Le gouvernement italien veut privatiser ses musées

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 778 mots

En annonçant ce qui ressemble à un plan de privatisation du patrimoine, le ministre de la Culture italien, Giuliano Urbani, a provoqué une véritable levée de boucliers. Accepté par le Conseil des ministres, ce projet sera discuté au Parlement au cours du mois de novembre. Face à une disposition assez vague dont l’interprétation reste problématique, les conservateurs italiens, soutenus par leurs confrères étrangers, manifestent leur mécontentement et leur inquiétude.

ROME - Approuvé par le Conseil des ministres, l’article 22 de la loi de finances 2002 met en émoi le monde de la Culture en Italie et à l’étranger. En effet, le gouvernement Berlusconi envisage de privatiser ses musées, sites archéologiques, archives et bibliothèques. Devant cette décision, les conservateurs des plus grands musées – Philippe de Montebello du Metropolitan Museum of Art, Robert Anderson du British Museum, Henry Loyrette du Musée du Louvre, Alfred Pacquement du Musée national d’art moderne à Paris, Fernando Checa-Cremades du Prado ainsi que les directeurs de grands musées d’Allemagne, de Russie et d’ailleurs – ont adressé une pétition au gouvernement italien faisant état de leur surprise. Le document met en exergue que, si les musées italiens gagneraient à obtenir plus d’autonomie, ils ne sont pas destinés à fonctionner au profit du secteur privé, mais au bénéfice de tous. Ainsi, l’article 22 pourrait octroyer “à des sujets privés, l’entière gestion des services concernant la jouissance publique des biens culturels ainsi que l’activité de valorisation de ce patrimoine”. Dans un plaidoyer publié par notre partenaire éditorial, Il Giornale dell’Arte, le ministre italien de la Culture, Giuliano Urbani, souligne que “la gestion des musées pourrait ainsi être concédée à des fondations, instituts ou autres organismes privés soutenus par des entreprises”. Il fixe en outre la concession des lieux à cinq ans contre un versement à l’État de 50 % de la somme fixée par le contrat liant le musée au gestionnaire privé. Jugeant cette mesure “extrêmement innovante”, Giuliano Urbani précise que “jusqu’à maintenant, les seules concessions au secteur privé concernaient les services tels que les librairies, les cafétérias, etc.” Or, de son côté, Vittorio Sgarbi, sous-secrétaire au Patrimoine artistique, assure que l’article 22 permettrait de confier billetterie, restaurants et librairies au secteur privé ! Cette contradiction au sein même du nouveau duo de la Culture, révèle l’imprécision du texte. En effet, si Giuliano Urbani signale que “nombreux sont les conservateurs qui, accablés par les problèmes de gestion du personnel, de relations avec les publics, de sécurité... n’ont plus le temps de se consacrer pleinement à la recherche, à la conservation ou à la restauration des œuvres d’art”, le point précis des responsabilités n’est pas abordé dans le décret. Cesare Annibaldi, président du Castello di Rivoli et du Palazzo Grassi, s’inquiète, à juste titre, de “la définition (...) du rôle des acteurs privés”. De la même façon, Michel Laclotte, ancien directeur du Louvre, s’est déclaré préoccupé par la notion de gestion : impliquerait-elle des responsabilités autres que celles de la gestion des restaurants, librairies et autres services ? Ce nouveau texte pose ainsi la question du rapport entre bénéfice financier et autonomie administrative au sein de l’institution muséale, dont la rentabilité n’a pas, jusqu’à présent, été exigée : un point que le ministre de la Culture n’a pas éclairci. Comme le soulève Giovanna Melandri, l’ancienne ministre de la Culture italienne, “le partenariat avec le secteur privé est une affaire trop importante pour être énoncé de façon si superficielle et grossière”. Quant à Giovanni Pinna, président du Conseil international des musées – Italie (Icom Italie), il estime que “l’article 22 démontre que le gouvernement est privé du sens de la Nation”. Car ce projet serait susceptible d’ouvrir la voie à toutes sortes de dérives : une entreprise, une société, un individu quelconque pourraient alors disposer d’une partie du patrimoine public, et l’utiliser à des fins propres. La loi semble ignorer que les musées ne bénéficiaient d’aucune autonomie administrative (les revenus des billets d’entrée sont directement versés au Trésor public), et saute cette étape pour aboutir à une solution extrême dont il avait été déjà question en France. Ainsi, des opérateurs privés ont en charge la gestion d’institutions publiques, à l’image de Culture Espaces, filiale du groupe Suez-Lyonnaise des eaux, concessionnaire du Musée Jacquemart-André à Paris et du Musée national de l’automobile de Mulhouse (lire le JdA n° 101, 17 mars 2000).

La discussion de l’article 22 qui aura lieu en novembre par le Parlement italien, remettra en question la notion de patrimoine qui, selon Michel Laclotte, “en Europe comme en Italie, a toujours appartenu aux nations” et dont “la responsabilité, revient aux scientifiques, aux conservateurs, aux directeurs, qui, tous, se mettent au service de la ville ou de l’État”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Le gouvernement italien veut privatiser ses musées

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