Allemagne

La contre-offensive de Gurlitt

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · Le Journal des Arts

Le 25 février 2014 - 793 mots

Cornelius Gurlitt demande la restitution de sa collection et lance un site internet pour défendre ses œuvres et tenter de rétablir les faits, appelant les éventuels ayants droit à un dialogue.

Münich - Christophe Edel, tuteur provisoire de Cornelius Gurlitt depuis fin décembre 2013, a engagé trois avocats pour le défendre. Tido Park et Derek Setz s’occupent de la procédure judiciaire de redressement fiscal et recel. Hannes Hartung, avocat spécialisé dans la propriété intellectuelle et les biens spoliés, gère les demandes de restitution d’œuvres. Le tuteur a également fait appel aux services d’une agence de communication. L’équipe passe ainsi à la contre-offensive.

La première étape a été de porter plainte contre X pour violation du secret d’instruction le 29 janvier dernier. « La transmission d’éléments internes à l’enquête à la presse et la violation du droit à la personne qui en a résultée ne sont en aucun cas tolérables pour Monsieur Gurlitt », a déclaré Tido Park. L’équipe a également mis en place un site internet dédié, www.gurlitt.info, en vue de dépassionner le débat et rétablir les faits. La page d’accueil comporte une déclaration de Cornelius Gurlitt : « Il y a presque deux ans, mes œuvres ont été saisies, et de nombreuses discussions publiques ont lieu depuis novembre de l’année dernière. Certains éléments rapportés par la presse sont inexacts ou incomplets. C’est pourquoi mes avocats, mon tuteur et moi fournissons ici quelques informations, afin de rendre objective la discussion autour de ma collection et de ma personne ». L’avocat Hannes Hartung a déclaré à l’occasion de la mise en place du site internet : « Il y a en Allemagne beaucoup de collections privées et publiques qui ont une part bien plus élevée de biens potentiellement spoliés par les nazis que dans la collection Gurlitt. Pour ces collections et pour les directeurs de musée, il n’y a pourtant aucune sanction visible », s’insurge l’avocat Hannes Hartung. Il ajoute que les demandes de restitution ne concernent à l’heure actuelle que 3 % de la collection. Michael Naumann, ancien ministre fédéral de la Culture, avait exprimé la même opinion lors d’un débat télévisé en décembre dernier, affirmant qu’il connaissait des cas scandaleux dans des musées qui auraient pu être facilement restitués à leurs ayants droit. Sur le site internet, disponible en allemand et en anglais, figurent des informations juridiques et des informations sur la collection, ainsi qu’un formulaire qui permet de déposer directement une demande de restitution.

Plainte contre la saisie
Le 19 février dernier, Tido Park et Derek Setz ont porté plainte contre le ministère public d’Augsbourg, en réclamant la restitution des œuvres saisies en février 2012 au domicile de Cornelius Gurlitt. Au moment de la publication de l’affaire, des experts juridiques s’étaient interrogés par voie de presse dès novembre sur la validité de cette saisie. En cas de procédure de redressement fiscal, une saisie par échantillonnage aurait suffi au lieu de l’ensemble de la collection. Par ailleurs, de telles saisies ne durent pas deux ans. La plainte de 45 pages reprend ces éléments de défense, affirmant notamment que le principe de proportionnalité n’a pas été respecté. Les avocats précisent toutefois que cette demande de restitution n’entravera pas les discussions avec les ayants droit : « Monsieur Gurlitt, ainsi que sa défense, sont pleinement conscients de la dimension morale de cette affaire. La procédure pénale n’est toutefois pas le lieu approprié pour ces considérations morales », a conclu Tido Park.

La « Lex Gurlitt » devant le Parlement allemand

Vivement critiqué pour la gestion de l’affaire Gurlitt, le ministre de la Justice du Land de Bavière, Klaus Bausback, a essayé de reprendre la main en proposant une « Lex Gurlitt ». Un projet de loi porté par le Land de Bavière a été soumis au Bundesrat en session plénière le 14 février dernier. La restitution de biens spoliés par les nazis se heurte au délai de prescription de 30 ans. Les détenteurs de biens spoliés peuvent se réclamer de ce délai depuis le 8 mai 1975 pour refuser les demandes de restitution. La loi vise non pas à abolir le délai de prescription, mais à le contourner en cas de possession d’œuvres spoliées, notamment par les nazis, dont l’acquisition s’est faite de mauvaise foi. Un projet similaire avait été soumis par le Bundesrat le 9 novembre 2001, jour de commémoration de la Nuit de cristal, des pogroms contre les juifs du IIIe Reich. Le projet avait à l’époque échoué faute de soutien politique du gouvernement fédéral. L’actualité de l’affaire Gurlitt confère plus de chances de réussite à cette nouvelle tentative. Le Bundesrat, chambre haute du Parlement allemand qui représente les Länder, a renvoyé l’examen de la proposition de loi en commission parlementaire, et se prononcera ainsi au plus tôt le 14 mars prochain. Si le texte de loi est approuvé, il devra ensuite être soumis au gouvernement fédéral, avant de passer devant le Bundestag, la chambre basse du Parlement allemand.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : La contre-offensive de Gurlitt

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