Georges Didi-Huberman - Un œil pour l’histoire

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 7 novembre 2012 - 591 mots

Au commencement était un atelier, celui de son père dont il raconte qu’enfant, il y passait volontiers tout son temps, faisant l’assistant, lavant les pinceaux et, très tôt, questionnant ledit père sur le pourquoi et le comment de ce qu’il faisait.

Stéphanois d’origine, né en 1953, il relate encore comment, adolescent, il travaillait au Musée d’art moderne, aidait à la documentation, assistait aux accrochages, voire s’essayait à quelques visites commentées.

Si, de l’atelier paternel, il dit que c’était « un lieu pour l’art, pour la beauté, pour la consolation et pour la dimension érotique des images », Georges Didi-Huberman ne tarde pas à préciser que l’expérience qu’il fit de celles-ci tient aussi pour une autre moitié à la bibliothèque maternelle.
Là, le rêve était brisé, car en fait d’images, c’étaient celles de la guerre, des camps, de « l’horreur historique dans l’inverse absolu de toute beauté ».

« Une façon de poser les questions, une façon de mettre en jeu le désir... »
Tel est le cadre dans lequel le jeune Didi-Huberman a appris à regarder. Si « l’élément natif » – comme il dit – de sa relation à la chose artistique a été l’art contemporain, au sein même de sa famille, c’est en Italie, où il a séjourné quelques années plus tard, qu’il a fréquenté l’art médiéval et renaissant puis qu’il y est entré. Une trajectoire à rebours, pourrait-on dire, mais une même posture inquiète de concevoir comment et pourquoi cela existe avant même de savoir qui a fait quoi ou ce que cela veut dire.

Bref, les processus, les protocoles d’abord et avant tout, pour mieux pénétrer le sujet, le comprendre, l’envisager et en faire un stimulant d’intelligence, le vecteur d’un questionnement fondamental, celui de notre rapport au monde. Il y a chez cet historien d’art et ce philosophe quelque chose d’une passion pour l’image qui l’a conduit à en élaborer l’expérience selon trois modes : « une façon de poser les questions, une façon de mettre en jeu le désir – de sentir, de voir, de connaître – et une façon d’écrire tout cela ».

Après le questionnement, l’écriture, c’est le second temps de sa vie. Un temps d’une incroyable profusion qu’il explique « au regard d’une situation actuelle… qui est globalement faite pour censurer », et qu’il oppose à tous les empêchements de l’appareil universitaire « en tant que monde du travail ». Enseignant à l’École des hautes études en sciences sociales, il dit avoir suivi le conseil de Gilles Deleuze en choisissant la puissance contre le pouvoir parce que ce qui importe par-dessus tout est « la construction des conditions de nos libertés ».

Fécond, Georges Didi-Huberman est un auteur dont les écrits procèdent d’une dualité : l’ordre du savoir et celui de l’association libre. Qu’il traite du flamenco, de Fra Angelico, de Giacometti, de Hantaï ou de Penone, qu’il aborde Le Gai Savoir visuel selon Bataille, qu’il rédige un Essai sur le drapé tombé ou qu’il décline L’Œil de l’histoire, « écrire sur les images, c’est d’abord écrire ». C’est pour lui l’occasion « de se réinquiéter à chaque fois ». Aussi avoue-t-il que ses auteurs les plus chers sont Bataille, Baudelaire, Benjamin, Eisenstein, Carl Einstein, Maurice Blanchot et quelques autres… sans oublier l’historien d’art Aby Warburg.

Biographie

1953 Naissance à Saint-Étienne.

Depuis 1990 Maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

2006 Il reçoit le prix Gay-Lussac Humboldt en histoire de l’art.

2012 Vient de paraître : Peuples exposés, peuples figurants. L’Œil de l’histoire, t. 4, Éditions de Minuit, 23 €.

« Histoires de fantômes pour grandes personnes »

Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, 22, rue du Fresnoy, Tourcoing (59), www.lefresnoy.net, jusqu’au 30 décembre 2012.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°652 du 1 décembre 2012, avec le titre suivant : Georges Didi-Huberman - Un œil pour l’histoire

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