L’actualité vue par François Barré

Directeur de l’Architecture et du Patrimoine

Le Journal des Arts

Le 4 décembre 1998 - 1053 mots

Président du Centre Georges Pompidou de 1993 à 1996, après avoir été délégué aux Arts plastiques, François Barré occupe depuis 1996, au ministère de la Culture, la direction de l’Architecture dont il organisé la fusion avec celle du Patrimoine. Il commente l’actualité.

Le thème des Entretiens du Patrimoine de cette année, “L’abus monumental ?”, traduit-il une inquiétude ou représente-t-il un début d’autocritique ?
Le choix de ce thème est d’abord l’expression d’une liberté de propos et de critique. Si l’on a la charge du patrimoine, la moindre des choses est de s’interroger sur les fondements d’une politique. À mon avis, il y a extension infinie du patrimoine, et peut-être abus patrimonial, mais pas abus monumental. Cette extension est liée à la réalité d’une époque qui a un peu perdu ses marques et ses projets. Il n’y a plus de grands récits idéologiques ou spirituels. Dans une situation d’interrogation et de désenchantement par rapport à l’avenir et à la nature d’un projet collectif, le projet devient de commémorer, de remémorer, et cela représente un danger. Le musée est le bâtiment public qui a été le plus construit dans le monde, ces cinquante dernières années. Quand on ne sait plus exactement ce qui fait trace, ce qui paraît comme l’expression la plus haute du génie individuel et humain, on ne jette plus rien et on fait des musées où l’on garde tout.
Le monument garde une fonction de repère, de jalon, avec Gehry à Bilbao ou Piano à Nouméa. Il affirme une identité, en même temps qu’une visibilité. Toutefois, il change de nature au XXe siècle. Il s’agit pour l’essentiel de logements individuels ou collectifs. La maison de verre de Chareau est l’un des plus beaux bâtiments du XXe. Pourtant, c’est un travail sur l’intimité, sur le retrait, qui est le contraire de la monumentalité. Le fameux couple du prince et de l’architecte faisant ensemble, main dans la main, signe à la postérité me paraît une histoire ancienne, obsolète. Les grands projets de François Mitterrand marquent la fin d’un parti traditionaliste. Se posent aujourd’hui les questions de l’architecture ordinaire, de la continuité de la ville, de l’habité.

La grève des personnels à la Bibliothèque nationale de France ne marque-t-elle pas la limite de cette tentation monumentale ?
Je ne crois pas. Il est toujours facile d’imputer les dysfonctionnements d’un bâtiment à l’architecte ; il a souvent bon dos. D’après ce que j’ai lu dans la presse, il n’y a pas de remise en cause de l’architecture elle-même. Je m’interroge surtout sur la création d’une bibliothèque de cette dimension à l’heure de la numérisation et des réseaux. Pour aimer la lecture infiniment, je me demande si la bibliothèque doit apparaître dans cette monumentalité.

Paris s’est enrichi d’un nouveau monument : l’École des arts décoratifs. Quel est votre point de vue sur ce bâtiment et sur les critiques dont il fait l’objet ?
J’étais président du jury qui a choisi Arsène-Henry et Starck. Il y avait un parti de fermeture pour la façade, mais aussi des ouvertures pour la lumière. Le projet a évolué, ce qui est normal. Je l’ai visité trop vite, j’y ai vu une très belle lumière d’albâtre. Est-ce qu’elle empêche le travail quotidien, est-ce qu’elle l’occulte au sens littéral, ou le gêne ? Je ne sais pas. L’École des arts décoratifs est bien dotée, et ses étudiants ne sont pas malheureux si on les compare aux 55 écoles d’art de France.

Une pétition d’architectes s’inquiétant de la place de l’Institut français d’architecture dans la future Cité de l’architecture et du patrimoine, à Chaillot, vous a été adressée. Qu’y répondez-vous ?
En fait, il y a deux pétitions d’architectes, mais certains sont moins communicants que d’autres. Les deux ont à peu près le même nombre de signataires. Celle à laquelle vous faites allusion, et dont l’initiative revient à Dominique Lyon, s’inquiète du caractère académique ou patrimonial de ce que sera le futur Chaillot. La deuxième, qui m’a été envoyée sous forme de lettre ouverte, m’accuse d’avoir bradé l’esprit patrimonial de la Cité à mon goût pour l’architecture contemporaine. Étant agacé par l’une et par l’autre, je me dis que ce doit être le signe d’un passage situé sur la ligne de crête – expression que je préfère à celle de juste milieu. J’espère que les gens qui signent des pétitions feront des propositions. Il manque aujourd’hui un débat dans l’architecture et le patrimoine ; ce ne sont que des polémiques. Pour en revenir à l’abus monumental, l’un des abus serait de considérer que tout bâtiment devrait être extraordinaire, et ceux qui s’inquiètent sont peut-être ceux qui pensent le plus à la postérité, leurs œuvres devant rester pour les siècles des siècles comme le symbole du sens et de la sensibilité d’une époque. Ce qui importe aujourd’hui, c’est de penser au quotidien. Et le quotidien doit être inventif.

Vous qui êtes à l’origine du Centre de création industrielle, comment accueillez-vous l’annonce du salon Paris Design en mars prochain ?
Je ne connaissais pas l’existence de ce salon. Par contre, en ce moment, il y a une magnifique exposition à Marseille, “Design, dix ans”, qui montre l’ensemble des réalisations des étudiants des écoles d’art en option design. La Biennale de Saint-Étienne était également remarquable. Il y a en France un travail formidable, mais je regrette que les architectes aient perdu le goût du design, des arts appliqués, et d’une relation entre leur travail constructif et conceptuel et celui de l’aménagement intérieur. Si on regarde l’histoire, 80 % des meubles emblématiques ont été créés par des architectes. Il faudrait retrouver ce chemin-là.

D’autres expositions vous ont-elles paru remarquables ?
J’ai beaucoup aimé “Le Consortium” à Beaubourg. Il y a quelque chose de symptomatique dans l’action du Consortium : au travers d’expositions s’y lit une aventure qui est une prise de position sur le monde, sur la vie quotidienne, mais aussi l’aventure d’une équipe. En revanche, j’ai été déçu par celle de Huyghe/Parreno/Gonzalez-Foerster au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Les trois artistes sont passés à côté de l’occasion qui leur a été donnée. J’ajoute Kuramata au Musée des arts décoratifs, et les jeunes artistes japonais à l’Énsb-a. Je m’interroge face à cette omniprésence de l’enfance, des petits jouets, des mangas : est-ce une infantilisation ou une dénonciation de celle-ci ? Ce doit être un signe du passage du siècle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°72 du 4 décembre 1998, avec le titre suivant : L’actualité vue par François Barré

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