L'Actualité vue par

Jean-Louis Froment et Didier Ottinger, commissaires de « La Force de l’art »

« Une large part est faite à la génération émergente »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 28 avril 2009 - 1637 mots

La deuxième édition de la Triennale consacrée à la scène française a ouvert ses portes le 23 avril au Grand Palais, à Paris. Avec l’écrivain et critique d’art Jean-Yves Jouannais, Jean-Louis Froment, fondateur en 1973 puis directeur jusqu’en 1996 du CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux, et Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’art moderne/Centre Georges Pompidou, en sont les commissaires. Jean-Louis Froment et Didier Ottinger reviennent sur l’exposition et commentent l’actualité.

Comment vous êtes-vous positionné par rapport à la première « Force de l’art » en préparant cette seconde édition ?
Jean-Louis Froment : Nous ne nous sommes pas positionnés par rapport à la première « Force de l’art ». Nous avons vraiment eu envie de faire une exposition ensemble. Dans la précédente édition, coexistaient des points de vue d’un certain nombre de curateurs, de personnalités de l’art, qui ont créé des récits. Nous, nous avons passé beaucoup de temps à parler, en nous disant : « Qu’est-ce que nous ne voulons pas ? » Nous ne voulions pas d’une exposition qui raconte quelque chose, qui s’appuie sur une thématique, qui soit discursive dans tous les sens du terme. Nous ne voulions pas nous appuyer sur un abus de scénographie qui recouvre dans beaucoup de cas aujourd’hui le sens des œuvres. Nous parlions d’architecture et non pas de scénographie. Nous voulions faire un projet où l’œuvre d’art est prédominante par rapport à l’idée d’exposition. Dans notre projet, il y a autant d’expositions que de propositions artistiques. L’architecte Philippe Rahm a travaillé de très près avec nous et les artistes. Son projet est un radeau que l’on pourrait transporter ailleurs. Le Grand Palais n’est qu’un lieu d’accueil, parce que nous voulions écarter la question du rapport de l’œuvre à l’espace.
Didier Ottinger : Nous voulions affirmer des choix, des engagements clairs envers des artistes et des œuvres. L’écueil d’une manifestation comme celle-ci, qui est censée rendre compte de la création en France dans toutes ses composantes, dans sa diversité, est qu’elle peut conduire à une forme d’échantillonnage. Nous voulions assumer pleinement nos choix en offrant aux artistes des espaces suffisamment généreux pour qu’ils y déploient leurs univers poétiques. Nous avons imaginé plusieurs scénarios de thématisation de l’exposition. Le statut de l’art contemporain, l’attente générale de la société à son égard est, au final, ce qui constitue de mon point de vue le véritable sujet de cette manifestation. Nous sommes tous témoins des pressions diverses qui pèsent sur l’art contemporain, sollicité de toutes parts, appelé à répondre à une infinité de questions. Il y va de la pression accrue du marché, des acteurs politiques, commerciaux, touristiques… Dans un tel contexte, nous avons pu être conduits à penser à la nécessité de donner aux artistes un espace leur permettant d’échapper à ces pressions diverses, un espace de respiration totalement libre pour leurs œuvres. Cette position supposait que notre propre discours se mette relativement en veilleuse par rapport au sens général des œuvres. Elle a conduit à nous faire concevoir pour chaque artiste un espace idéal pour son projet et à réduire nos velléités quant à l’option d’un thématisation générale de l’exposition. Celle-ci, si elle existe, n’est venue qu’à posteriori. S’il doit y avoir un sens à cette exposition, nous avons souhaité qu’il ne puisse être qu’inductif.

Comment s’est fait le choix des artistes ?
D. O. : Chacun d’entre nous est venu avec son sac à dos, lourd de ses engagements, de ses convictions passés. Nous pouvions avoir une histoire, une vision propre des enjeux de l’art contemporain. Rapidement toutefois, nous avons oublié d’où nous venions, pour œuvrer à une vision partagée.
J-L. F. : Nous nous sommes aussi appuyés sur le réseau d’information que sont les centres d’art.

Vous présentez aussi des artistes peu ou pas connus.
J-L. F. : Oui comme Fayçal Baghriche, Butz&Fouque, Nicolas Fenouillat, le Gentil Garçon… Il y a une alchimie. Ce sont des œuvres qui ont pu nous conduire vers des artistes.
D. O. : Cette exposition est la démonstration à l’usage des professeurs de philosophie du principe kantien de la possible universalisation des jugements esthétiques. Nous sommes chacun partis d’un point de vue personnel, subjectif, pour parvenir au fil de nos débats à partager une vision commune.

Pourquoi avez-vous mis en place plusieurs rythmes avec les Résidents, les Visiteurs, les Invités et les Virtuels ?
J-L. F. : C’était dans notre cahier des charges. Mais nous n’avons jamais senti Annette Messager, Buren, Collin Thiébaut, Pierre & Gilles, etc., sur le terrain de l’exposition au Grand Palais. Bertrand Lavier, par exemple, a depuis longtemps envie de dérégler le système lumineux de la tour Eiffel. Nous n’allions pas rater ça ! Nous avons ensuite imaginé un programme avec des gestes très légers mais forts et matures. Ce sont des satellites artistiques, émotionnels.
D. O. : Autre récit. La question était : « Que faire avec des artistes qui apparaissent dans nos listes ? Comment faire une exposition d’envergure internationale consacrée à la scène française en occultant la présence d’artistes aussi éminents ? » On espère que l’exposition sera vue et commentée au niveau international. Un tel objectif suppose que notre proposition soit suffisamment neuve, originale. Son attractivité tient, nous l’espérons, à ce qu’elle fait une large part à une génération émergente d’artistes. Pour les artistes déjà reconnus, nous avons imaginé une formule d’intervention artistique sur le mode du « parrainage ».
J-L. F. : Ces derniers avaient aussi envie d’y être, de participer à cette aventure. Les artistes de la jeune génération sont toujours dans la surcharge, dans le poids, à la différence des aînés. Annette a réalisé une pièce avec seulement deux ballons…
D. O. : Nous avons voulu assumer les stéréotypes que peut susciter une exposition parisienne dont le cœur est le Grand Palais. Assez vite, nous avons pensé signaler les grands bâtiments emblématiques de Paris, jouer avec ces cartes postales parisiennes vers lesquelles nous avons aiguillé les artistes.
J-L. F. : Il y a des moments artistiquement sensibles à créer dans Paris.
D. O. : En jouant avec ces stéréotypes, nous espérons aussi qu’un large public pourra accéder à ces œuvres. Les placer dans des lieux touristiques répond à un programme de « pédagogie douce ».
J-L. F. : L’exposition est aussi un signal concernant l’art et renvoie sur tous les centres d’art de province, qui ont vraiment une activité formidable. Elle doit être utile pour eux qui rament dans leur coin avec un public difficile, pris en otage par les municipalités.
D. O. : La liste des œuvres comporte des projets qui ont déjà été présentés dans des centres d’art, comme l’œuvre de Guillaume Leblon exposée déjà au domaine de Kerguéhennec, celles de Dominique Blais à la Galerie de Noisy-le-Sec et de Stéphane Calais au Credac à Ivry-sur-Seine.

De nombreuses expositions à l’international sont actuellement consacrées à des scènes nationales, comme la Triennale de la Tate à Londres. Comment positionnez-vous votre exposition par rapport à cet environnement ?
J-L. F. : Nicolas Bourriaud, à Londres, a fait un casting d’œuvres pour défendre sa pensée. Nous avons fait le contraire. La mise en vue de l’exposition n’a rien à voir non plus. à Londres, il y a un échantillonnage.
D. O. : Les années passées ont vues les biennales s’imposer comme standard de l’exposition internationale. Il semblerait qu’émerge aujourd’hui une nouvelle typologie d’expositions élaborées à partir de la réalité de la fabrication et de la pensée de l’art contemporain. Cette alternative possible est celle des « scènes ». Ces scènes ne sont pas caractérisées par des critères nationaux, Berlin, Los Angeles sont cosmopolites. J’ai aussi pensé à « Greater New York 2005 » [à PS1] qui était différente de la Biennale du Whitney. Nous avons eu le phantasme de créer quelque chose de cet ordre-là, imaginant que la « scène française », avec ses réseaux d’artistes, de collectionneurs, de musées, de centres d’art, était un des ces creusets possible de la création contemporaine.
J-L. F. : En fait, la manifestation la plus nationaliste est la Biennale de Venise, avec une compétition des pays au travers des artistes.

Dans ce contexte, quelle est votre opinion par rapport au nouveau lieu qui devrait être créé dans les sous-sols du Palais de Tokyo et que l’on a pensé consacrer à la scène française ?
J-L. F. : Je pense que consacrer ce lieu à la scène française est une immense erreur. Au contraire, que les institutions déjà en place s’intéressent davantage à la scène française et développent des vrais projets. C’est sur les lieux symboliques de l’art que les choses doivent se passer réellement. Ghettoïser l’univers de l’art me semble une très mauvaise chose.
D. O. : L’idée positive est d’offrir un lieu de plus, consacré à une génération dont nous mesurons la difficulté à présenter les œuvres au Centre Pompidou, compte tenu du cahier des charges, du spectre énorme en matière de typologie d’exposition que nous avons mission de couvrir. Si nous pouvons faire plus, saisissons les outils qui nous permettent de le faire.
J-L. F. : Mais ce n’était pas le projet. Cet espace sur la scène française ciblait automatiquement une programmation. Faites au Centre Pompidou un programme infiniment plus inventif que celui que vous faites en général ! Et arrêtez de tout envahir !

Quelle exposition vous a marqué récemment ?
D. O. : Beaucoup d’expositions parisiennes fantastiques ces derniers temps. Je trouve « Calder » remarquable par la grâce, l’inventivité de l’œuvre, par l’élégance de sa mise en scène. J’ai beaucoup apprécié l’exposition « Warhol », qui offre une relecture grave et profonde de cette œuvre qu’on croit trop connaître. Et il ne faudrait pas rater non plus l’exposition de George Condo à la fondation Maillol
J-L. F. : Je dirais aussi « Calder », au niveau de la sensibilité. Là aussi, le peu du peu par rapport à la poétique des choses.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°302 du 2 mai 2009, avec le titre suivant : Jean-Louis Froment et Didier Ottinger, commissaires de « La Force de l’art »

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