L’actualité vue par Monique Barbier-Mueller

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 19 mars 1999 - 871 mots

Monique Barbier-Mueller est la fille du collectionneur suisse Josef Müller qui rassembla très tôt une impressionnante collection de peinture contemporaine. Elle continue d’enrichir cet ensemble, tandis que son mari a réuni une collection d’arts primitifs de premier plan. Un large aperçu de la collection Barbier-Mueller est présenté à Munich à travers une exposition, où sont à nouveau rassemblées des œuvres aujourd’hui dispersées comme Les Baigneuses de Derain. Pour la première fois aussi, peintures, sculptures, objets africains, océaniens, antiquités... dialoguent. Monique Barbier-Mueller commente l’actualité.

L’Office fédéral de la Culture va présenter l’artiste saint-gallois Roman Signer à la Biennale de Venise. Que pensez-vous de ce choix ?
Malheureusement, je ne connais pas bien son travail, car je ne réside plus en Suisse. Mais j’observe aujourd’hui que la Suisse présente nombre de très bons artistes. Je ne sais pas à quoi c’est dû ; est-ce à notre système, qui au fond n’en est pas un ? Bien sûr beaucoup se plaignent de ne pas être soutenus, mais souvent ce ne sont pas les bons. Nous avons cette “bombe internationale” qu’est Pipilotti Rist, nous avons Fischli & Weiss, Markus Raetz, Helmut Federle, Armleder, Rondinone, Silvia Bächli dont l’exposition de Munich présente quatre dessins. Je pourrais vous citer bien d’autres noms, et par rapport à une population de 7 millions d’habitants, ce n’est pas mal ! Les artistes sont à la fois libres et indépendants, quant à être soutenus... je dirais plutôt qu’ils ne sont pas entretenus.

Les noms que vous venez de citer sont reconnus bien au-delà des frontières suisses. En France, on rediscute sans cesse de la manière de promouvoir nos artistes.
Je ne crois pas qu’on puisse beaucoup aider les artistes, je pense qu’ils doivent s’aider eux-mêmes. On ne peut pas être frileux et rester en France, il faut avoir le courage de partir. Les Suisses sont peut-être plus aventureux. Le brassage des cultures est important, il faut du dynamisme et de la curiosité. Souvenez-vous de Tinguely, qui semblait être un cheval échappé ou un simple autodidacte. Il était curieux aussi de culture classique, allait à l’opéra. Il était capable de déceler la qualité partout où elle se trouvait et s’en inspirait, comme le retable d’Issenheim. J’ai l’impression que, parfois, les jeunes artistes n’ont pas cette curiosité.

Les expositions qui vous ont marquée?
J’ai trouvé fantastique la rétrospective Pollock à New York, et je suis allée la revoir à Londres. J’ai découvert aussi avec une grande joie celle de Rothko. Je l’attendais, mais j’avais peur que le moment de grande fascination soit passé. Contrairement à ce que beaucoup ont écrit, je considère qu’il fait des tableaux passionnants dès le début. L’exposition du Centre Pompidou au Guggenheim était remarquable, à une réserve près : les Tinguely n’étaient pas présentés en mouvement, ce qui m’a beaucoup choquée. À Munich, une exposition Richter, accrochée dans un espace destiné à une station de métro, est à voir. Enfin, dans un tout autre domaine, j’avais beaucoup apprécié l’exposition du Prado consacrée à Philippe II et son siècle.

Votre père a réuni sa collection sans bénéficier d’avantages fiscaux. Aujourd’hui, ils sont souvent mis en avant comme un élément décisif pour susciter des collections.
Il n’y avait pas d’avantages fiscaux mais on payait moins d’impôt. Même en Suisse, aujourd’hui les prélèvements sont importants. Je ne crois pas que les incitations fiscales puissent susciter l’amour de l’art et le désir de constituer une collection ; la passion en est le seul vrai moteur. En revanche, la législation peut décourager bien des collectionneurs. Je constate qu’en France, les gens n’osent plus rien prêter, et que certains collectionneurs étrangers qui doivent s’y installer temporairement ne feront pas venir leurs tableaux. C’est peut-être absurde, mais nombre de collectionneurs choisissent aujourd’hui la Suisse parce qu’ils considèrent que c’est le seul pays où ils peuvent faire entrer et ressortir leurs œuvres. Notre Parlement a décidé de surseoir à la ratification de la convention Unidroit à la suite d’une levée de boucliers, non seulement des marchands, mais aussi des musées et de l’Association des collectionneurs suisses.

Êtes-vous opposée au texte d’Unidroit dans sont état actuel ou à toute convention ?
Je suis contre toute réglementation excessive, parce qu’une fois qu’elle est en place, il est impossible de s’en débarrasser. Je n’ai pas vu souvent qu’on abolisse des lois, et si c’est le cas, c’est trop tard, les dommages sont déjà causés. Je pense que la législation actuelle est suffisante.

Les relations entre les maisons de vente et les marchands sont tendues, après l’annonce par Sotheby’s de la création d’un site Internet faisant appel à certains antiquaires, et celle par Christie’s d’un département de ventes privées à New York. Ces évolutions vous préoccupent-elles ?
Je ne peux vraiment pas et je ne veux pas discuter de ce qui me tient à cœur sur le plan culturel comme d’une vulgaire marchandise. Mes relations avec Christie’s et Sotheby’s tenaient aux liens de sympathie et d’estime que j’entretenais avec certains de leurs membres. Je ne comprends pas les discours où l’on parle d’investissement, d’achat et de revente. J’ai besoin de rencontrer quelqu’un qui me parle d’art et d’émotion.

L’ART AU-DELÀ DES FRONTIÈRES. LES MODERNES CLASSIQUES DE CÉZANNE À TINGUELY ET L’ART DANS LE MONDE, VUS DEPUIS LA SUISSE, Haus der Kunst, Munich, jusqu’au 30 mai.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : L’actualité vue par Monique Barbier-Mueller

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