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La réinvention permanente

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2011 - 1214 mots

La stagnation des budgets contraint les Frac à élaborer de nouvelles stratégies d’achat. Dotés d’équipements lourds, les Frac « deuxième génération » verront-ils leur mission redéfinie ?

Si les enveloppes réservées aux acquisitions des Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) n’ont pas diminué en 2010, ces montants restent inégaux d’une région à l’autre. Tandis que le Frac Bretagne, avec un budget d’acquisition de 330 000 euros, reste toujours aussi bien doté, son homologue picard annonce la maigre somme de 81 000 euros. Les subventions octroyées dépendent de la taille des territoires, mais surtout de l’engagement des conseils régionaux auprès de leurs institutions. 

Selon le président de la Région Picardie, le Frac dirigé par Yves Lecointre se serait détourné de sa mission, chère aux politiques, de diffusion et de médiation sur le plan local, justifiant le gel de son budget d’acquisition pour l’année. « Nous suggérons de faire une pause dans les achats pour se concentrer sur le public », explique Alain Reuter, conseiller régional chargé de la culture, n’hésitant pas à recourir à la caricature en déclarant dans le quotidien Le Parisien, le 4 avril : « Pourquoi ne pas essayer de sortir des sentiers battus en présentant des œuvres dans un centre commercial ? » 
Ce litige pose la question de la mission des Frac, qui, l’intégralité de leurs fonds réunis, constituent la troisième plus grande collection d’art contemporain en France avec 2 200 œuvres. La valeur pécuniaire des pièces n’est cependant pas clairement estimée. Préparant son déménagement, le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) a donc entrepris un inventaire et une réévaluation financière de son fonds afin d’en faire valoir l’importance auprès de ses tutelles : « Nous avons des [Simon] Hantaï, des [Daniel] Dezeuze dont la valeur a bien sûr dépassé le prix d’achat », précise son directeur, Pascal Neveux.  

Production d’œuvres
Malgré la faiblesse des subventions octroyées ces dernières années, les Frac usent de divers moyens pour enrichir leur fonds. Des négociations menées avec les galeries pour la production d’œuvres ont ainsi facilité l’acquisition par le Frac Île-de-France et Languedoc-Roussillon de, respectivement, Zootrope et Hermitage, deux films de Corey McCorkle, et les installations Operation Nightfall du duo Grout/Mazéas et Dead Man Walking, de Maurin et La Spesa. Le Frac des Pays de la Loire, qui accueille chaque année des artistes dans le cadre de ses « Ateliers internationaux », met quant à lui un point d’honneur à soutenir la jeune création par une double opération de production et d’acquisition. C’est à la faveur des Ateliers de 2010 qu’un ensemble d’œuvre de Scoli Acosta et l’installation Ocean Painting de Jessica Warboy ont pu rejoindre la collection. 
La relation étroite qui se noue avec les artistes au cours de ces résidences conduit aussi certains d’entre eux à faire don d’une pièce, à l’image de Peintures sauvages, une installation de Michel Blazy qui met à contribution des souris, offerte au Frac Basse-Normandie à l’issue d’une résidence en 2009. Accoutumé à ce genre de cadeau, le Frac Bretagne a quant à lui reçu quatre œuvres de Jacques Villeglé. De son côté, Claire Jacquet, qui dirige le Frac Aquitaine, peut se féliciter d’une opération inédite pour se doter d’une œuvre monumentale hors budget acquisition. Lors de la première édition de la biennale « Evento », à Bordeaux en 2009, la pièce lumineuse Respublica de Nicolas Milhé a fait l’objet d’une commande publique État-Région pilotée par le Frac. En 2010, la pièce, entrée dans la collection, était prêtée lors de la double exposition « Dynasty » [au Musée d’art moderne de la Ville de Paris et au Palais de Tokyo] et lors de « Nuit blanche » à Paris.

Le bilan des acquisitions des vingt-trois Frac atteste du souci d’accorder un intérêt égal à la scène internationale et aux créateurs locaux, lesquels bénéficient d’un soutien précieux. De jeunes artistes de la région entrent chaque année dans les collections, à l’exemple, en Languedoc-Roussillon, de la sculptrice Emmanuelle Étienne, vivant à Montpellier. Mais l’année 2010 confirme la diversité des orientations des institutions régionales, qui se sont souvent spécialisées dans un domaine précis – notons qu’un même nom d’artiste figure très rarement sur deux listes d’acquisition. À l’heure où plusieurs collectivités territoriales s’investissent fortement dans le projet de développement de leur Frac par son installation dans de nouveaux bâtiments (les « Frac deuxième génération »), le « projet culturel et artistique » que défend chaque directeur auprès de ses tutelles trouve dans cette orientation précise de bons arguments. Ainsi, le Frac Franche-Comté, qui sera doté à Besançon d’un équipement en 2013 dans le voisinage du conservatoire de musique, développe un nouvel axe de recherche autour du son, à travers l’acquisition de pièces majeures de Christian Marclay, Dominique Petitgand ou Micol Assaël. 

La spécialisation des fonds est aussi un atout majeur pour le rayonnement des collections à l’étranger, auquel les structures sont encouragées, qu’il s’agisse de la collection de dessin en Picardie ou du fonds axé sur l’architecture utopique en région Centre. Comme nombre de ses homologues, l’institution orléanaise complète les ensembles qui font son originalité au-delà des frontières, achetant ainsi en 2010 quatorze pièces d’Eilfried Huth et Günther Domenig, architectes radicaux des années 1960. Mais, parmi la jeune génération qui se réapproprie le thème de l’architecture, le Frac Centre doit renoncer aux œuvres de Cyprien Gaillard, prix Marcel Duchamp 2010 et déjà hors de portée. 

L’aide des Amis
Plus qu’un « fonds », les Frac tendent à constituer des « collections », à l’image de véritables musées – avec lesquels ils pourraient bientôt se confondre, à considérer les ambitieux projets d’architecture destinés à les accueillir. Après les Frac Pays de la Loire, Lorraine, Auvergne, Poitou-Charentes et Corse, les Frac Centre, Bretagne, Paca, Franche-Comté, Nord - Pas-de-Calais et Aquitaine intégreront dans les prochaines années des équipements spécifiques afin de les « doter des moyens nécessaires à un meilleur exercice de leurs fonctions », assure le ministère de la Culture. Ces nouvelles structures, dotées de salles d’exposition, de documentation, et parfois de restaurant, n’augurent-elles pas une redéfinition des missions des Frac ? Marie-Ange Brayer, directrice du Frac Centre, posait à juste titre la question lors du colloque « Les Frac : diversité d’un modèle unique », organisé à Nantes en octobre dernier. À demi-mot, Emmanuel Latreille s’inquiète des conditions financières nécessaires à l’exercice des missions premières de ces institutions, l’acquisition et la diffusion. Plus que jamais, la double tutelle État-Région apparaît de moins en moins capable de supporter des frais de fonctionnement toujours croissants. En vue de leur déménagement, les Frac recherchent le soutien du secteur privé. En novembre 2010, la création des « Amis du Frac Aquitaine », avec à sa tête Laurent Dassault, fils de Serge Dassault et administrateur de la maison de ventes Artcurial, faisait grand bruit. Affichant ses ambitions pour le Frac, Laurent Dassault déclarait dans le quotidien Sud Ouest daté du 17 novembre envisager le doublement du budget d’acquisition – une annonce encore très éloignée de la réalité. L’aide des amis des Frac et des partenaires privés, en Aquitaine et ailleurs, est pour le moment cantonnée à l’organisation d’événements ponctuels. Leur implication dans les acquisitions est-elle toutefois souhaitable, si elle devait ouvrir une nouvelle ère de concessions ? 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°348 du 27 mai 2011, avec le titre suivant : La réinvention permanente

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