George Sand en son phalanstère

Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2004 - 1295 mots

À l’occasion du deux centième anniversaire de sa naissance, Paris se joint au Berry pour évoquer la riche personnalité de George Sand, écrivain, femme engagée et amie de nombreux artistes.

Administrateur de la maison de George Sand  à Nohant (Indre), Georges Buisson soupire : « Sa production littéraire est souvent réduite à quelques romans champêtres. Quant au personnage, il oscille entre deux extrêmes : la mangeuse d’homme aux scandaleuses liaisons et la “bonne dame de Nohant”, accorte grand-mère fabriquant elle-même ses confitures. » À l’image des connaisseurs de George Sand (1804-1876), il espère que les manifestations, expositions et rencontres organisées dans le cadre du bicentenaire de sa naissance contribueront à donner une image plus juste et complète de la romancière.
Au cœur du quartier de la Nouvelle- Athènes à Paris, le Musée de la Vie romantique a réuni une centaine d’œuvres illustrant son univers familial, ses affinités électives ou encore sa « nature d’artiste ». Le portrait du maréchal de Saxe par Maurice Quentin de La Tour témoigne de ses nobles origines – George Sand descendait par son père du roi de Pologne –, tandis que des portraits peints de Liszt, Musset, Chopin, Flaubert, Dumas fils, et les daguerréotypes représentant Delacroix et Balzac content les célèbres amours et non moins célèbres amitiés nouées par la femme de lettres. Cette dernière aimait rassembler ce beau monde dans sa demeure berrichonne de Nohant, qui prenait alors des allures de phalanstère artistique. En témoigne notamment l’Éventail de caricatures (1838), qui épingle avec humour les habitués de la maisonnée. La romancière y est figurée déguisée en bergère, tenant sur le poing « l’oiseau sacré Chopinios [Chopin] ». Liszt, agenouillé à ses pieds, « lui décrit un concerto de clarinette qu’il vient de composer », tandis que « le berger Croiseillas [Delacroix], improvise en l’écoutant un tableau charmant », commente-t-elle au dos du dessin. Cette œuvre, exécutée à deux mains avec le peintre Auguste Charpentier (auteur de son plus célèbre portrait, conservé lui aussi au Musée de la Vie romantique), met par ailleurs en lumière le goût de Sand pour les beaux-arts, une inclination également évoquée par d’étranges paysages réalisés à l’aquarelle, les « dendrites ». Ce procédé, pour lequel l’écrivaine se passionna à la fin de sa vie, consistait à jeter sur la feuille des tâches de couleurs, puis à les étaler au moyen d’un papier absorbant. « Cet écrasement produit des nervures parfois curieuses. Mon imagination aidant, j’y vois des bois, des forêts et des lacs, et j’accentue les formes vagues produites par le hasard. » Riches en ramifications et arborescences, celles-ci sont plus proches des frottages de Max Ernst que des œuvres de son temps !

« Son Nohant »
Terre d’adoption de George Sand, le Berry multiplie de son côté les hommages. Le salon du square d’Orléans à Paris, qu’elle partageait avec Chopin, a été reconstitué au Musée-Hôtel Bertrand à Châteauroux, ses combats politiques sont retracés au château d’Ars, et ses dendrites sont montrées, sous forme de fac-similés cette fois, à la mairie de Gargilesse (lire aussi l’encadré).
Par-delà ces manifestations, la « Vallée noire » porte encore l’empreinte de la « bonne dame de Nohant » ; ses sites et paysages sont autant de prétextes à marcher sur les pas de l’écrivaine, à découvrir ou redécouvrir le pays de la Petite Fadette, « ces endroits couverts, ces ruisseaux grouillants dans les ravines, ces herbages fins, ces chemins de sable et tous ces arbres d’un beau croît et d’une grande fierté » (Les Maîtres Sonneurs, 1853). George Sand puisa dans la nature, mais aussi dans les richesses architecturales de la région, le cadre de nombre de ses romans. Ainsi du moulin d’Angibault, où se situe l’action du Meunier d’Angibault, du château d’Ars, où elle plaça plusieurs scènes des Beaux messieurs du Bois doré, ou encore de la tour Gazeau et du château de Sainte-Sévère, qui apparaissent dans Mauprat. Mais on pourrait en citer bien d’autres, tels l’imposante forteresse de Sarzay, rebaptisée le « château de Blanchemont » dans Le Moulin d’Angibault, ou le château médiéval de Boussac, scène de Jeanne, son premier roman champêtre. Rares sont en définitive les monuments qui ne parlent pas de la vie ou de l’œuvre de l’auteur. Située à quelques kilomètres de Nohant, l’église Saint-Martin de Vic doit par exemple la sauvegarde de son cycle de fresques du XIIe siècle à la romancière, qui œuvra pour son classement auprès de Prosper Mérimée, alors inspecteur des Monuments historiques.
La riche personnalité de l’écrivaine, amatrice d’art comme de minéralogie, de théâtre comme de botanique, trouve enfin dans la visite de « son Nohant » une illustration éclatante. Cette grande demeure bourgeoise, où George Sand passa son enfance puis séjourna tout au long de sa vie, « n’est pas un musée, mais un lieu d’atmosphère, où tout est resté en l’état », explique non sans fierté Georges Buisson. La cuisine conserve encore la batterie de cuivres dans lesquels l’écrivaine confectionnait ses confitures, et la salle à manger, où la table est dressée, semble attendre ses convives. À l’étage, la chambre de Sand est toujours tapissée « en bleu tendre parsemé de médaillons blancs » et meublée en Louis XVI, et son grand bureau, peuplé de fossiles, minéraux, livres et objets souvenirs. Mais la pièce la plus étonnante reste le petit théâtre, « grand comme un mouchoir de poche ». On y trouve un « théâtre des acteurs vivants » avec coulisses, décors et rideau de scène, et un castelet de marionnettes sculptées par Maurice Sand, son fils. Les spectacles qui s’y déroulaient, la ravissant, pouvaient accueillir jusqu’à 50 personnes, mais uniquement les « amis intimes, domestiques ou paysans du voisinage ». « Nous menons une vie de cabotins. Nohant n’est plus Nohant, c’est un théâtre, mon encrier n’est plus une fontaine de romans, c’est une citerne de pièces de théâtre », confie George Sand à son ami Pauline Viardot.
Pour échapper au succès grandissant de sa demeure, elle se réfugie vers la fin de sa vie dans sa « villa Algira » à Gargilesse, un cadeau de son amant le graveur Alexandre Manceau. Abritant « deux petites chambres blanchies à la chaux », où ont été rassemblés quelques meubles et objets du couple, cette minuscule maison fut le théâtre de ses ultimes escapades.

2004, l’année George Sand

Voici une sélection des manifestations proposées dans le cadre de ce bicentenaire : - George Sand, une nature d’artiste, jusqu’au 28 novembre, Musée de la Vie romantique, 16, rue Chaptal, 75009 Paris, tél. 01 55 31 95 67, tlj sauf lundi 10h-18h. - Le métier de femme, la condition d’écrivain, 14 septembre-14 novembre, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 24, rue Malher, 75004 Paris, tél. 01 44 59 29 40, tlj sauf lundi 11h-19h. - George Sand et les siens, jusqu’au 19 décembre, Musée-Hôtel Bertrand, 2, descente des Cordeliers, 36000 Châteauroux, tél. 02 54 61 12 30, du mardi au vendredi 10h-12h, 14h-18h, samedi et dimanche jusqu’à 19h, à partir d’octobre, du mardi au dimanche 14h-18h. - George Sand À GARGILESSE, DENDRITES ET PAPILLONS, jusqu’au 16 septembre, mairie de Gargilesse, tél. 02 54 47 83 11. - George Sand, une Européenne en Berry, 10 juillet-10 octobre dans les villes de La Châtre, Châteauroux, Le Blanc ; rens. 02 54 48 52 06 et 02 54 08 35 35. - George Sand vue par les artistes contemporains, 19 novembre 2004-20 février 2005, au couvent des Cordeliers, 2, rue Alain-Fournier, 36000 Châteauroux, tél. 02 54 61 12 30, du mardi au dimanche 14h-18h. - Ouverture du chemin George-Sand, de Nohant au château d’Ars, à Lourouer Saint-Laurent, à partir du 13 novembre, rens. 02 54 48 10 65. Pour en savoir plus sur les manifestations organisées dans le Berry : association Bicentenaire George-Sand, 1804-2004, tél. 02 54 48 10 65, et www.bicentenaire-george-sans.com.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : George Sand en son phalanstère

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