Le Who Was Who des origines

Un couturier, cinq décorateurs...et des grands magasins

Le Journal des Arts

Le 14 mai 1999 - 1495 mots

JACQUES DOUCET (Paris 1853-1929)
Héritier d’une lignée de commerçants de luxe, il est le dernier couturier de la “femme ornée “, abandonne la “tournure”, puis le corset de la Belle Époque pour le classicisme de la ligne droite, suivant de loin les caprices de la mode des années 1910-1920. Il se désintéresse progressivement de la couture et devient collectionneur : du XVIlIe siècle, vers 1875-1880 – sous l’influence des Goncourt ? –, puis de l’Orient à partir de 1906, réunissant tableaux, sculptures, meubles et objets dans le cadre somptueux de son hôtel de la rue Spontini. La retentissante vente aux enchères de cet ensemble, en 1912, est le départ d’une collection nouvelle, contemporaine et moderne, dont Manet et les impressionnistes avaient constitués les prémices. Pour sa nouvelle résidence, avenue du Bois, où il accroche dès 1913 des Degas, Cézanne, Van Gogh, puis des Matisse et des Picasso, il recherche un décor assorti par ses formes et ses couleurs : il s’adresse à Paul Iribe, Pierre Legrain, Eileen Gray. Le projet du “Studio” à Neuilly, où il n’eut pas le temps de vivre, remonte à 1924 et sera terminé peu de temps avant son décès. Le mobilier doit accompagner l’art africain, les objets d’Extrême-Orient, les artistes contemporains, Matisse, Picasso, Brancusi, Chirico, Ernst, Picabia, Zadkine..., et le chef-d’œuvre du Douanier Rousseau, La Charmeuse de serpents : ce sont des meubles d’un luxe austère, en palmier, palissandre, ébène de Macassar, dont les intérieurs sont en laque d’or et d’argent, créés par Legrain, Coard, Mergier, Rose Adler – qui fait aussi ses reliures –, des tapis dessinés par les peintres Marcoussis, Jean Lurçat, et le sculpteur Miklos. Collectionneur de livres et de manuscrits d’écrivains contemporains, il donne à l’Université sa bibliothèque d’art en 1917, sa bibliothèque littéraire à son décès en 1929.

JEAN DUNAND (1877-1942)
Formé à l’École des arts industriels de Genève, il arrive à Paris en 1896-1897, travaille chez le sculpteur Jean Dampt, aborde la dinanderie vers 1903. Il crée progressivement son répertoire formel, linéaire, utilise des patines en guise de décor de ses vases et plats en cuivre, acier, plomb, argent repoussés au marteau. Il découvre la laque en 1912, apprend auprès du Japonais Sugawara ce nouveau métier, qu’il pratique simultanément avec la dinanderie à partir de l919. Il fabrique dans son atelier de la rue Hallé des meubles, paravents, tables, sièges aux formes linéaires, dont le bois est recouvert de laques unies ou décorées, peintes, gravées, incrustées de nacre, de pierre et de coquilles d’œuf, techniques que seuls les artisans indochinois savent maîtriser. Il appartient au “Nouveau Groupe” qui expose à partir de 1921 dans les galeries Georges Petit, puis Charpentier, avec F.-L. Schmied, Paul Jouve et Jean Goulden qui lui fournissent des décors pour ses paravents, ainsi que le sculpteur Lambert-Rucki. Il réalise des panneaux laqués pour les meubles de ses collègues : Legrain, Ruhlmann, Printz, Mallet-Stevens. Son répertoire ornemental va de l’anecdote la plus familière à une géométrie stricte, en passant par des thèmes inspirés par l’art nègre. Il est à la fin des années vingt le maître incontesté du travail du laque, ce qui lui vaut des commandes prestigieuses pour l’Exposition coloniale de 1931, et surtout le paquebot Normandie lancé en 1935.

ANDRÉ GROULT (1884-1967)
Après une formation scientifique à la Sorbonne, il épouse en 1907 l’une des sœurs de Paul Poiret, Nicole, qui se consacre également à la couture. Groult abandonne le journalisme scientifique, s’intéresse à la décoration et aux antiquités avant de se consacrer à une carrière de décorateur. Il expose depuis 1910 au Salon d’Automne, à partir de 1912 avec la Société des artistes décorateurs dont il fait partie. Il s’intéresse alors au papier peint et à la toile imprimée, édite ses propres dessins et ceux d’Iribe, Drésa, Laprade, Laurencin. Avant 1914, son mobilier s’appuie sur la tradition nationale, un style néo-Louis XV provincial. Après la guerre, il dessine des meubles aux lignes arrondies, des sièges en gondole réalisés dans les bois les plus divers, parfois revêtus de galuchat, une manière personnelle d’interpréter les raffinements du XVIIIe siècle. Il collabore à plusieurs pavillons en 1925, Fontaine, Christofle et Baccarat, réalise surtout l’élégant ensemble de la “chambre de l’ambassadrice” pour la Société des artistes décoratifs.

ANDRÉ MARE (1887-1932)
Peintre, ami d’adolescence de Léger, il réunit un groupe de jeunes peintres et sculpteurs pour présenter en 1912 au Salon d’Automne “La Maison Cubiste” : derrière une façade de maison bourgeoise rehaussée de détails “cubistes” conçue par le sculpteur Raymond Duchamp-Villon, le mobilier s’inspire de la vie provinciale française. Il dessine des meubles, des tissus, des plats de reliure – Doucet songe un temps à lui confier sa bibliothèque. Il est le pionnier du “Nouveau Style” dont l’écrivain André Véra se fait le porte-parole dans un texte publié dans la revue L’Art décoratif en 1912, basé sur l’ordre et la raison que Véra trouve dans la tradition française et dans le “dernier style français que nous ayons, le style Louis-Philippe”. Véra propose comme marque du Nouveau Style la guirlande ou la corbeille de fleurs et de fruits.

HENRI RAPIN (1873-1939)
Peintre, illustrateur, il choisit la voie des arts décoratifs en 1900, tout en continuant à participer au Salon des artistes français. Il suit sans doute les cours de composition ornementale d’Eugène Grasset à l’École Guérin, subit l’influence de ses théories basées sur l’observation de la nature et son interprétation de la tradition artisanale du Moyen Âge. Il expose au Salon des artistes décorateurs à partir de 1910, des meubles “robustes et de bon goût”, abandonne progressivement le répertoire Art nouveau pour une géométrie sans raideur et un décor inscrit dans la conception structurale du meuble. Les années qui précédent la Grande Guerre sont une période de création intense, partagée entre la conception de meubles, de vitraux, de céramiques. Il entre en 1920 à la Manufacture de Sèvres, dont il assure la direction des travaux de décoration jusqu’en 1934. Il poursuit parallèlement une mission de renouvellement des formes et des décors, fait appel à des créateurs extérieurs tout en concevant lui-même des vases et des ornements. Il accepte en 1918 la direction artistique des Ateliers de jeunes filles au Musée des arts décoratifs ; il supervise leur installation rue Beethoven en 1924, organise le stand de l’École à l’Exposition de 1925 – il a parmi ses élèves Charlotte Perriand. Sa participation à l’Exposition de 1925, le grand salon d’”Une ambassade française” avec Pierre Selmersheim et la salle à manger avec Édouard Benédictus, son intervention active dans le pavillon de la Manufacture de Sèvres retiennent l’attention du prince Asaka et la princesse Nobuko qui lui commandent la décoration intérieure et l’ameublement de leur résidence moderne à Tokyo, au début des années trente.

ARMAND-ALBERT RATEAU (1882-1938)
Formé à l’École Boulle, proche de Georges Hœntschell, un ténor de l’Art  nouveau, il est directeur des ateliers de décoration de la maison Alavoine de 1905 à 1914. Il s’installe à son compte après la guerre, suit un itinéraire indépendant des salons et des groupements. Ses grandes réalisations couvrent la décennie 1920 : 1920-1922, aménagement de l’hôtel de Jeanne Lanvin, rue Barbet-de-Jouy, qui lui confie la décoration de Lanvin-Sport (1921-1922) et la direction de Lanvin-Décoration. 1920-1925 : plusieurs installations pour M. et Mme Georges Blumenthal, à Grasse, Paris, New York. 1925 : salle de bains de la duchesse d’Albe pour le palais Liria à Madrid, participation au Pavillon de l’Élégance sous la direction de Jeanne Lanvin. 1925-1926 : hôtel de la baronne Eugène de Rothschild. 1928-1929 : construction et décoration du château de la Croë, au Cap d’Antibes. 1929-1930 : installations du Docteur Thaleimer et de Mademoiselle Stern. Ses créations reflètent un goût et une connaissance de l’Orient et de l’Antiquité découverts à Naples et à Pompéi. Il utilise le chêne massif naturel, le bois peint ou doré, le métal traité à la manière antique, la laque – laques d’or, d’argent, teintées en jaune et brun. Ses thèmes se réfèrent à la faune et la flore antiques et exotiques.

Les Ateliers de création des Grands magasins parisiens
Ils sont les héritiers des galeries de “L’Art nouveau”, ouvertes à Paris en 1895 par le marchand d’art oriental Sigfried Bing, proposant à la clientèle des ensembles complets créés par des artistes et des artisans sous la responsabilité d’un directeur artistique, et de “La Maison Moderne” de Meier-Graefe. Parmi les décorateurs qui donnent des modèles pour Meier-Graefe, deux hommes jeunes, encore étudiants : Paul Follot (18771941) et Maurice Dufrêne (1876-1955) dessinent des objets de table, des luminaires dans le plus pur style Art nouveau. Le premier prend la direction de l’atelier “Pomone” au Bon Marché en 1923, le second crée “ La Maîtrise” aux Galeries Lafayette en 1921, où ils deviennent à leur tour les animateurs d’une équipe de décorateurs. Le Printemps avait ouvert la voie en 1912, en confiant “Primavera” à René Guilleré, l’ancien président de la Sad. Les magasins du Louvre ouvrent enfin le “Studium”, animé par deux jeunes décorateurs très inventifs, Étienne Kohlman et Maurice Matet. Ils ont tous leur pavillon à l’Exposition de 1925.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°83 du 14 mai 1999, avec le titre suivant : Le Who Was Who des origines

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque