L’actualité vue par Guy Cogeval

Directeur du Musée des beaux-arts de Montréal

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2000 - 1215 mots

Directeur du Musée des beaux-arts de Montréal depuis 1998, Guy Cogeval a été conservateur au Musée d’Orsay, au Musée des beaux-arts de Lyon et au Louvre, avant de diriger de 1992 à 1998 le Musée des monuments français. Il commente l’actualité.

Nouveaux espaces, nouvel accrochage, que pensez-vous du Centre Georges Pompidou tout juste rouvert ?
La signalétique et la définition de l’espace sont infiniment plus pratiques et élégantes qu’autrefois. L’espace de la bibliothèque est gigantesque, et le hall d’accueil retrouve aujourd’hui pleinement sa fonction. Quant à l’accrochage des collections, je ne peux que féliciter le directeur du musée, Werner Spies. La salle avec le Dresseur d’animaux de Picabia est inoubliable. Je trouve très intéressant de commencer la visite par la section contemporaine, tout en laissant au visiteur le choix de son parcours. Mais le problème insoluble de tout musée d’art moderne est de définir un point de départ historique. Matisse, le Douanier Rousseau, Cézanne, le milieu du XIXe siècle, quand commence la modernité ? Dans plusieurs décennies, les frontières se feront sûrement au détriment d’un musée comme Orsay, qui aura moins de raisons d’exister.

Quel souvenir gardez-vous des célébrations du passage à l’an 2000 ?
Au siècle dernier, la France était capable, dans les grandes occasions, de créer des expositions universelles gigantesques. En 1889 et en 1900, une centaine de palais étaient érigés en un an sur les bords de la Seine. Les grandes roues de Patrick Bouchain étaient parfaites, mais ce n’est pas grand-chose ; pour ce qui est des célébrations, on fait aussi bien que Singapour ! L’absence d’une exposition de grande envergure pour marquer la fin du siècle et ouvrir le prochain, à l’instar de Hanovre 2000 ou du Dôme de Londres, m’étonne. Malgré les tics de la période, comme les images de synthèse ou les accès à Internet, la manifestation anglaise est une réussite. Le dôme baigne dans une atmosphère de grande nef du XIXe siècle, où se perpétue la croyance dans un avenir radieux. Si l’on se trompait en 1900, en rêvant à une concorde universelle, l’idée d’un siècle où il y aurait moins de conflits et d’oppression est peut-être envisageable aujourd’hui. Pour la première fois, nous avons connu cinquante ans de paix relative en Europe.

Les musées nationaux sont désormais gratuits le premier dimanche du mois. Ces établissements ont connu le 1er janvier une hausse de leur public de 30 %. La gratuité vous semble-t-elle nécessaire à une plus large fréquentation des musées ?
J’étais assez réfractaire à cette idée, mais mon expérience en Amérique du Nord m’a rendu très favorable à la gratuité. À Montréal, les journées gratuites attirent un monde fou.  Ce n’est pas tant dû au caractère économique, mais à la levée d’un rideau psychologique : la demande d’un ticket repousse une partie du public. Comme dans la plupart des musées d’Amérique du Nord, l’accès à nos collections est gratuit et les expositions payantes. Toutefois, cette politique est plus simple à réaliser qu’au Louvre ou à Beaubourg, où les collections sont plus conséquentes et constituent le principal pôle d’attraction. Mais la gratuité est un devoir d’ouverture et de civisme vis-à-vis du grand public.

Quelles expositions récentes ont attiré votre attention ?
En tant que spécialiste du XIXe siècle, j’ai été étonné par la nouveauté de l’exposition “1900” à la Royal Academy. J’ai vu au moins trente tableaux que je ne connaissais pas ! L’exposition “Denon” au Louvre m’a aussi réservé de nombreuses surprises ; j’étais stupéfait de voir que ce dernier collectionnait des masques africains et des objets tribaux. Mais le Louvre souffre de l’exiguïté de ses espaces sous la pyramide, conçus pour des expositions-dossiers. La visite se fait par petits morceaux et c’est regrettable.

Après la censure et la dégradation d’une œuvre, l’exposition “Sensation” pose la question de la collusion entre marché et institutions muséales. Peut-on établir une frontière entre les deux ?
Comme la totalité de mes collègues, j’ai signé une motion de soutien au Musée de Brooklyn. Je suis très étonné des réactions politiques face à un art qui, en Europe, ne nous choque pas. Les politiciens américains ne réfléchissent pas toujours aux conséquences de leurs actes et sont capables de réflexes ultra-réactionnaires. En Amérique du Nord, la croyance religieuse est systématiquement mêlée au champ politique, et cette omniprésence du discours moraliste mène à des situations aussi ridicules que pathétiques. S’agissant des dangers de collusion entre les musées d’art contemporain et le marché, les frontières ne sont pas aussi tranchées qu’avec l’art ancien. Toutefois, force est de constater que ce sont souvent des directeurs de galeries qui découvrent les artistes. Au début du siècle, les conservateurs avaient trente ans de retard sur Vollard ou les frères Bernheim. Mieux vaut éviter le mélange des genres, même si cela semble difficile. Pour obtenir des fonds, les musées étrangers se tournent plus facilement vers le secteur privé qu’en France. D’ailleurs, à Montréal, je suis à la tête d’un musée privé, comme la plupart des musées américains, et je n’ai pas l’impression que cela dégrade la qualité de la programmation ; en fait, je n’ai jamais connu pareille liberté. Une fois la confiance du conseil d’administration et des sponsors – au Canada, on dit “commanditaires” – acquise, ceux-ci n’interviennent pas dans vos choix. Les décisions se prennent rapidement, sans blocages institutionnels. Évidemment, nous devons faire alterner des expositions “grand public” avec des projets thématiques d’accès plus difficile (tel “Cosmos” en 1999), mais avec la Réunion des musées nationaux, j’avais également l’œil rivé sur le nombre des entrées. Mes collègues devront sans doute s’habituer à moins dépendre de l’État et à ne plus se réfugier derrière “l’exception française”. Une des causes de mon départ, c’est que cette révolution ne sera peut-être pas accomplie par ma génération.

La signature de Picasso orne désormais une voiture. Le directeur du Musée Picasso, Jean Clair, s’est indigné de cette utilisation. Parallèlement, Botero vient de baptiser un avion de son nom. Comment réagissez-vous à ces détournements lucratifs, souvent posthumes ?
Le plus grand scandale, c’est la nullité de la publicité Citroën. Le nom de Picasso appartient à ses héritiers, qui se sont donnés la peine de naître. S’ils laissent dégrader l’artiste, le musée et la Direction des Musées de France n’y peuvent rien. Dalí n’est pas le seul à être “Avida Dollars”. En démontrant comment le glissement ou le transfert d’un nom amène à la défiguration d’une personnalité, Jean Clair a eu une réaction remarquablement intelligente. Mais qu’un Airbus soit baptisé Botero, cela ne me pose pas de problème ; sa peinture est belle comme un Airbus !

Vous avez été directeur du Musée des monuments français. Comment jugez-vous le projet de la Cité de l’architecture et du patrimoine, dont les travaux d’aménagement commencent cet été ?
Trois ans après l’incendie, ce n’est pas trop tôt ! Par ailleurs, le réaménagement avait déjà commencé en 1995, alors que j’étais à la direction du musée, avant d’être interrompu en 1997. Le nouveau projet est différent, mais je gage qu’une partie des idées pour lesquelles je m’étais battu, comme l’aménagement de la galerie inférieure ou l’interaction entre maquettes, moulages et éléments d’architectures, sera reprise. L’intégration de l’Institut français d’architecture dans le projet est une bonne mesure qui paraissait difficile à mon époque. Par contre, je trouve inacceptable que le Musée des monuments français, créé pendant la Révolution française, perde son nom.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°97 du 21 janvier 2000, avec le titre suivant : L’actualité vue par Guy Cogeval

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque