Le secteur des enchères libéralisé

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2011 - 855 mots

Au printemps, les sociétés de ventes volontaires devraient pouvoir pratiquer les ventes de gré à gré. Une possibilité qui réjouit les maisons de ventes, mais inquiète les galeries d’art.

C’est quasi acté. Les sociétés de ventes volontaires pourront effectuer des ventes de gré à gré dans le cadre de leurs activités. Adoptée par le Sénat le 28 octobre 2009, la proposition de loi de libéralisation des ventes volontaires prévoit d’autoriser cette possibilité de manière encadrée, par l’obligation d’un mandat écrit précis. Le 7 décembre 2010, la commission des affaires juridiques et administratives de l’Assemblée nationale a adopté un texte modifié, en attendant une lecture en séance plénière à la fin du mois de janvier. Pour les observateurs, la loi devrait probablement être modifiée avant le printemps. « La France est le seul pays dans le monde où les maisons de ventes ne peuvent effectuer des ventes de gré à gré. C’est une anomalie qu’il faut corriger au plus vite pour augmenter notre chiffre d’affaires en France et dynamiser le marché parisien », estime Guillaume Cerutti, président de Sotheby’s France. L’interdiction est d’ailleurs incompatible avec la directive « services » de décembre 2006, dont l’article 25 précise que « les États membres veillent à ce que les prestataires ne soient pas soumis à des exigences qui les obligent à exercer exclusivement une activité spécifique ou qui limitent l’exercice conjoint ou en partenariat d’activités différentes ». Si les sociétés de ventes volontaires (SVV) réclament la possibilité de pratiquer les ventes privées, c’est que ces dernières constituent un atout majeur en période de crise, quand les vendeurs frileux aspirent à la discrétion. Ainsi ces ventes ont-elles représenté 17 % du chiffre d’affaires de Sotheby’s en 2009, mais seulement 9 % en 2010 avec le rebond de l’activité des ventes publiques (lire p. 18). 

Protéger le particulier
La perspective de cette réforme inquiète néanmoins le Comité professionnel des galeries d’art. « Les maisons de ventes vont nous prendre une grosse part de notre business. Nous ne sommes pas gênés sur le premier marché, mais nous le serons sur le second, car les auctioneers sont à l’affût des ventes de gré à gré. Un client suisse qui a essayé d’acheter en vain une œuvre aux enchères à Londres s’est vu proposer tout de suite une pièce plus ou moins identique de gré à gré », affirme Patrick Bongers, président du Comité professionnel des galeries d’art. En guise de « compensation », ce dernier demande que les maisons de ventes affichent désormais les enchères avec les frais, afin que l’acheteur sache quelle est l’addition réelle à payer. Le Syndicat national des antiquaires (SNA) juge pour sa part inutile toute agit-prop. « Le débat est pipé. Ce qu’il faut, c’est obtenir des garanties pour protéger le particulier », insiste Christian Deydier, président du SNA. Sous sa pression, un amendement présenté par le député Philippe Houillon a été soumis à la commission des lois de l’Assemblée nationale (lire le JdA no 338, 7 janvier 2011, p. 23). Celui-ci prévoit d’obliger les SVV à faire signer un document au vendeur, confirmant qu’il a bien été informé des deux procédures de ventes possibles, publiques et de gré à gré. Le SNA souhaiterait aussi qu’on impose aux SVV deux comptabilités distinctes, et que le texte de loi précise que les ventes de gré à gré ne peuvent être effectuées qu’à titre accessoire. L’acheteur doit par ailleurs être informé des délais de garantie et de prescription, distincts selon qu’on se trouve dans le cas de la vente privée ou publique. « Les antiquaires les plus intelligents savent qu’il y a une interdépendance de plus en plus forte entre les métiers. Ils savent qu’au lieu de geindre et de se replier ils doivent réfléchir à leurs propres développements », estime pour sa part Henry de Danne, délégué général du Symev (Syndicat national des maisons de ventes volontaires). La stratégie du monopole et de la forteresse est contraire à l’Europe libérale. 

Pas de bouleversement
Cette réforme ne va sans doute pas radicalement modifier le paysage et les équilibres en cours. Tout d’abord parce que Sotheby’s et Christie’s vendent déjà de gré à gré des œuvres issues de la France par l’intermédiaire de leurs filiales à Londres ou New York. Ainsi la filiale new-yorkaise de Sotheby’s a-t-elle finalisé, en 2010, la vente d’un fond d’or de Giovanni da Milano, issu d’une collection française et vendu pour 3 millions de dollars (2,2 millions d’euros) au Metropolitan Museum of Art, à New York. Même Artcurial pratique le gré à gré par le biais de la galerie de sa holding. Au mieux, cette activité sera organisée par une poignée de maisons de ventes parisiennes les plus dynamiques et structurées. « Les petites maisons de ventes n’en feront sans doute pas, car elles considèrent que cela dénaturerait leur métier. Les maisons de ventes traditionnelles n’y sont pas favorables », admet Henry de Danne. « Notre métier, c’est la vente publique. On se bat tellement pour arguer de ses vertus, qu’il est difficile de dire du jour au lendemain le contraire. Cela doit rester un épiphénomène », insiste pour sa part François Tajan, coprésident d’Artcurial.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°339 du 21 janvier 2011, avec le titre suivant : Le secteur des enchères libéralisé

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