architecte

Ito, le grand timonier

L'ŒIL

Le 1 avril 2000 - 596 mots

Avec l’achèvement de son dernier vaisseau-amiral, Toyo Ito, 59 ans, est en passe de devenir le nouveau chef de file de l’architecture dans son pays.

En détrônant Tadao Ando, Toyo Ito ébranle radicalement l’image que se façonnait jusqu’alors l’Occident de l’architecture japonaise. Non que son approche remette fondamentalement en cause les acquis de la tradition et de la modernité, mais parce qu’il ouvre une perspective viable et poétique à la dématérialisation de l’architecture à l’ère des médias et de la technologie. En effet, à l’Éloge de l’ombre et à l’Empire des sens, si présents dans la spiritualité des espaces de Tadao Ando, Ito ajoute un « empire des signes » contemporains en fonction de programmes et de matériaux disponibles. En complément à sa célèbre maison répondant au joli nom de Silver Hut (1984), Toyo Ito avait lui aussi joué du béton, de l’espace et de la lumière dans le Whit U (1976), conçu pour sa sœur et ayant fait abondamment l’actualité l’année dernière lorsque, à l’issue d’un rachat du terrain, le promoteur avait tout simplement détruit cette œuvre majeure. Mais depuis Blade Runner, le célèbre film de Ridley Scott, Toyo Ito n’a cessé d’investir l’imaginaire de l’architecture du futur : projet de restaurant mobile ou de mobilier pour les femmes nomades à Tokyo (1986) mais surtout la Tour des vents (1986) ou l’Œuf des vents (1991), excroissances architecturales destinées à exprimer les flux urbains de voitures, d’images, surtout visibles de nuit, quand la ville dort... Légèreté du métal, du verre, des matériaux plastiques, nomadisme et porosité d’édifices de plus en plus réceptifs à l’urbanité contemporaine. C’est à une interpénétration dermique de l’architecture avec la ville et les médias que s’attaquait Toyo Ito dans son idée de Blurring Architecture. Sans doute est-ce pour toutes ces raisons que les jeunes architectes nippons sont désormais bien plus influencés par l’humilité et la souplesse des réalisations de Toyo Ito, que par le classicisme moderne d’Ando. Mais, sans doute est-ce aussi pour cela que tout le monde attendait avec impatience l’achèvement de son nouveau projet : la médiathèque de Sendaï. Vaisseau ou bâtiment, selon que l’on veuille ou non en souligner la métaphore navale, le carénage métallique de cet édifice exceptionnel a abondamment fait recours à la technologie de construction des pétroliers. Marché public remporté en 1995, Toyo Ito avait présenté un projet très séduisant. Mais pour un programme aussi dématérialisé que peut l’être une médiathèque, dédiée notamment aux banques de données électroniques et mondiales de l’Internet, la présentation de son projet au concours n’était pas moins virtuelle que ce qu’il était sensé accueillir. Tout se jouait en effet autour d’une maquette blanche, translucide, cubique et sans façades, autrement dit au plus abstrait que peut le permettre l’expression d’une intention architecturale ! Composé initialement de douze fuseaux en résille métallique dans lesquels se logeaient discrètement les circulations verticales, le projet superposait six plateaux en totale lévitation. Justifiant cette économie conceptuelle, Toyo Ito nous confie qu’« images et réalité sont intéressantes et complémentaires. Ce que j’ai voulu mettre en œuvre dans ce projet, c’est une sorte de forêt donnant la possibilité à un bâtiment de se continuer et de transformer un mur de façade. » À Paris, l’Institut français d’Architecture a présenté récemment la maquette du projet de Toyo Ito pour l’hôpital Cognaq-Jay dans le XVe arrondissement. En compétition avec l’Architecture Studio, Paul Chemetov, Jean Nouvel et Dominique Perrault, Ito a été le gagnant de ce concours lancé en septembre 1999. L’hôpital Cognaq-Jay sera donc la première œuvre en France de cet architecte devenu le chef de file de la jeune génération.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°515 du 1 avril 2000, avec le titre suivant : Ito, le grand timonier

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