L’actualité vue par Christophe Girard

Président de l’American Center Foundation

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 25 août 2000 - 1046 mots

Après avoir passé vingt ans chez Yves Saint Laurent aux côtés de Pierre Bergé, Christophe Girard a rejoint le groupe LVMH comme directeur de la stratégie mode. Depuis près d’un an, il préside aussi l’American Center Foundation, institution devenue nomade depuis la vente de son immeuble parisien. Cet ancien de \"Langues O\" est également très engagé dans la lutte contre le Sida et la reconnaissance des droits des Gays. Après avoir été candidat aux élections européennes de juin 1999, il est tête de liste des Verts pour les municipales à Paris dans le IVe arrondissement. Il commente l’actualité.

Quels sont les projets majeurs de l’American Center devenu “hors les murs” ?
Nous voulons soutenir des artistes, des manifestations, voire des institutions qui nous semblent à la fois innovants, et où la notion de risque apparaît. Nous essaierons d’aller contre un certain conservatisme contemporain et dénoncerons aussi souvent que possible les censures, ainsi que nous l’avons fait lorsque le maire de New York, Rudolph Giuliani, avait menacé de couper les subventions du Musée de Brooklyn au moment de l’exposition “Sensation”. Si une manifestation comme la Biennale d’Istanbul connaissait des difficultés telles que celles rencontrées à la suite du tremblement de terre de 1999, je ne doute pas que notre conseil d’administration lui voterait à l’unanimité un soutien d’urgence.

Frank Gehry, qui a signé le bâtiment brièvement occupé par l’American Center à Paris, travaille à un nouveau Guggenheim à New York. Il défend “une vision mégalomaniaque du rôle de l’art dans le monde” (le JdA 108). Partagez-vous cette vision ?
Oui. Car sans mégalomanie, il n’y aurait sans doute ni artistes, ni arts. J’aime bien l’idée que l’on reconnaisse et que l’on revendique sa part de folie.

Le candidat socialiste à la mairie de Paris, Bertrand Delanoë, promet un doublement de la part du budget de la capitale consacrée à la culture. Quelles devraient être les priorités d’une nouvelle municipalité ?
Une des priorités serait de faire revenir les artistes dans Paris. Il y a de moins en moins d’ateliers, et les loyers sont exorbitants. La plupart des grands artistes vivent en banlieue parisienne. Il existe à Paris un certain nombre de bâtiments mal occupés ou inoccupés : un audit des bâtiments publics serait nécessaire pour établir une sorte d’inventaire des lieux pouvant être attribués aux artistes. Il ne s’agit pas d’ouvrir de nouveaux musées, mais bien de remettre l’artiste au cœur de la ville.

Un “Beaubourg bis” est en projet à Euralille. Qu’en pensez-vous ?
C’est très bien. Mais je regrette que personne n’ait encore eu l’idée d’implanter un musée dans une banlieue. Chacun sait aujourd’hui que les expositions de qualité attirent toutes les populations (jeunes, moins jeunes, éduquées, moins éduquées, française et étrangère, etc.) et permettent un nouvel échange social. Les institutions culturelles sont également source d’emplois et sont aussi une façon originale de désenclaver les quartiers.

Un commentaire sur le vote de la loi abolissant le monopole des commissaires-priseurs.
Enfin la France passe à l’heure européenne. Les monopoles quels qu’ils soient sont un frein et un danger pour la liberté.

L’exposition universelle d’Hanovre subit un grave échec de fréquentation du public…
Hanovre n’est pas la ville la plus excitante du monde, bien que la Basse-Saxe soit une région riche. Je pense que tout le monde est un peu fatigué par les célébrations de l’an 2000 …
 
À Bordeaux, le maire, Alain Juppé, a demandé à ses adjoints de ne pas assister au vernissage de l’exposition “Présumés innocents” au CAPC, musée subventionné par la municipalité. La publicité prévue sur le réseau d’affichage municipal a été suspendue. L’adolescence deviendrait-elle un sujet tabou ?
L’adolescence ne devient pas un sujet tabou, elle le reste. Les débats sur le Pacs et l’homosexualité en général l’ont démontré : quelques hommes et femmes politiques n’ont pas hésité à faire des amalgames …

Quelle est votre idée de “La Beauté”, après avoir vu les manifestations présentées à Avignon ?
J’en profite pour dire tout mon agacement face au snobisme parisien, qui aime dénigrer avant d’avoir vu. J’ai lu et entendu le pire sur “La Beauté”, qui est à mes yeux une grande réussite, tant par la qualité des mises en scène et le choix des artistes, que par son énorme succès populaire. Si je regrette la manipulation politique de l’inauguration, je ne peux qu’applaudir la sensibilité et l’intelligence du travail exceptionnel de Jean de Loisy.

Toujours à Avignon, que pensez-vous de l’accrochage de la collection Yvon Lambert ?
Avignon a une chance inouïe d’avoir dans ses murs pour vingt ans, l’une des plus belles et des plus anciennes collections d’art contemporain d’Europe. Yvon Lambert a pris des risques depuis de nombreuses années en achetant et conservant des œuvres d’artistes qui étaient loin d’être reconnus à l’époque.

L’intervention de James Turrell au pont du Gard ?
Absolument géniale, car non seulement elle met en valeur un chef-d’œuvre du patrimoine mondial, mais l’œuvre de Turrell provoque chez les promeneurs nocturnes une émotion et ouvre un accès à la création contemporaine.

D’autres expositions vous ont-elles marqué ?
“Voilà”, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Grâce à la complicité de Suzanne Pagé et de Christian Boltanski, cette exposition est une immense réussite et devrait attirer non seulement les passionnés d’art contemporain, mais aussi les écoles, les lycées, les universités. Elle mériterait une plus grande couverture médiatique. La pièce réalisée par Bertrand Lavier est d’une intelligence et d’un humour rares ; le travail d’Annette Messager aux pieds de Raoul Dufy relève de l’exploit génial … La vidéo des conversations de Gilbert et George est une pure merveille …
Lors d’une visite un peu décevante du Musée d’art moderne de Strasbourg, je suis retourné voir le retable d’Issenheim à Colmar, où le musée d’Unterlinden accueille une exposition des frères Bram et Geer Van Velde.
Par ailleurs, j’ai remarqué le travail d’un jeune artiste français, Kim Rebholz, à la galerie Marie-Victoire Poliakoff, les œuvres d’un peintre brésilien, Oiwa, chez Montenay-Giroux, le travail de sculpture en terre cuite de l’artiste flamand Johan Creten à la galerie Robert Miller à New York, et enfin, j’ai une nouvelle fois admiré et découvert le travail de Pierre Huyghe, tant chez Marianne Goodman qu’au Centre Pompidou. Maintenant, j’attends avec impatience la réalisation et l’inauguration de la bouche de métro Palais-Royal-Musée du Louvre par le grand artiste français Jean-Michel Othoniel.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : L’actualité vue par Christophe Girard

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