L'actualité vue par Julien Dray - 5e vice-président en charge de la Culture à la Région Île-de-France

« Nous réfléchissons à installer le Frac en banlieue »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2012 - 1685 mots

Engagé au sein du Parti socialiste depuis 1981, cofondateur de SOS Racisme en 1984, plusieurs fois réélu député de l’Essonne, Julien Dray devient vice-président du Conseil régional d’Île-de-France en 1998. En 2010, il prend en charge la Culture.

Jean-Christophe Castelain : Comment expliquer que la politique culturelle de la Région Île-de-France soit peu connue ?
Julien Dray : Pourtant, la Région Île-de-France, sur le plan culturel, c’est un budget qui avoisine les 100 millions d’euros par an, dont 32 millions en aide à l’investissement, à la construction d’infrastructures artistiques et 60 millions d’euros en fonctionnement. Il s’agit essentiellement d’une aide aux collectivités locales qui construisent des médiathèques, des salles de spectacle ou d’autres équipements culturels. La région – c’est d’ailleurs pour cela que son action n’est pas aussi visible qu’il serait souhaitable – intervient en complément de budget, parfois jusqu’à 30 % du financement total. Mais ce n’est pas nous, Conseil Régional, qui sommes décideurs, puisqu’il ne s’agit pas d’équipements régionaux. Ce sont en effet des équipements locaux que nous finançons en partie et dont nous ne sommes pas gestionnaires. La Région est plus stratège que gestionnaire, cela peut parfois sembler frustrant, mais notre rôle en matière culturelle est extrêmement important même si « l’effet guichet » peut paraître frustrant.

J.-C.C. : Quel est le montant du budget spécifiquement dédié au patrimoine, aux musées et aux arts visuels ?
J.D. : Il s’agit d’un budget d’environ 2,7 millions en fonctionnement et de 5,2 millions d’euros en investissement, dont 1,4 million d’investissement pour les musées et 1,5 million pour le patrimoine.

J.-C.C. : Allez-vous dans le futur infléchir l’approche « guichet » ?
J.D. : Peut-être que dans des étapes à venir de décentralisation, c’est en tout cas mon souhait, cette question devra être abordée. Dans la gestion des patrimoines des lycées, le fait que la construction et l’entretien des lycées ait été confié aux régions a été bénéfique pour tout le monde. Je pense que sur le plan culturel c’est une question qui devrait se poser : la construction de grandes infrastructures culturelles devrait être décentralisée. Par ailleurs l’Île-de-France, comme toutes les régions, est en charge de l’inventaire depuis 2004, et cela marche plutôt bien.

J.-C.C. : Avez-vous défini des priorités lors de votre entrée en fonction ?
J.D. : Quand j’ai pris la responsabilité de la Culture en 2010, à la surprise générale, il faut bien le dire, j’ai eu une discussion très franche avec Jean-Paul Huchon, le président de la Région, en lui disant que le domaine m’intéressait car c’était totalement nouveau pour moi. Il s’agissait en même temps d’un challenge. Je voulais que cela soit clair que je ne venais pas pour être le « monsieur rigueur », celui qui est là pour mettre tout le monde au pas. Nous avons défini ensemble une règle à laquelle je me tiens, qui est de dire que nous « sanctuarisions » les budgets de la Culture. Souvent, l’on considère qu’en période de difficultés budgétaires, il est facile de commencer par réduire les budgets qui ne sont pas les compétences premières des régions. Et donc la culture pouvait être particulièrement visée.

J.-C.C. : « Sanctuarisation », cela veut dire une baisse comme pour le budget de l’État ?
J.D. : Non, nous avons augmenté le budget Culture en 2012 et pour 2013, mon objectif et de le faire encore un peu progresser. Le budget sera voté en décembre, la négociation a encore lieu. Pour être très précis ça ne peut se faire que parce qu’il y a le soutien du président de la Région.

J.-C.C. : Il y a cependant un équipement qui appartient en partie à la Région, c’est le Frac. Il est à l’étroit à Belleville, qu’allez vous faire ?
J.D. : C’est vrai que nous avons une collection qui est maintenant conséquente. On a de plus en plus de mal à la stocker, elle est conservée dans des garages, je préférerais l’exposer plus souvent plutôt que de la voir ronger par les souris ! Nous réfléchissons à installer le Frac dans une ville de banlieue, nous sommes actuellement en discussion avec plusieurs d’entre elles : Nanterre, Montreuil, Ris-Orangis, Palaiseau. Mais nous ne voulons pas simplement obtenir un effet d’annonce. Il faut qu’un tel lieu vive, que les gens y viennent, je recherche une solution viable sur le long terme. C’est un budget important, mais l’exécutif cherche une formule nouvelle en liaison avec un territoire multiple comme le nôtre.

J.-C.C. : Voyez-vous une évolution dans la perception de votre action par les intéressés ?
J.D. : Aujourd’hui les acteurs culturels commencent à identifier la région comme un acteur important. Le monde du cinéma considère que la région est devenue un partenaire incontournable, pas uniquement une banque. Permettre à une activité cinématographique de se relocaliser en Île-de-France, c’est important, ce sont des emplois. Si vous allez voir les troupes du spectacle vivant, elles vont vous dire heureusement que la région et ses permanences artistiques sont présentes. Avec les « Fabriques », on est en train de lancer un dispositif nouveau qui va permettre à des sites, entre la diffusion et la création, de pouvoir vivre dans les zones nouvelles et s’adresser à des publics et à des créateurs.

J.-C.C. : Y a t il des programmes spécifiques en direction des publics qui ont peu accès à la culture ?
J.D. : Je mets l’accent sur le public scolarisé. Il s’agit de faire venir des pratiques culturelles nouvelles dans les établissements scolaires. Je considère qu’une partie importante se joue là, dans les goûts, dans la connaissance, dans l’envie, dans la pratique. Ainsi nous avons relancé des ciné-clubs dans les établissements scolaires et allons réanimer les clubs théâtre. Un contrat avec des professionnels a été passé, notamment avec le Forum des images, qui ont la responsabilité de créer des ciné-clubs. Nous avons embauché une quinzaine de jeunes pour devenir des animateurs culturels de la région auprès des lycées. Ils vont voir les administrations et leur « vendent » les nombreux services de la région et les aident à monter les projets. Enfin, nous avons réactivé la pratique musicale autour des musiques actuelles et avec le concours des professionnels.

J.-C.C. : Et quid des arts plastiques ?
J.D. : Je me suis donné des objectifs par année. J’avance étape par étape. Cette année, il s’agit de « finir » le travail en direction des arts de la rue : une concertation est en cours pour un dispositif spécifique. Et puis l’autre phase qui va commencer en 2013 va concerner les arts plastiques et contemporains. 2013 sera consacré à la création du musée éphémère, une sorte de Centre Pompidou Mobile. Dans une grande bulle, seront accueillis de jeunes artistes. Mon idée c’est qu’il y a tout un public de banlieue qui ne vient pas à Paris, qui ne va pas dans les galeries. Plutôt que de chercher à les faire venir, il faut essayer d’aller vers eux, de leur faire découvrir l’art contemporain.

J.-C.C. : Qu’allons-nous voir dans cette bulle ?
J.D. : Mon idée c’est de faire une grande concertation dans le premier trimestre 2013 avec les galeristes pour leur demander de nous aider, de nous prêter des œuvres et des artistes. Cela permettra d’attirer un public nouveau qui pourra venir après dans les galeries.

J.-C.C. : Pourquoi avez-vous accepté cette vice-présidence Culture ?
J.D. : Je suis d’abord un dirigeant politique, j’ai été pendant très longtemps investi dans des combats politiques nationaux. En 2010 j’avais envie de faire autre chose. Je connais le problème des quartiers et je pense qu’il y a des choses à faire en matière culturelle. Au début Jean-Paul Huchon m’a regardé avec un air dubitatif, je lui ai dit « ça va je ne suis quand même pas un inculte et un ignare ». Il a rigolé, et très vite, il m’a rappelé. Quand je suis arrivé, les milieux culturels d’Île-de-France étaient très circonspects et craignaient que je ne vienne pour couper les budgets. Maintenant on reconnaît que c’est une bonne découverte. D’abord par ce que le fait d’être un politique facilite la discussion budgétaire, ensuite parce que n’étant pas là pour me mettre valeur, je suis un interlocuteur avec qui l’on discute. Je ne me bats pas pour être sur la photo. Je suis plutôt discret. Mon travail est de monter les projets. Les gens savent qu’ils ont affaire à un responsable politique qui prête une oreille attentive, qui leur ouvre sa porte, dont on sait qu’on arrive à construire des choses avec lui et que cela se fait toujours en concertation. J’ai fait cela en poursuivant le travail accompli par mes prédécesseurs et en y apportant ma touche.

J.-C.C. : Le budget du ministère privilégie le spectacle vivant. Qu’en pensez-vous ?
J.D. : En tuant le spectacle vivant, on tue une grande partie de la vie culturelle. Je vais vous faire une confidence, je n’étais pas un homme de théâtre, j’ai été la première année à Avignon, il faisait chaud, je ne comprenais rien. Mais je me suis rendu compte qu’il se passait quelque chose et que j’avais des a priori. L’année dernière j’ai pris la décision d’y rester longtemps, je veux pouvoir parler avec tout le monde. Et j’étais admiratif de ce potentiel énorme, ces gens qui jouent leur spectacle dans des petites salles. Quand on parle de la jeunesse, c’est souvent de manière négative dans ce pays, mais là notamment, il y a beaucoup de jeunes qui se battent et qui ne demandent rien à personne.

J.-C.C. : Quels sont vos autres goûts ?
J.D. : J’aime beaucoup la peinture, je suis très éclectique, je suis fan de la peinture hollandaise, mais j’aime aussi le mouvement actuel autour de la photo. Ensuite, quand je déprime, j’aime bien aller faire le tour des galeries admirer quelques bronzes ou tableaux. J’ai quelques copains galeristes que j’aime aller embêter. C’est comme ça que j’ai découvert le pop art que j’adore. Maintenant je me suis aussi intéressé au street-art et j’espère que la Région va, à travers les Fabriques, leur donner une dimension et une ampleur nouvelles. J’aimerais bien, dans l’année 2013, avoir des journées « portes ouvertes » du street art dans toute l’Île-de-France.

Légende photo

Julien Dray - photo D.R.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°380 du 30 novembre 2012, avec le titre suivant : L'actualité vue par Julien Dray - 5e vice-président en charge de la Culture à la Région Île-de-France

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