Le New York de l’Art déco

Quand Américains et Français se retrouvent

Le Journal des Arts

Le 26 mai 2000 - 873 mots

Les Américains aiment l’Art déco, et les créations de Ruhlmann, Chareau, Legrain, Frank ou Dupré-Lafon n’ont plus de secret pour eux. Les plus belles pièces de ces Français quittent l’Hexagone pour les États-Unis, où vivent quelques-uns des plus grands collectionneurs, comme Nancy Olnick et Giorgio Scanu (lire notre article pages suivantes). Deux marchands français ont donc décidé de suivre le mouvement en s’installant à New York : Christian Boutonnet et Rafael Ortiz (galerie l’Arc en Seine), en 1998, suivis un an plus tard par Bob et Cheska Vallois, qui se sont associés à Barry Friedman. Ils ont rejoint le marchand américain Anthony Delorenzo, installé de longue date, à Manhattan, sur Madison Avenue.

L’achat en 1988 du fonds du restaurateur Michael Chow, constitué de 104 œuvres signées Émile-Jacques Ruhlmannn, Eileen Gray et Jean-Michel Frank, constitue un des principaux faits d’armes d’Anthony Delorenzo. En 1988, il proposait une gamme de prix allant de 7 000 dollars, pour un cadre de Jean-Michel Frank, à 1,5 million de dollars, pour un cabinet de 1925 réalisé par Ruhlmann et Jean Dunand. Il compte aujourd’hui dans sa galerie près de trente Ruhlmann, dont plusieurs proviennent de la collection Chow, comme un grand bureau semi-circulaire en ébène de Macassar, monté sur piédroits et orné d’acier inoxydable, proposé à 1,5 million de dollars. Au cours des trois derniers mois, Anthony Delorenzo a doublé l’espace de sa galerie, à présent dotée d’une superficie de 1 220 m2. Il propose aussi, à côté des meubles de Ruhlmann et de Giacometti, des pièces de Jean Royère, dont le style intéresse de plus en plus de clients new-yorkais. Au-dessus de l’entrée est exposé un double lustre à 20 branches de lui, en bronze doré et proposé au prix de 45 000 dollars.

Mais malgré tout, ce sont les Ruhlmann qui se vendent le mieux. “J’ai lu, dans un magazine d’art français datant de 1929, qu’à l’époque le prix d’un meuble Ruhlmann était équivalent à celui d’une maison”, explique Anthony Delorenzo, “c’est toujours le cas aujourd’hui.” Ses collectionneurs ont pour la plupart au moins 45 ans, et résident essentiellement à New York, Chicago, Detroit ou en Californie. Certains d’entre eux ont fait fortune à Wall Street, mais ce ne sont pas les nouveaux riches du e-commerce. “J’ai remarqué que le mobilier n’est pas assimilé à de l’art par les professionnels de la technologie ; ils préféreront s’acheter un bateau.” Environ 5 % de ses clients réguliers sont Européens : Français, Suisses, Allemands et quelques Anglais. Il vend également à de nombreux musées, ceux de Chicago, de New York (Met) et de Boston  notamment. Les créations de Ruhlmann sont les plus demandées. “Cela s’explique par le fait que ces pièces sont très bien documentées”, explique Anthony Delorenzo. Le savoir-faire précis et minutieux, ainsi que les techniques de laque de Ruhlmann ne pourront, selon lui, jamais être copiés. Il a acheté pratiquement toute la collection Ruhlmann ayant appartenu à Altina Schinasi Miranda, artiste, designer et cinéaste (1907-1999), fille de l’inventeur turc auquel on doit la machine à rouler les cigarettes.

Certains lots ont été adjugés quatre fois le montant de leur estimation, comme cette console qu’il a acquise 170 000 dollars contre une évaluation de 40-60 000 dollars. “Je connais tous les collectionneurs, donc, lorsqu’un divorce s’annonce ou encore lorsqu’ils revendent des pièces, ils me contactent directement.” Les créations des frères Giacometti, comme les tables insolites en fer forgé avec des miniatures d’oiseaux, ont, elles aussi, beaucoup de succès. Une console aux oiseaux est proposée au prix surprenant de 750 000 dollars. “À présent, les tables de petite taille atteignent 75 à 85 000 dollars”, précise le marchand, et, selon ses dires, les prix auraient doublé au cours des trois dernières années. Cheska et Bob Vallois sont eux aussi de grands spécialistes des meubles de Ruhlmann qu’ils vendent à Paris mais aussi dans leur nouvelle galerie new-yorkaise. Associés à Barry Friedman, ils se sont installés en octobre 1999 sur Madison Avenue.”Depuis deux ans, notre clientèle se composait à 80 % d’Américains. C’est une des raisons qui nous a poussés à nous installer à Manhattan. C’est aussi l’occasion pour nous de nous mesurer avec le marché new-yorkais,” souligne Cheska Vallois. Partenaires d’un marchand de mobilier “quarante”, ils ne feront cependant que de rares incursions chez les créateurs de l’après-guerre en proposant des pièces de Dupré-Lafon et d’Alexandre Noll, comme c’est le cas en ce moment. Ils défendront pour l’essentiel les créateurs qu’ils proposent également à Paris, comme Ruhlmann, Chareau, Rateau, Legrain, Giacometti et Frank. “Notre installation à New York nous a permis de gagner de nouveaux clients, sans perdre pour autant nos collectionneurs habituels qui continuent de venir nous voir à Paris. Notre plus grande difficulté tient à l’approvisionnement de nos deux galeries.”

Les Vallois ont rejoint Christian Boutonnet et Rafael Ortiz (L’Arc en Seine), qui se sont établis à Manhattan, face au Metropolitan Museum of Art, un an plus tôt sous l’enseigne Rainbow Fine Art. Là, ils vendent, sur rendez-vous, des créations de Frank, Dupré-Lafon, Chareau, Printz, Ruhlmann et des frères Giacometti, et organisent deux expositions annuelles. “Nos collectionneurs américains aiment pouvoir essayer un meuble dans leur intérieur avant de prendre une décision d’achat. Notre installation à New York rend de telles opérations plus aisées”, explique Christian Boutonnet.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°106 du 26 mai 2000, avec le titre suivant : Le New York de l’Art déco

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