Politique culturelle

RÉCOLEMENT

Le récolement des dépôts, enlisé en Europe de l’Est

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2025 - 628 mots

Le rapport du ministère de la Culture sur les dépôts d’œuvres en Europe de l’Est souligne les difficultés liées au contexte historique et diplomatique.

Europe de l’Est. Comme le rappelle le rapport publié en octobre 2025, l’essentiel des dépôts des grandes institutions françaises se fait dans le réseau diplomatique (ambassades, consulats, instituts français), en l’occurrence 70 % pour l’Europe de l’Est. Les pays concernés couvrent l’ancien bloc de l’Est en incluant la Fédération de Russie, une zone où les frontières et les régimes ont beaucoup changé depuis un siècle. La CRDOA mentionne en introduction « une amélioration des récolements à l’étranger » depuis quelques années, y compris en Europe de l’Est. Le récolement évoqué dans le rapport concerne le Centre national des arts plastiques (CNAP), la Manufacture nationale de Sèvres, le Mobilier national et les musées nationaux sous tutelle du ministère de la Culture. En théorie, les institutions et musées produisent chaque année un état des lieux des dépôts. En pratique, pour les dépôts à l’étranger, ce sont les ambassades qui le font : elles transmettent les rapports d’état annuels au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères qui dispose d’une mission dédiée pour les analyser. Le rapport note que contrairement au CNAP ou à Sèvres, les musées nationaux ne s’appuient pas sur les rapports d’état annuels pour leur récolement, « ne les jugeant pas suffisamment satisfaisants », alors que ces musées n’envoient plus de missions à l’étranger pour le récolement.

Flou juridique et héritage historique

Si le taux de récolement global est de 90 % en Europe de l’Est, celui des dépôts localisés est de 40 %, en raison de récolements très anciens jamais actualisés. Le rapport insiste sur deux points pour expliquer les lacunes du récolement dans cette région, le premier étant le flou juridique de la notion de dépôt. Plusieurs institutions étrangères « considèrent les dépôts comme des dons », en particulier des dépôts datant de plusieurs décennies, voire d’un siècle. Ce « problème de nomenclature » transparaît dans les termes employés par les musées, surtout lorsqu’il s’agit de dépôts réciproques : dépôts à long terme, échanges de dons, dépôts croisés. Le rapport cite l’exemple de pièces de l’ancien Musée archéologique national à la fin du XIXe siècle, déposées dans des musées européens, dans le cadre de coopérations scientifiques. Plus récemment, le Musée d’art asiatique Guimet a été confronté à ce problème, pour des dépôts dans des musées russes (Ermitage) effectués en 1935. Guimet réclame le retour de ces dépôts sans succès, car les musées russes déclarent ces pièces comme collections nationales puisqu’elles ont été inscrites en tant que « dons » à l’inventaire. Pour faciliter les relations avec les institutions étrangères, le ministère de la Culture prévoit une note-cadre sur les dépôts d’œuvres d’art.

L’autre élément qui explique les difficultés du récolement est l’histoire locale, que le rapport nomme « un contexte historique mouvementé ». De la révolution d’Octobre 1917 au démantèlement de l’URSS en 1991, certains postes diplomatiques ont fermé puis rouvert sans que le récolement soit possible entre-temps. En Lituanie, le consulat de France à Kaunas a fermé en 1940 ; une partie des œuvres en dépôt a sans doute été emportée à Vilnius à l’ambassade qui a elle aussi fermé. En 1991, l’ambassade a rouvert mais les œuvres étaient introuvables. De même au consulat de Saint-Pétersbourg (Russie), 345 biens du Mobilier national sont toujours recherchés car ils avaient été déposés en 1890 et ont sans doute été pillés en 1917. Enfin, en Pologne, plusieurs dépôts à la légation française de Varsovie sont considérés comme perdus depuis l’incendie de 1944 pendant l’insurrection. Il existe peu d’archives documentant ces pièces, donc le rapport reste pessimiste sur la possibilité de les localiser, malgré l’inscription dans les bases de données de la police et une veille sur le marché de l’art de la part des musées et institutions.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : Le récolement des dépôts, enlisé en Europe de l’Est

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