L'actualité vue par Olivier Saillard, directeur du Musée Galliera - Musée de la mode de la Ville de Paris

« Exposer des créateurs indépendants de l’industrie du luxe »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2010 - 1585 mots

PARIS

Responsable depuis 2002 de la programmation des expositions mode aux Arts décoratifs, à Paris, après avoir dirigé le Musée de la mode de Marseille de 1995 à 2000, Olivier Saillard est devenu en mai le directeur du Musée Galliera – Musée de la mode de la Ville de Paris, actuellement fermé pour travaux (jusqu’au printemps 2012). Olivier Saillard dévoile ses projets pour le musée et revient sur les liens unissant l’art et la mode.

Vous vous êtes beaucoup tourné vers les créateurs contemporains. Quelle orientation allez-vous donner à la politique d’exposition du Musée Galliera, coutumier de thématiques historiques ?
Au risque de surprendre, je ne vais pas renoncer aux expositions historiques. Je souhaite que le rythme des expositions soit plus soutenu et les propositions plus variées, avec des regards croisés, des rencontres. Je vais ainsi inviter des créateurs contemporains à venir regarder le patrimoine de Galliera. L’invitation faite à Christian Lacroix au Musée Réattu à Arles en 2008 m’a montré combien le regard d’un créateur parvenait à débarrasser le patrimoine ancien de sa poussière, comme s’il était réactivé. J’aimerais développer cette réflexion avec Azzedine Alaïa, l’un des plus grands créateurs à n’avoir encore jamais fait l’objet d’une exposition. Le propos serait d’autant plus riche qu’il se passionne pour l’histoire de la mode et du costume, et collectionne des vêtements d’archives. Je pense aussi à Rei Kawakubo (Comme des garçons). 

Y aura-t-il de la place pour des créateurs moins connus ?
Le Musée Galliera doit accompagner des créateurs dont l’œuvre n’est pas forcément relayée par l’industrie médiatique et bulldozer de la mode. Je pense à Adeline André ou à Martine Sitbon qui sont autonomes dans leur manière d’avancer. C’est vers ces auteurs indépendants et non vers une marque que je souhaite me diriger. Par ailleurs, je voudrais écrire une histoire du corps de mode. Dans les années 1970, les musées ont acté que le costume était une œuvre d’art et devait donc être montré avec beaucoup de solennité. Il faut se pencher sur cette question du corps disparu. L’utilisation du mannequin de vitrine dans le domaine de la mode ou des arts plastiques résume cette histoire. Je raisonne aussi beaucoup en termes de proximité avec nos voisins : le Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP) et le Palais de Tokyo. On ne peut pas continuer à leur tourner le dos. Cette histoire de corps pourrait permettre de se rapprocher. 

Souhaitez-vous aussi travailler avec des plasticiens et vidéastes contemporains ?
Les réserves du Musée Galliera, situées rue Servan, sont l’un des points forts du musée ; les vêtements y sont restaurés de manière exemplaire. Je remercie tous les jours Catherine Join-Diéterle [directrice du Musée Galliera de 1989 à 2010] pour cette base essentielle. Dans ces réserves se trouve l’essence de ce musée du souvenir de la mode et du corps qui l’a portée. Chaque fois qu’un artiste les visite, il est subjugué par l’envie d’en faire quelque chose. J’aimerais donc que le matériau soit à disposition d’artistes invités telle Marie-Ange Guilleminot, qui a déjà travaillé sur les vêtements d’Hiroshima. Ma proposition est encore assez floue, mais l’idée est de plonger une fois par an un artiste dans les réserves, afin qu’il puisse faire d’un pan de la collection un geste de réflexion autour du vêtement. La problématique autour du trouble créé par l’absence du corps devrait intéresser les artistes contemporains comme les conservateurs du musée. Nous pensons créer un nouveau département dévolu à l’anthropologie et à l’usage, également destiné à recueillir les témoignages oraux de ceux qui font la mode, créateurs et petites mains. Il faut mettre en exergue le processus de la création et la manière dont on conçoit la mode, ses méthodes et techniques. Je pense aussi à un département axé autour de la vidéo. La mémoire de la mode contemporaine est très relative car les créateurs récents n’ont pas eu le temps de conserver leurs images, leurs vêtements. Nous pourrions mettre sur pied un service d’archives destiné aux créateurs de mode. 

Comment concevez-vous la scénographie des expositions ?
Les musées de mode ont le plus souvent été conçus comme des magazines : les vêtements ont été plaqués au mur alors qu’ils sont plus proches de la sculpture que d’une peinture. À Galliera, on peut tourner autour du vêtement ; c’est une notion qu’il ne faut jamais perdre de vue. Je milite pour qu’une scénographie ne chasse pas l’autre. Je souhaite surtout que nous disposions d’un type de mobilier ou de procédé d’exposition afin d’augmenter notre patrimoine scénographique. Il faut capitaliser. Je déplore que lorsqu’on démonte une exposition à 700 000 euros, que ce soit au Musée de la mode de Marseille ou aux Arts déco, il n’en reste rien. Ce n’est pas logique à l’époque actuelle. Les professionnels, le public, les amoureux du costume viennent avant tout voir des œuvres ! Il faut redevenir modeste. Je préfère réduire leur temps de montage mais renouveler plus souvent les expositions. 

Le Musée Galliera nourrissait un temps le projet d’aménager des espaces permanents dans ses sous-sols. Où en est le projet ?
Ce n’est plus d’actualité ; cela impliquerait de gros travaux. Dans un musée de mode, la permanence n’existe pas : on ne peut laisser un vêtement dans une vitrine plus de six mois. Nous serons permanents si nous avons toujours quelque chose quelque part. Galliera doit multiplier les expositions hors les murs avec les autres musées de la Ville de Paris. Nous avons ainsi un projet autour de Madame Grès avec le Musée Bourdelle. Il faut développer ces propositions dans une relation qui ne soit pas anachronique. Madame Grès a sa place au Musée Bourdelle car elle avait une activité de sculpteur. Pour se renouveler, le Musée Galliera pourrait accueillir des défilés. Pourquoi n’essaierait-on pas, un jour, de faire jouer une deuxième fois un beau défilé comme ceux de Hussein Chalayan, Victor & Rolf ou Balenciaga ? Je regrette qu’à Paris, où l’on parle de haute couture, c’est-à-dire d’une industrie française de l’excellence, n’ait pas été créé un atelier de petites mains qui œuvrent à préserver et transmettre leur savoir-faire. Ce serait une manière de mutualiser les moyens au service des créateurs ou du public, mais aussi de renforcer l’image de la haute couture à l’heure où les maisons deviennent peau de chagrin. Cet atelier couture à l’image de ce qu’est pour le verre le Cirva [Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques], à Marseille, pourrait se trouver à Galliera. 

Que pensez-vous du statut de musée municipal à l’heure où l’on ne jure que par les établissements publics ?
Une réflexion est actuellement menée à la Ville de Paris autour de ses quatorze musées municipaux, sur la manière de mutualiser les services. Il ne s’agit pas d’une grande standardisation mais plutôt de favoriser les singularités. Dans les musées municipaux, le rapport au temps n’est pas le même et il faut l’accepter. Les réserves de Servan ont mis du temps à voir le jour, mais maintenant elles constituent notre base de travail. Les musées se font avec des moyens humains plus encore qu’économiques, c’est ce qui fait la différence. C’est parce qu’il y a des professionnels en nombre que cela peut marcher.

 Il y a un an, le Palais de Tokyo, le MAMVP, la Cité de l’architecture et le Quai Branly ont lancé « La colline des musées » dans l’objectif de proposer un droit d’entrée commun. Pourquoi Galliera en était-il absent ?
J’ignore pourquoi car je n’étais pas encore arrivé, mais j’en ai été fort surpris. Dans l’absolu, nous avons envie d’y participer, d’autant plus que notre programmation sera aussi élaborée comme un miroir à ce qui se passe au MAMVP ou au Palais Tokyo. Je vois beaucoup de vertus à mettre au point un tarif dégressif qui permettrait de résoudre le problème du coût élevé des expositions. Par ailleurs, cela peut lever certains cloisonnements entre les amateurs d’art contemporain et ceux de mode.

Sentez-vous des signes d’essoufflement dans la pratique du mécénat culturel, conséquence directe de la crise économique ?
Considérablement. À une époque, on trouvait du mécénat facilement et cela n’interférait pas sur la manière dont on faisait les expositions. Depuis la crise, cette pratique a été mise à mal et a montré ses limites. Le budget d’exposition du Musée Galliera est relatif, mais il a le mérite d’exister. Il nous donne une vraie autonomie qui se vérifie au quotidien, contrairement à des institutions comme les Arts décoratifs où nous devions trouver du mécénat pour toutes nos expositions. Qui aurait prédit que l’exposition « Kate Moss » y serait annulée faute de mécène ? Ici, je voudrais que le mécénat prenne la forme d’histoires légitimes, tournées vers les acquisitions. Les marques de luxe, représentées par des créateurs qui viennent étudier nos collections, pourraient nous donner quelque 10 000 euros par an pour acquérir des vêtements dont leurs propres créateurs pourront s’inspirer à l’avenir. De manière générale, il faut rester raisonnable et dans l’esprit de l’artisan de la mode. Je déplore que les musées soient devenus de grandes entreprises. Je voudrais raffiner le rapport au mécénat. Il faudrait qu’il ne se limite pas aux expositions, mais que le mécène soit lié au lieu dans une grande proximité. 

Une exposition a-t-elle retenu votre attention récemment ?
J’ai eu une véritable surprise au Musée Bourdelle qui fait intervenir des artistes contemporains dans les collections. Les propositions de Christian Boltanski et de Claude Lévêque m’ont vraiment ému. J’aime ce musée qui cultive la déshérence, où l’on se sent plus libre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°328 du 25 juin 2010, avec le titre suivant : L'actualité vue par Olivier Saillard, directeur du Musée Galliera - Musée de la mode de la Ville de Paris

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