Jean de Loisy : « Le Palais de Tokyo ne doit jamais devenir institutionnel »

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 21 mars 2012 - 955 mots

Commissaire d’expositions, dont « Traces du sacré » à Beaubourg (2008) et, bientôt, « Les maîtres du désordre » au Quai Branly, Jean de Loisy a dirigé le Frac des Pays de la Loire et la Fondation Cartier avant d’accepter la présidence du Palais de Tokyo.

Le 12 avril, Paris inscrira un nouveau centre d’art, le plus grand d’Europe, sur sa cartographie de l’art contemporain. Et non des moindres : plus de 20 000 m² situés sur la colline de Chaillot, face à la tour Eiffel, dans un Palais de Tokyo rénové enfin ouvert dans son intégralité au public.

L’œil : Le Palais de Tokyo ouvrira-t-il en temps et en heure ?
Jean de Loisy : Les travaux seront livrés le 30 mars, dans le respect de l’enveloppe budgétaire et du calendrier. Nous organisons une « entreouverture » le 12 avril, avec plus de trente heures d’ouverture d’affilée, jour et nuit, pendant que la Triennale achèvera son montage pour le 19 avril [lire p. 42]. Le public pourra donc, dès le 12 avril, outre les performances et les concerts, découvrir les œuvres créées par Christian Marclay, Ulla von Brandenburg, Vincent Canivet, Laurent Derobert ou Jean-Michel Alberola pour le bâtiment.

L’œil : Par rapport au projet initial porté par Olivier Kaeppelin, votre prédécesseur, il n’est donc plus question d’un lieu consacré aux artistes français mais plutôt à « la scène française ». Est-ce exact ?
J. de L. : Rien n’a changé depuis cent cinquante ans : la scène française, ce sont des artistes liés à notre situation mais s’inscrivant dans un contexte international. La dominante au Palais sera liée à la présentation d’artistes de la scène française, mais il n’est pas question de créer un « Whitney » à la française [en référence au musée d’art américain de New York]. Le lieu sera ouvert à toutes les générations et à toutes les nationalités, cela en insistant sur les artistes liés à notre histoire. Mais l’ADN du Palais est aussi constitué d’un soutien particulier aux jeunes artistes.

L’œil : Le projet prévoyait aussi de faire du Palais une tête de pont de l’art contemporain en liaison avec les écoles, les Frac ou les centres d’art. Comment cela va-t-il se concrétiser ?
J. de L. : Dès cet automne, nous présenterons le travail de l’École supérieure d’art d’Avignon et particulièrement de son département de restauration, le « département de consolation des objets », qui mène un travail à la fois poétique et technique sur les cas limites, c’est-à-dire des objets qui risquent de perdre la nature de leur charme, au sens magique du terme, s’ils sont restaurés. Nous montons également un prix annuel avec les écoles d’art, la « Tokyo Art School ». Et le trentième anniversaire des Frac sera célébré par un moment très performatif. Nous sommes donc bien une tête de pont, y compris auprès des fondations privées.

Si nous devons défendre l’art qui se montre en France, il faut enrichir et soutenir l’écosystème. C’est dans cet esprit que nous confierons tout le Palais, en 2013, à une quinzaine de jeunes curateurs, français et internationaux, de façon à attirer l’attention vers d’autres personnes, susceptibles de concevoir une exposition différemment des institutionnels que nous essayons de ne pas devenir.

L’œil : En rythme de croisière, que pourra-t-on voir au Palais de Tokyo ?
J. de L. : Dans les moments d’intensité, il y aura toujours au moins entre quatre et sept expositions simultanées. Une saison sera constituée par une grande exposition thématique, une personnelle, deux dédiées à de jeunes artistes, des modules... Nous poursuivrons également le principe des cartes blanches aux artistes. Au printemps 2014, nous confierons l’intégralité du Palais, bureaux et menus des restaurants compris, à un artiste français. Et dès le mois de septembre, nous accueillerons également le Palais pour les enfants, conçu par Hans-Walter Müller.

L’œil : Votre programmation est-elle déjà bouclée ?
J. de L. : J’essaie de faire en sorte que notre programmation ne soit jamais totalement bouclée pour que nous restions un espace d’expérimentation et de réaction. Le lieu ne doit jamais devenir institutionnel en termes de comportement. Le Palais de Tokyo doit laisser la porte ouverte aux invasions d’artistes choisis qui ont besoin de réagir à l’actualité. Ce sont les programmes que nous appelons « les alertes ».

L’œil : Vous sentez-vous observé par vos homologues à l’étranger ?  
J. de L. : Du Kunsthaus de Zurich à la Tate Modern de Londres, en passant par Los Angeles, il y a en effet une grosse attention portée au Palais de Tokyo. C’est un endroit qui va compter. Déjà parce qu’il s’agit du plus grand centre d’art en Europe. En termes de surfaces, pas de budget.

L’œil : Ce budget, quel est-il justement ? 
J. de L. : Il s’élève à environ douze millions dont la moitié vient de l’État, le reste de notre autofinancement. J’ai toutefois fait un gros effort pour ne pas poursuivre l’idée de l’installation d’une galerie marchande. Nous tâcherons de faire davantage de privatisations et de signer d’autres partenariats pour compenser ce manque à gagner. Mais je ne vous cache pas que je préférerais que mon budget s’élève à quatorze millions d’euros. Tout simplement parce qu’il y a un seuil où le poids de la structure est trop important par rapport aux événements artistiques qu’il produit. Mon souhait serait que 35 % de notre budget, au minimum, soit consacrées aux expositions. Aujourd’hui, nous sommes entre 25 et 30 %, cela malgré une équipe extrêmement légère.

Informations pratiques

Après dix mois de travaux et 14 000 m2 d’espaces supplémentaires sur quatre niveaux, le Palais de Tokyo rouvre ses portes à partir du 20 avril avec la Triennale. Pour découvrir le lieu en avant-première, 36 heures de programmation en continu sont organisées du 12 avril à 20 h jusqu’au lendemain minuit. Palais de Tokyo, Paris-16e. Ouvert tous les jours sauf le mardi de midi à minuit. Tarifs : 8 et 6 €. www.palaisdetokyo.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°645 du 1 avril 2012, avec le titre suivant : Jean de Loisy : « Le Palais de Tokyo ne doit jamais devenir institutionnel »

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