Les 100 jours de Christophe Girard

Le nouvel adjoint de la Culture à la mairie de Paris redéfinit l’offre culturelle de la capitale

Le Journal des Arts

Le 29 juin 2001 - 1287 mots

Directeur de la stratégie mode chez LVMH, et militant Vert, Christophe Girard fait partie depuis trois mois de la nouvelle équipe municipale parisienne. Adjoint chargé de la Culture, il présente les futures grandes orientations de sa politique.

Lors de la campagne des élections municipales, Bertrand Delanoë a annoncé sa volonté d’augmenter de façon substantielle le budget destiné à la culture. De quelle enveloppe disposez-vous et quelles sont les premières mesures que vous souhaitez mettre en place ?
Le budget de fonctionnement de la culture s’élevait l’an passé à 850 millions pour un budget total de 1,3 milliard de francs. Il devrait augmenter progressivement et avoir doublé au terme de la première mandature de Bertrand Delanoë. Dans l’immédiat, une partie importante de ce budget est allouée au Petit Palais, qui devait depuis longtemps bénéficier d’une nécessaire rénovation. Cela grève fortement notre enveloppe mais c’est une nécessité. Nous souhaitons, avec Sandrine Mazetier, adjointe au Patrimoine, développer et conforter le patrimoine, mais aussi agir en faveur de la création contemporaine. J’assistais, il y a quelques jours, au vernissage de l’exposition consacrée à Pierre Soulages à Saint-Pétersbourg. Cette manifestation a pu être réalisée grâce à une efficace politique d’échanges entre l’Ermitage et le Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Les grands musées internationaux disposent d’un budget d’acquisitions sans commune mesure avec celui du Musée d’art moderne de la Ville de Paris qui demeure très insuffisant. Une mise à niveau est essentielle. Cela ne concerne pas seulement le secteur des arts plastiques, puisque le Théâtre du Châtelet, par exemple, verra également ses moyens augmenter comme Bertrand Delanoë s’y était engagé. En contrepartie, les grandes institutions devront s’ouvrir plus largement au grand public, notamment aux plus jeunes. La plupart d’entre elles se sont déjà engagées dans cette voie, comme le Théâtre de la Ville et le Châtelet, mais il faut développer des actions plus soutenues. Une politique de mécénat privé plus active doit également être entreprise.

Permettant un accès privilégié aux institutions parisiennes, et offrant de nombreuses réductions sur les spectacles et les expositions, la carte culture et le chèque culture figurent parmi les principales propositions de Bertrand Delanoë. Où en sont ces projets ?
Le chèque culture ne verra pas le jour avant 2002, car il est difficile à mettre en place dans son mode de gestion et d’organisation, et il doit être efficace et juste. En ce qui concerne la carte culture, elle devrait être disponible plus rapidement. Il est toutefois nécessaire, au préalable, d’établir une harmonisation et une coordination de l’ensemble des établissements susceptibles de participer à l’opération. La plupart possèdent, en effet, des cartes de fidélité ou d’abonnement spécifiques. Cette carte ainsi que les chèques culture – destinés aux plus défavorisés – sont des outils de démocratisation d’accès à la culture. La gratuité d’entrée des musées, que nous souhaitons instaurer, fait partie de cette démarche.

Vous évoquiez précédemment les faibles budgets d’exposition de certains musées. Ne pensez-vous pas aggraver leur situation en les privant d’une partie de leur source de revenus ?
Cela doit se faire progressivement, par étape. C’est à mon sens une grande avancée démocratique pour un plus grand nombre de Parisiens et d’habitants de la région Île-de-France qui viennent travailler à Paris.

Que pensez-vous des mouvements sociaux, déclenchés par les discussions sur l’application des 35 heures, qui agitent de nombreux musées nationaux ?
Comme pour la gratuité, je pense qu’il faut en accepter le coût. On ne peut pas d’un côté demander une plus grande efficacité aux personnels, et de l’autre refuser complètement la création de nouveaux postes. Les musées sous l’égide de la Ville sont moins nombreux que ceux gérés par l’État, et je rends hommage au passage à l’action de Jean Gautier, directeur des affaires culturelles, qui veut établir un dialogue constructif avec l’ensemble des syndicats et représentants des personnels.

Quels sont les points faibles de la capitale ?
Je suis assez préoccupé par le peu de représentativité des artistes français à l’étranger : Christian Boltanski est un des rares à figurer dans le palmarès international. J’aimerais que Pierre Huyghe, Fabrice Hybert, Annette Messager, François Morellet, Jean-Michel Othoniel ou Djamel Tatah soient aussi présents que Damien Hirst, Anselm Kieffer, Jeff Koons ou Kusama. Pour atteindre cet objectif, Paris doit retrouver sa place sur la scène artistique internationale et redevenir un lieu attractif pour tous les créateurs français et étrangers.
Par ailleurs, l’offre culturelle, qui est très abondante à Paris, se concentre malheureusement dans certains quartiers : les XIIe (malgré la présence de l’Opéra-Bastille), XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements sont mal traités. J’aimerais que la culture irrigue mieux tous les quartiers de Paris. Nous soutenons donc un certain nombre de projets, comme celui du Plateau, qui s’inscrivent dans cette perspective. Ce nouvel espace implanté dans le quartier des Buttes-Chaumont sera en fait le premier centre d’art contemporain de Paris. Un nouveau projet au nom de code “Rouge et noir” est en cours d’étude : il s’agit pour l’instant d’un parking de 5 étages d’une surface totale utilisable d’environ 12 000 m2. Situé en face de la Flèche d’or, dans le XXe arrondissement, ce lieu pourrait accueillir de jeunes entreprises mais aussi des ateliers d’artistes, une salle polyvalente au rez-de-chaussée, un lieu d’échanges et de ressources pour les entreprises dédiées aux nouvelles technologies, et une bibliothèque. J’insiste à ce sujet sur notre volonté de développer le rôle des bibliothèques dans la capitale. Quant à la polémique, apparue récemment, qui m’accusait de vouloir créer une bibliothèque gay et lesbienne à la Gaîté Lyrique, qui aurait marginalisé les écrivains, elle est tout à fait ridicule et déplacée. Il ne s’agit ni d’étiqueter par leur sexualité tel ou tel auteur, ni d’établir des “fichiers”, mais d’offrir aux lecteurs, aux chercheurs et aux étudiants la possibilité de se procurer des ouvrages traitant des questions liées à l’homosexualité, comme dans toute capitale (Berlin, Londres...) civilisée et cultivée !

Comment pensez-vous remédier à la pénurie d’ateliers ?
Vingt-cinq ateliers ouvriront en septembre prochain rue Ramponeau dans le XXe arrondissement où vivaient des artistes squatters. En fait, je n’aime pas le terme de “squatter”, car les personnes qui occupent ces espaces recherchent seulement un lieu dans lequel ils puissent s’exprimer. Je souhaiterais développer ces initiatives de relogement des collectifs d’artistes. Bertrand Delanoë y est, comme moi, très attaché.

Souhaitez-vous relancer la commande publique ?
Les arts de la rue et les expressions graphiques doivent être au cœur de la ville. Les artistes ont également un rôle important à jouer, notamment au sein des écoles. Je travaille en toute complicité avec Éric Ferrand, adjoint chargé de la vie scolaire et de l’aménagement des rythmes scolaires, et avec le cabinet de Jack Lang, au développement de ce type d’initiatives.
J’aimerais beaucoup que les créateurs investissent l’Hôtel de Ville. Ce pourrait être l’occasion de sortir du goût petit-bourgeois environnant et de mettre en avant les artistes français. Des murs entiers peints par Niele Toroni ou Jean-Luc Verna, et la cour habillée par les guirlandes de Jean-Michel Othoniel, ce serait formidable.

Le futur Centre de création contemporaine du palais de Tokyo ouvrira prochainement ses portes en face du Musée d’art moderne de la Ville de Paris (Mamvp). N’existe-t-il pas un risque de concurrence directe ?
Je vais proposer au Maire que la Ville soit partie prenante dans ce projet. Il faut rendre rationnelles la vie et l’activité de ces trois lieux (Musée Galliera, Mamvp et palais de Tokyo) dans un périmètre si restreint. L’émulation entre ces différentes institutions est certes une bonne chose, mais cela peut aussi constituer parfois une perte inutile d’énergie, de talent et de moyens. Notre souhait est d’établir un dialogue avec l’État et la Région, et de coordonner nos actions. Nous pourrons ainsi réaliser d’importantes économies de fonctionnement et créer une synergie plus grande au bénéfice des Parisiens.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Les 100 jours de Christophe Girard

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