà en France des niveaux obtenus dans les pays anglo-saxons. Je pense qu’on connaîtra, un jour, une remise à niveau. Pourquoi un envoi de Dickens vaudrait-il dix fois plus cher qu’un envoi de Baudelaire ? De mon point de vue Baudelaire est un auteur plus important que Dickens », s’emporte Jean-Claude Vrain. Les autographes seraient-ils devenus un secteur spéculatif ? « Non, il y a très peu de spéculation. C’est un marché d’amateurs éclairés », insiste Patricia de Fougerolle, spécialiste senior au Département des livres et manuscrits de Christie’s Paris. Ces quelques prix de haute volée évoqués ci-dessus ne doivent pas occulter la réalité du marché. De nombreux autographes de qualité sont accessibles, auprès des libraires comme en vente publique, pour quelques centaines ou quelques milliers d’euros. Les écrits de grands écrivains français des XIXe et XXe siècles, aujourd’hui un peu négligés, restent peu onéreux. C’est le cas, par exemple, des autographes de Pierre Loti, d’Anatole France et de Jean Giraudoux pour quelques centaines d’euros. Et de « petites » lettres de Proust qui partent pour 3 000 à 7 000 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Les autographes font un carton

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