Le design français 1980-1990 séduit

Des coups de cœur aux valeurs sûres

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 10 janvier 2003 - 1080 mots

Depuis quelques années, le mobilier contemporain a fait son entrée en salles des ventes. Il n’est apparemment pas trop tôt pour consacrer toute une catégorie de pièces réalisées en petites séries en France par Garouste & Bonetti, André Dubreuil ou encore Martin Szekely.

Le 13 novembre 2002 chez Tajan, un prototype de table basse à structure en plaques d’acier brossé et plateau en dalle de verre opalin noir du jeune designer Éric Tantot a été acquis 1 180 euros. Dans la même vente, une paire de fauteuils club à structure d’accotoirs pleins en plaque d’acier brossé et à dossier incliné et fond de siège gainé de cuir noir, une création de petite série de 1999, a été adjugée légèrement au-dessus de son estimation à 2 240 euros. Un même modèle de fauteuil avec garniture de cuir blanc s’était vendu 1 400 euros le 8 juillet 2001 à l’hôtel des ventes de Versailles. Également à Versailles, un miroir “tulipe” en fer forgé patiné en bronze et motifs floraux en peausserie de poisson bleue et sable, une pièce unique de 115 x 143 cm signée Christophe Talec, s’est vendu 1 050 euros le 24 mars 2002. Une commode à la surface enduite et gravée façon peau de crocodile patinée à la cire, autre pièce unique du designer, avait atteint 2 700 euros le 9 avril 2000, toujours à Versailles. Les créations originales de jeunes designers français sont aujourd’hui proposées en ventes publiques. Le public les découvre et achète par coup de cœur. L’intérêt pour les meubles du XXe siècle, qui sont déjà des antiquités, est devenu plus fort depuis le passage au XXIe siècle. Il est davantage question de décoration que de collection, car ces jeunes designers ne se sont pas encore cotés. Mais qui sait s’ils ne passeront à la postérité, à l’exemple de leurs aînés tel le duo Garouste & Bonetti dont les cabinets, commodes, consoles et sièges édités en très petite quantité (de cinq à dix exemplaires) dans les années 1980 se revendent à présent au-delà des prix de l’époque en boutique. Leurs créations d’inspiration néobaroque ou d’influences africaines sont vraiment plébiscitées par les amateurs. Trois éditeurs se sont partagés cette production : l’historique Neotu, “En attendant les barbares” et David Gill à Londres. Une table basse à piètement en bronze patiné et plateau de verre (éd. En attendant les barbares, 1990) a coûté 2 000 euros à son acheteur le 18 mars 2001 à Versailles. Dans la même vente, un important cabinet en chêne, métal à patine verte, portes et pieds avec des incrustations de bronze doré, et un cabinet en bois laqué et majolique de Ubaldo Grazia (Deruta), numéroté 6/25 (éd. Neotu, 1994), mais qui est en fait le dernier modèle de la série à être fabriqué, ont été adjugés 11 800 et 7 770 euros. Autre exemple, la chaise Barbare en fer battu à patine brune, éditée chez Neotu, s’est vendue 5 825 euros le 3 octobre 2001 à Drouot-Richelieu par la maison de ventes Camard. Quelques meubles de Philippe Starck, la star mondiale des années 1980, apparaissent aussi en ventes publiques. L’une de ses plus célèbres créations est la chaise Costes à trois pieds, en tube d’acier émaillé, dossier avec placage d’acajou et assise en cuir. Le modèle fut conçu à l’origine en 1985 pour le café Costes à Paris. Une paire a été adjugée 490 euros le 2 juillet 2000 à Versailles, et un amateur a emporté un fauteuil de la série Costes (éd. Driade, 1995) pour 1 100 euros le 18 mars 2001. “Pour Starck, il s’agit essentiellement de pièces de grande diffusion. L’avantage de les acheter aux enchères est principalement économique : à un tiers du prix pratiqué dans le commerce, l’opération est intéressante”, soutient Jean-Marcel Camard. Les prix décollent davantage lorsque l’objet se fait plus rare. Ainsi, un collectionneur a dû débourser 2 450 euros le 25 mars 2001 à Paris chez Cornette de Saint Cyr pour quatre chaises en bois thermoformé et fonte d’aluminium, une édition Driade des années 1980 limitée et épuisée.
Pour Jean-Marcel Camard, “dans l’école française, André Dubreuil sera certainement l’égal de Ruhlmann. Il est particulièrement exigeant dans l’exécution d’une pièce, dans la réalisation de la patine. Il va mettre un mois à perfectionner une serrure. C’est presque un orfèvre.” Mais très peu de pièces exécutées par ce meublier extrêmement recherché passent en vente publique, car les particuliers se séparent rarement de leurs acquisitions. Le 8 juillet 2001 à Versailles, une paire d’appliques Soleil en fer et coupe de verre (1989) s’est envolée à 3 300 euros, le double de son estimation. La pénurie entretient le second marché des enchères : comptez deux ans et demi d’attente en boutique pour une commande dont le prix sera cher mais justifié, vu la complexité des pièces de Dubreuil. Mais en salles des ventes, l’on voit surtout son célèbre modèle des années 1980, la Spine chair en métal à motif d’enroulement et piètement tripode, dont la cote a été quelque peu revue à la baisse du fait du nombre croissant de contrefaçons et de copies en circulation. Un exemplaire s’est vendu 11 700 euros chez Christie’s à Londres le 29 mars 2000. Un autre est parti à 4 270 euros (Paris, Cornette de Saint Cyr, le 21 octobre 2001) tandis qu’un troisième, proposé à 6 000 euros à Drouot le 24 mars 2002, n’a pas trouvé preneur.
Martin Szekely est aussi un créateur à la mode : sa chaise Pi en métal et cuir noir, édité par Neotu en 1984, a été adjugée 3 800 euros le 25 mars 2002 à Drouot, et une édition numérotée et signée de 1985, mais dont le cuir était griffé, est partie à 4 750 euros le 25 avril 2001, chez Cornette de Saint Cyr. Quatre chaises Toro, également éditées par Neotu, sont parties à 885 euros le 9 avril 2000 à Versailles. Marco de Gueltz, mort en 1992, présente un travail qui intéresse toujours quelques acheteurs : en véritable artisan, il a conçu un mobilier essentiellement en fer à béton patiné et morceaux de verre. Les enchères sont montées jusqu’à 11 000 euros pour décrocher une table basse typique de son œuvre le 3 octobre 2001 à Drouot (maison de ventes Camard).
Citons aussi l’architecte Jean-Michel Wilmotte dont les meubles, témoins d’une époque, séduisent à l’instar d’une suite de douze chaises Palais-Royal en métal noir et à trois pieds (éd. Academy, vers 1980), acquise 1 800 euros le 24 mars 2002 à Versailles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°162 du 10 janvier 2003, avec le titre suivant : Le design français 1980-1990 séduit

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