Le Midi, aujourd’hui

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 20 mai 2013 - 774 mots

Si les questions de territoires ne revêtent plus les mêmes enjeux que pour leurs aînés, Cézanne et la Sainte-Victoire par exemple, les artistes contemporains continuent de parcourir et d’interroger le Sud.

10 - Noël Dolla, fier étendoir
Dans le Sud, le linge pend aux fenêtres, les cordes à linge zèbrent les rues. Pas étonnant que le Niçois Noël Dolla ait entrepris sa déconstruction du tableau en suspendant ses toiles abstraites sur des étendoirs et qu’il ait composé dès 1967 des installations à partir de serpillières simplement trempées dans la couleur. Membre de Supports-Surfaces, Dolla n’a eu de cesse de travailler les codes fondamentaux de la peinture dans une proximité avec le ready-made (l’influence de Fluxus, sans doute). Ici, le Grand étendoir planté en bord de mer étend sa silhouette prosaïque chargée de « tableaux » dont le motif initial est complété par un trempage dans la couleur jaune. Dolla commet un double sacrilège envers la peinture qui le conduit à la restaurer dans un rapport au réel troublant. Dans son ADN pictural, nombreux sont les marqueurs méridionaux, comme ce geste domestique de suspendre son linge à la vue de tous. L’usage de leurres et d’hameçons rappelle également que le peintre est un pêcheur assidu tourné vers la Méditerranée dont il prend le pouls quasiment quotidiennement.

11 - Bruno Serralongue, faits d’affaires
De novembre 1993 à avril 1995, le photographe consulte chaque jour les pages de Nice-Matin consacrées aux faits-divers. Il décide de se rendre sur place pour constater les faits. Mais il n’y a plus rien. Lorsqu’un fait-divers est publié, il est en général trop tard pour en être le témoin. C’est bien ce qui intéresse Bruno Serralongue, parti sur les traces de ces petites histoires qui font le sel de la ville. Nice est d’ailleurs un bon terreau, agité par les affaires. Les règlements de compte crapuleux emblématiques des villes méridionales y ont une saveur particulière.
Plage caillouteuse, façade de casino des années 1970 de « style » Riviera, carrefour anonyme… Avec cette série, Serralongue fait le portrait d’une ville connue internationalement pour sa Promenade des Anglais, ses immeubles fin de siècle majestueux, moins pour sa banalité. Cinquante et une photographies ont été réalisées à cette époque et en 2011, elles ont été exposées chez des commerçants (à l’initiative de La Station, une association artistique incontournable de la ville depuis 1996). Histoire de sortir Nice de son image d’Épinal.

12 - Kader Attia, le Sud, terre de voyages
« Le port de Marseille a toujours été un symbole fort pour moi, synonyme de voyage, d’ailleurs : les portes vers un autre monde. » Kader Attia, comme d’autres artistes avant lui (à l’instar de Bernard Plossu, s’il ne fallait en citer qu’un seul), a succombé à la fascination pour le port de la cité phocéenne. Il a pensé un monument pérenne pour permettre aux habitants et aux visiteurs de s’approprier pleinement ce paysage qui en appelle à l’espoir, mais qui évoque aussi l’exil si proche. C’est aussi la Méditerranée qui fédère une identité qui fait fi des frontières et des continents qui la cernent.
« L’œuvre Les Terrasses est une sculpture-architecture qui s’étend sur la promenade basse de la digue Sainte- Marie. La hauteur de chaque terrasse varie afin que certaines puissent offrir au spectateur un point de vue aussi bien sur le large que sur la ville de Marseille, et d’autres un large espace où s’asseoir, en famille, seul ou en couple, se détendre, s’allonger, et regarder le ciel. » Toute de blanc vêtue, cette commande publique entend être visible depuis le rivage, un nouveau point de repère pour cette capitale méditerranéenne.

13 - Erik Samakh, le chant des cigales
Le bruit de la cigale, ce son parfois puissant et entêtant, est un marqueur immédiat qui signale l’entrée dans le Sud. Erik Samakh, résident des Hautes-Alpes, artiste des éléments naturels connu pour ses explorations sonores et ses œuvres de haute conscience environnementale, a conçu en 2007 pour le château de Lauris des flûtes solaires capables de jouer une fois chauffées au soleil via des cellules photovoltaïques. Suspendues à de hautes branches, elles sont aussi discrètes que les cigales qui les ont inspirées, même si ces dernières, emblèmes de la Provence, sont omniprésentes sur les souvenirs et productions artisanales. La partition de ces flûtes solaires a été élaborée à partir des sons environnants, histoire de ne pas jouer les trouble-fête, de respecter les silences de la nature, le chant des cigales et des oiseaux. Erik Samakh n’est pas du genre à jouer les perturbateurs, il se nourrit plutôt de tout ce que la nature peut créer pour mieux nous le faire « réaliser ».

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°658 du 1 juin 2013, avec le titre suivant : Le Midi, aujourd’hui

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