Après un long silence, Rachida Dati a présenté son texte sur les restitutions « dans un contexte colonial » qui promet des débats houleux au Parlement.

France. C’est la surprise de l’été. Sept ans après la remise du très controversé rapport Sarr-Savoy et deux ans après les propositions de Jean-Luc Martinez, le ministère de la Culture a présenté lors du dernier Conseil des ministres (le 27 juillet) avant la pause estivale, la deuxième version de son projet de loi « relatif à la restitution de biens culturels provenant d’États qui, du fait d’une appropriation illicite, en ont été privés ».
L’intitulé même du projet de loi évite soigneusement toute référence à l’empire colonial français et généralise les États bénéficiaires aux cinq continents et pas simplement à l’Afrique. Une façon pour la ministre d’écarter tout présupposé de repentance qui hérisse une grande majorité de parlementaires et de Français.
Le principe de cette loi-cadre dont l’objectif est de ne plus voter de loi spécifique pour chaque sortie de bien culturel, comme ce fut le cas en 2020 pour le Bénin et le Sénégal et très récemment pour la Côte d’Ivoire, reprend en grande partie les propositions de l’ex-président-directeur du Louvre, lequel se félicite auprès du Journal des Arts de cette « avancée considérable pour la mise en œuvre d’une politique de restitution raisonnée ». Il s’agit de fixer des critères permettant d’apprécier la recevabilité d’une demande puis la restituabilité des biens. Si l’instruction de la demande conclut favorablement, la sortie du domaine public pourra être prononcée par le Conseil d’État et non plus par le Parlement.
Le champ géographique concernant le monde entier, le texte fixe une borne chronologique post quem pour éviter d’ouvrir trop largement la boîte de Pandore des restitutions : juin 1815 correspondant au Congrès de Vienne qui a permis aux puissances victorieuses de récupérer les œuvres emportées sous la Révolution et l’Empire. Une borne que le sénateur Pierre Ouzoulias trouve « aberrante » : « Il y a eu des “collectes” de biens culturels avant 1815, notamment dans les deux Amériques et en Océanie. Il n’y a aucune raison de les exclure des restitutions. »
La borne ante quem est le 23 avril 1972, soit la veille de la date d’entrée en vigueur dans certains pays de la Convention de l’Unesco mais pas en France où elle n’a été ratifiée qu’en 1997. Une date toute théorique d’ailleurs, puisque comme le rappelle le Conseil d’État, le décret d’application permettant d’obtenir la sortie des collections publiques par la voie judiciaire pour les œuvres « enlevées après 1997 » n’a jamais été publié ! « 157 ans c’est beaucoup », remarque l’avocat Yves-Bernard Debie, pourfendeur depuis longtemps de toute réglementation sur les restitutions (« ce projet de loi est un condensé de tout ce qu’il ne fallait pas faire, explique-t-il, surtout lorsqu’aucune prescription n’est prévue »).
L’avocat stigmatise par ailleurs les critères de recevabilité de la demande par l’État concerné et des critères de restituabilité. Au nombre de neuf dans le rapport Martinez, ils ne sont plus que trois dans le texte de loi, dont le plus important : « [un objet] dont il est établi ou dont des indices sérieux, précis et concordants font présumer qu’il a fait l’objet […] d’une appropriation illicite, par vol, pillage, cession ou libéralité obtenues par contrainte ou violence ou d’une personne qui ne pouvait en disposer. » L’avocat pointe « le flou de “l’illicéité” » : « Contrairement à l’illégalité, qui s’appuie sur une règle de droit, l’illicéité introduit un critère moral. On pourra restituer une œuvre simplement parce qu’on juge aujourd’hui son acquisition immorale. Mais de quelle morale parle-t-on ? » Un argument rejeté par Jean-Luc Martinez : « Cela n’a rien de moral : les instructions militaires françaises comme les différents accords entre la France et certains pays fournissaient un cadre clair qui va au-delà de la seule question de la légalité. » Le texte fait une exception pour certains biens archéologiques et militaires.
La bataille parlementaire devrait cependant surtout porter sur l’instruction de la demande. Le texte envisage la possibilité d’un comité scientifique, mais il est optionnel et son avis n’est que consultatif. « Les expériences passées montrent qu’il n’est pas possible de faire confiance au gouvernement pour assurer la gestion transparente de ces dossiers », tonne Pierre Ouzoulias qui plaide pour une commission permanente « qui assurerait dans la durée une continuité de traitement des dossiers en se constituant une jurisprudence ». Le sénateur en fait un point bloquant : « Personnellement, je ne voterai pas le texte sans une commission pérenne et je ne crois pas m’avancer beaucoup en disant que cet avis sera majoritaire au sein de la commission. »
Les débats devraient aussi porter sur les œuvres entrées dans les collections publiques par dons et legs, d’autant plus que la ministre est passée outre un avis du Conseil d’État s’exposant à une censure du Conseil constitutionnel. Le problème concerne les libéralités non assorties de clause d’interdiction d’aliénabilité. Le texte envisage ce cas, si au terme d’un délai, les ayants droit des donateurs ne se sont pas exprimés, l’œuvre peut être sortie des collections. Le Conseil d’État demande lui que toute renonciation au maintien dans les collections publiques soit expresse.
Comme pour nombre de projets de loi, le gouvernement a engagé la procédure accélérée, il sera discuté au Sénat pendant la session extraordinaire le 24 septembre. « Cela a obligé la rapporteuse, Catherine Morin-Desailly, à organiser des auditions en juillet et en août », se plaint Pierre Ouzoulias, regrettant la méthode de travail mise en œuvre par l’ancienne ministre Rima Abdul Malak sur les deux premières lois-cadres.
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La troisième loi sur les restitutions enfin sur les rails
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°660 du 5 septembre 2025, avec le titre suivant : La troisième loi sur les restitutions enfin sur les rails









