La dérive des grands chantiers culturels

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 16 décembre 2014 - 533 mots

Paris et Lyon inaugurent ces jours-ci deux bâtiments phares des années 2000 : la Philharmonie et le Musée des confluences. Deux projets emblématiques tant pour leur architecture que pour l’explosion considérable de leurs budgets.

Comme, à l’ouest de la capitale, la Fondation Louis Vuitton de Frank Gehry dans le bois de Boulogne marquera sans nul doute son époque, à l’est la Philharmonie de Paris dessinée par Jean Nouvel dans le parc de la Villette devrait elle aussi devenir un bâtiment emblématique du début du XXIe siècle. L’une comme l’autre suscitent une couverture médiatique internationale et un intérêt certain de la part des amateurs d’art pour la première, des mélomanes pour la seconde. Toutes deux sont nées d’hommes déterminés : Bernard Arnault, PDG du groupe de luxe LVMH, qui a porté son projet de musée privé pluridisciplinaire ; Laurent Bayle, président de la Philharmonie, qui a imaginé cet équipement musical public hors normes voulu par son mentor, le compositeur Pierre Boulez. Mais si les musées privés ambitieux se multiplient dans le monde, des salles de concert de l’ampleur de ce futur temple de la musique classique ne sortent pas de terre tous les jours.

Un lieu modulable à l’envi

En pensant à la Philharmonie, Boulez avait parlé de « Centre Pompidou de la musique ». La pièce maîtresse de ce complexe qui ne ressemble à aucun autre, c’est son auditorium. Outre sa taille impressionnante, cette salle offre une forme inédite, dite « enveloppante » : aucune des 2 400 places n’est éloignée de plus de 32 mètres de la scène, contre 47 mètres à Pleyel. Modulable, elle peut même accueillir jusqu’à 3 400 personnes en version musiques actuelles. L’équipement abrite également six espaces de répétition dont l’un pouvant recevoir  250 spectateurs, 10 studios, des ateliers pédagogiques, un lieu d’exposition de 800 m2 qui accueillera en mars la rétrospective David Bowie, une salle de conférences avec gradins rétractables, un restaurant, une brasserie, une librairie, un espace de réception, des terrasses à la vue époustouflante, un parking de 650 places… Un lieu de vie dont Jean Nouvel a peaufiné les détails et souffert aucune modification : du toit-promenade panoramique, recouvert d’un pavement d’oiseaux dans un camaïeu de gris, au dégradé de couleurs des sièges de l’auditorium en passant par les boiseries sculptées en forme de feuillage de la grande salle de répétition. L’Orchestre de Paris, principale formation en résidence, entend profiter de sa migration de Pleyel vers ces quartiers plus populaires pour multiplier les projets novateurs. Car le défi de la Philharmonie est bien d’attirer un public de néophytes, plus encore que de convaincre les aficionados de venir jusqu’à la Villette, la moyenne d’âge des spectateurs du classique étant tombée à 60 ans. Encore faut-il avoir les moyens de ces ambitions. Prétextant notamment que la facture du chantier a triplé pour atteindre 386 millions d’euros, la mairie de Paris, cofinanceur avec l’État de cet investissement – la région Île-de-France a apporté 10 % –, a revu à la baisse son aide au fonctionnement. Sur un budget annuel de 36 millions, la moitié devait être apportée par des subventions versées à parité entre la ville et l’État ; ce dernier va devoir ouvrir plus largement son porte-monnaie.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°675 du 1 janvier 2015, avec le titre suivant : La dérive des grands chantiers culturels

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