Entre les deux, leur cœur balance…

Les différentes stratégies des marchands qui se sont installés dans la future capitale allemande

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 24 octobre 1997 - 1088 mots

Si, pour certains marchands, \"le marché de Berlin reste limité\", d’autres y voient au contraire \"un concentré d’énergie\". La métropole \"a tout à gagner après cette longue période d’isolement\", selon un galeriste, même si son développement se fera \"avec Cologne et non pas contre Cologne\".

Thomas Schulte, galerie Franck Schulte (Berlin) : "Berlin a tout à gagner après cette longue période d’isolement et de provincialisme".
"Il est évident que Berlin et Cologne sont en concurrence. Cologne – avec la Rhénanie – n’était pas seulement la capitale artistique de l’Allemagne, mais aussi un important centre d’affaires et de communications. La plupart des médias s’installent aujourd’hui à Berlin, ce que Cologne accepte mal. Tout ce qui renforce la position de Berlin affaiblit la Rhénanie. Cette concurrence est donc ressentie beaucoup plus fortement à Cologne, et on en parle plus qu’à Berlin. Cologne ne pouvait guère devenir plus puissante, mais Berlin a tout à gagner après cette longue période d’isolement et de provincialisme. Cologne, pour sa part, craint de retourner à son provincialisme d’avant-guerre. Berlin est la seule vraie métropole d’Allemagne, elle attire la très jeune génération qui est un ferment de vie. Cologne, avec la Rhénanie, est par tradition impliquée dans les arts et le mécénat, et ce depuis l’époque romaine. Sa richesse, la proximité de la Belgique et de la Hollande, la haute estime dans laquelle sa communauté catholique tient l’art l’ont aidée à devenir un centre artistique de premier plan. Cet intérêt pour l’art sous toutes ses formes est unique en Allemagne, et cela ne changera jamais. Cependant, Berlin est une ville immense, pleine de vitalité, où la culture a joué un rôle majeur au cours de ce siècle. C’est une cité moderne qui bouge et se transforme. Sa propre tradition en matière de commerce de l’art et de collections d’avant-garde remonte à la fin du siècle dernier. Après s’être dégradée jusqu’à devenir un lieu qui, en 1990, n’abritait pratiquement aucune galerie contemporaine digne de ce nom, Berlin réserve aujourd’hui bien des surprises lorsque l’on visite ses galeries privées. Cette évolution se poursuit. Berlin deviendra au moins l’égale de Cologne au cours des deux prochaines années, et probablement la nouvelle capitale de l’art contemporain en Allemagne. J’ai choisi Berlin en 1991, parce qu’il est passionnant de vivre dans une ville en perpétuel changement. Berlin m’offre la possibilité de travailler librement et de participer à sa transformation dans mon domaine d’activité".

Elke Ostlaender, galerie Pels-Leusden (Berlin) : "Pour l’instant, le marché à Berlin reste limité en raison de la longue période d’isolement qu’a connu la ville".
"La célèbre "Art Cologne", qui se heurtait déjà à la concurrence de Bâle et de Francfort, doit maintenant compter avec la nouvelle foire d’art contemporain de Berlin. À la différence de ces autres villes qui attirent les habitants de la région et des pays avoisinants, le marché à Berlin est pour l’instant limité en raison de sa longue période d’isolement. Cependant, il a toutes les chances de se développer au cours des prochaines années, et c’est en cela que le premier "Art Forum" qui s’est tenu l’an dernier représente un pas important pour le futur. Notre galerie participe à Art Cologne depuis des années. En raison de notre collection d’art moderne, nous n’avons pas l’intention d’abandonner Cologne pour le moment. En revanche, Berlin offre la possibilité de présenter des œuvres d’art contemporain conçues pour la foire. En tant que galerie berlinoise, nous souhaitons tout particulièrement toucher le public d’Art Forum, et c’est pourquoi nous participons à la foire de Berlin pour la première fois cette année. Nous ne savons pas comment les choses vont évoluer. Personne ne peut dire si Cologne se retrouvera un jour à la traîne, et si Berlin jouera un rôle de leader dans le monde de l’art".

Wolfgang Gymrek, galerie Wolfgang Gymrek (Düsseldorf, Berlin) : "Nous avons ici un concentré d’énergie".
"En Allemagne, l’activité artistique a toujours été décentralisée. Cologne et ses environs ont une tradition bien établie et possèdent de nombreux attraits. La Rhénanie compte plus de trente musées d’art contemporain, dans des villes comme Aix-la-Chapelle et Wup­pertal, sans oublier l’importante Académie des beaux-arts de Düsseldorf. Cette région va continuer à jouer un rôle essentiel, mais l’avenir appartient à Berlin. Nous avons ici un concentré d’énergie. De grands changements vont s’opérer au cours des dix prochaines années, et Berlin sera sur le devant de la scène. La première foire, l’année dernière, a démontré qu’elle disposait du potentiel suffisant pour attirer des visiteurs étrangers. Berlin agit comme un aimant sur l’Europe de l’Est. C’est un grand melting-pot pour les artistes : aucun endroit au monde n’est aussi attrayant".

Henrik Berinson, galerie Berinson : "Avec Cologne, et non pas contre Cologne".
"Je dirais que Berlin "remplace" Cologne, puisque la ville entreprend enfin de combler le vide créé par de longues années d’isolement. De ce point de vue, il est tout à fait naturel qu’une métropole de 3,5 millions d’habitants essaie de refaire surface. Je ne pense pas que le rang de Cologne en tant que grande place du marché de l’art allemand soit menacé. Située dans une région prospère, qui abrite des musées réputés et les riches cités de la Ruhr, ses traditions bien établies et ses échanges ont permis au marché de l’art de se développer. Sur ce terrain, Berlin représente un énorme potentiel pour le marché de l’art. Elle sera bientôt une rivale de taille dans tous les domaines, aussi bien pour l’art contemporain que pour les beaux-arts. Par ailleurs, cette concurrence favorisera les échanges, surtout avec Cologne. Les deux marchés doivent agir l’un avec l’autre, pas l’un contre l’autre".

Dina Vierny (Paris) et Charlotte Zander (Munich) se sont vues attribuer le Prix "Art Cologne 1997" doté de 20 000 deutschemarks (environ 67 000 francs) et créé par la Fédération allemande des galeries d’art. Celle-ci entend ainsi rendre hommage à l’engagement artistique des deux lauréates. Dina Vierny a été, dès l’âge de quinze ans, le modèle de Maillol jusqu’à la mort de l’artiste dans un accident de voiture en 1944, et ouvrit après la guerre une galerie à Saint-Germain-des-Prés. Après avoir fait don à l’État français, en 1964, d’œuvres du sculpteur, elle a ouvert rue de Grenelle à Paris la Fondation Dina Vierny-Musée Maillol. L’Allemande Charlotte Zander s’est intéressée dès le milieu des années soixante à l’art brut. Collectionneuse enthousiaste, elle a ouvert une galerie consacrée à cette tendance à Munich en 1971. En 1995, la ville de Bönnigheim, en Souabe, a mis à sa disposition un château baroque dans lequel elle expose aujourd’hui sa collection d’art naïf et d’art brut.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°46 du 24 octobre 1997, avec le titre suivant : Entre les deux, leur cœur balance…

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