La céramique sur un faux plat

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 5 septembre 2012 - 764 mots

Après avoir connu une très forte progression, dopé par la « fièvre acheteuse » d’une poignée d’institutions culturelles, le marché de la céramique islamique retrouve aujourd’hui la raison.

C’est au XIXe siècle que se constituent les premières grandes collections de céramiques islamiques. Elles sont alors la chasse gardée d’esthètes et d’érudits fondus d’objets d’art orientaux comme les Goncourt. L’absence de tout contrôle douanier aux frontières leur permet de sortir librement ces trésors de leurs pays d’origine, et ce, jusqu’aux années 1920.

Collectionner la céramique islamique, c’est plonger à la découverte d’un bassin couvrant la Perse, l’Asie Mineure, la Syrie, l’Égypte, l’Inde, l’Afrique du Nord et l’Espagne ; s’immerger dans l’histoire de ces pays soumis à l’influence de l’Islam et nager au milieu d’une multitude de pièces de rêve produites entre le VIIIe et le XVIIIe siècle. C’est au cours de ces dix siècles qu’ont été mis au point les prototypes de la faïence et de la porcelaine tendres. Au IXe siècle, les potiers ont élaboré, en Mésopotamie, une céramique composée d’une pâte argileuse recouverte d’une glaçure opacifiée à l’oxyde d’étain. Deux siècles plus tard, les ateliers iraniens développent des pâtes siliceuses et créent des pâtes translucides qui imitent la porcelaine chinoise. Des pièces ornées de décors incisés et de motifs représentant des animaux ou des fleurs, associés à des calligraphies. Samarkand est considéré comme le centre classique de la céramique à glaçure de l’Asie centrale. C’est là qu’ont été produites, du IXe au XIIIe siècle, des céramiques exceptionnelles aux décors floraux, végétaux, géométriques, peuplés de scènes animées et de calligraphies. Après les ateliers du Caire et de Damas, les Ottomans ont permis au XVIe siècle l’épanouissement de la céramique islamique qui connût alors son apogée. Les pâtes siliceuses d’Iznik sont très recherchées pour l’intensité de leurs couleurs, et l’éclat de leur fameux rouge. « Jusqu’aux années 1950, des possibilités extraordinaires s’offraient aux collectionneurs, écrit Stuart Cary Welsh dans sa Petite histoire de l’art du livre et du collectionneur. « Lors d’une expédition à Paris chez Kevorkian, Soustiel, Hindamian ou Injoudjian, on pouvait découvrir des œuvres d’art splendides et les acheter pour le prix d’un bon déjeuner. » Cette époque bénie des collectionneurs est aujourd’hui révolue.

Le marché se recale
Autrefois réservé à une poignée d’initiés, le marché de l’art islamique s’est ouvert à un plus large public dans les années 1960, multiplication des ventes publiques oblige. Résultat : les prix n’ont cessé de progresser pour les pièces de très grande qualité. Lors de la première grande vente parisienne d’art islamique – celle de la collection Adda- à Paris en novembre 1965 sous le marteau de Maurice Rheims, une assiette Iznik s’est vendue pour l’équivalent de 15 000 euros. Aujourd’hui, ce chef-d’œuvre se négocierait vingt fois plus cher. Interrompus dans leur élan par la crise du début des années 1990, les prix sont repartis à la hausse à la fin de la décennie. Les pièces exceptionnelles bien conservées et pourvues d’un intérêt historique ont atteint, depuis lors, des sommets. Ces cas de figures mis à part, les cotes de la céramique islamique ont connu une progression lente et régulière jusqu’au début des années 2000. « Ces dernières années, ce marché a connu une très forte accélération. Il a été tiré trop haut et de manière irrationnelle par une poignée d’institutions très actives », souligne le marchand Alexis Renard. Un plat bleu et blanc de céramique Iznik datant des années 1480-1500 s’est envolé, à Londres récemment, pour l’équivalent de 310 000 euros. Une jolie poterie polychrome d’époque Safavide, ornée de décors floraux joyeusement piétinés par un cavalier, est partie, elle, à 170 000 euros en avril dernier à Londres (Christie’s Londres 26 avril, lot 163).
« Aujourd’hui, l’orage est passé. Le marché se recale depuis un an ou deux », poursuit le spécialiste d’art islamique.

Pour 1000 à 1 500 euros, vous repartirez de chez votre marchand préféré avec une pièce monochrome dotée d’une glaçure et d’un décor simples. Un objet moins recherché et donc plus accessible que les pièces à décors épigraphiques. Les céramiques les plus rares sont les Fatimides, suivies par les Abbassides. Les prix sont avant tout fonction de la beauté des couleurs (les turquoises et bleus cobalts sont recherchés), de la qualité du dessin mais aussi de celle de la glaçure. Attention à l’irisation. Une pièce dont le décor polychrome est recouvert d’irisation perdra de sa valeur. C’est sans doute ce qui explique qu’une petite coupe bleu cobalt Kashan (centre de l’Iran, XIIe siècle) décorée de motifs circulaires irisés n’ait pas dépassé les 250 euros à Paris au printemps dernier. À la fin de l’été, tous les amateurs convergeront religieusement vers le Musée du Louvre. Nul doute que la réouverture de son département d’art islamique nimbera la spécialité d’une nouvelle aura.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : La céramique sur un faux plat

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque