Emilia Philippot : « Une collection singulière »

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2011 - 1573 mots

Pour la première fois, la « collection Design » du Centre national des arts plastiques va être exposée aux Etats-Unis. Émilia Philippot, responsable de la collection, explique cette présence à l’international.

Conservatrice du patrimoine, Émilia Philippot a été nommée, en mars 2010, responsable des collections « Arts décoratifs, métiers d’art et création industrielle » du Cnap [Centre national des arts plastiques], appelées plus familièrement « collection Design ». Cette dernière s’expose pour la première fois aux États-Unis, au Wolfsonian-Florida International University Museum, à Miami, jusqu’au 26 mars 2012. Émilia Philippot fait un état des lieux de la collection et explique les raisons de cette présentation dans ce musée américain.

Christian Simenc : Quelle est votre mission ?
Emilia Philippot : Gérer la collection, la valoriser et lui donner une visibilité. Localiser les pièces acquises, les documenter, voire les reclassifier. En faire un inventaire à la fois « physiquement », mais aussi numériquement pour la base Vidéo Museum [le site Internet du réseau des musées et organismes gérant des collections d’art moderne et contemporain, www.videomuseum.fr], sur laquelle on trouve notamment le portail « Design ». Nous avons aussi une mission de prospective et de soutien aux jeunes créateurs, ainsi que de diffusion de la création contemporaine française à l’étranger.

C. S. : De combien de pièces se compose la collection Design ?
E. P. : L’ensemble des collections du Fnac [Fonds national d’art contemporain] représente quelque 90 000 pièces. La collection Design réunit, pour l’heure, environ 7 000 objets : des pièces relatives à l’habitat domestique, du mobilier, des luminaires, de la vaisselle, mais aussi des vélos pliables ou des produits issus des nouvelles technologies, comme des clés USB, des disques durs et un ensemble Apple. Il y a aussi des pièces de textile, de verre et de céramique, plus liées au volet « Métiers d’art ».

C. S. : Comment les pièces entrent-elles dans la collection ?
E. P. : Une commission d’acquisition se réunit une à deux fois par an pour choisir des pièces. Elle est composée de cinq membres de droit – des représentants de l’administration – et neuf personnalités extérieures nommées par le ministre de la Culture pour trois ans – deux designers et sept personnalités choisies pour leur compétence dans le domaine : critique d’art, collectionneur… Les acquisitions se font directement chez les designers, dans les galeries ou chez les fabricants.

C. S. : Quel est le budget annuel consacré aux acquisitions pour la collection Design ?
E. P. : Environ 200 000 euros par an. En 2010, le Cnap a acquis au total, toutes disciplines confondues, 1 238 œuvres de 272 artistes pour un budget de 2 935 584 euros. Pour sa part, la section « Arts décoratifs, métiers d’art et création industrielle » a accueilli 457 œuvres de 72 artistes – dont 37 primo-acquisitions – pour un montant total de 205 013 euros. Cette année, la collection s’est enrichie de 156 pièces et 363 affiches de 103 créateurs différents.

C. S. : Comment se bâtit cette collection ?
E. P. : Il y a des axes de travail comme les nouvelles technologies ou le design spécifique, tels les objets destinés aux personnes handicapées. De nouvelles typologies voient le jour comme la mobilité et les objets nomades. Dans la mesure du possible, nous essayons de créer des ensembles monographiques. Nous en avons aujourd’hui plusieurs comme, par exemple, celui sur Ronan et Erwan Bouroullec. Nous possédions depuis longtemps leurs Vases combinatoires. L’an passé, nous avons fait entrer leur gamme de vaisselle Ovale (Alessi) et, cette année, le canapé Ploum (Ligne Roset).

C. S. : Cette collection est très particulière, à commencer par le fait qu’elle n’est pas rigoureusement chronologique…
E. P. : Effectivement, il n’existe aucune collection de ce genre dans un autre pays. La collection Design du Cnap est singulière parce qu’elle n’est pas un reflet de l’histoire du design, mais plutôt des « photographies » de périodes de création. Elle est construite à partir des propositions de personnalités venues d’horizons divers, qui ont des affinités et des points de vue différents et qui possèdent leurs propres réseaux. Les tendances et les axes de travail sont très mouvants. Chronologiquement parlant, la collection est donc forcément incomplète. Mais notre objectif n’est pas de bâtir une collection dans le sens muséal du terme. Nous ne sommes pas un musée.

C. S. : Y a-t-il des pièces historiques ?
E. P. : Non. Hormis un siège original de Jean Prouvé, il n’y a pas d’achats rétrospectifs ou historiques. C’est le Musée national d’art moderne/Centre Pompidou qui a la charge des pièces historiques. La collection Design du Cnap, elle, est le reflet de la production actuelle. Même s’il y a effectivement quelques rééditions parce que cela correspond à un goût de la société actuelle.

C. S. : À l’instar de certaines œuvres d’art, les pièces de design peuvent-elles être l’objet d’un dépôt dans une administration ?
E. P. : Non, la collection Design n’est pas une collection d’usage.

C. S. : Comment sont décidés les prêts et autres dépôts de longue durée ?
E. P. : Une fois par mois, un comité statue sur les prêts et les dépôts – d’une durée de cinq ans renouvelables – dans les musées français, voire à l’étranger, comme c’est le cas actuellement avec des pièces en dépôt au Mamco de Genève ou au Musée du Grand-Hornu en Belgique.

C. S. : Qui dit gestion de la collection dit fatalement restauration ?
E. P. : Le vieillissement des matériaux est intrinsèque aux objets. Nous n’entamons des restaurations qu’au moment où les pièces nous sont demandées en prêt ou en dépôt. Un exemple : dans l’exposition « Collector », actuellement au Tripostal, à Lille (jusqu’au 1er janvier 2012), où sont présentées un grand nombre de pièces du Fnac, il y a le jeu d’éveil pour enfants Baby-Lonia imaginé par l’agence italienne Studio 65 et édité par la firme Gufram en 1973. La pièce que nous possédons est, elle, une réédition datant de 1986. Celle-ci a été entièrement restaurée à l’occasion de cette exposition. Baby-Lonia est une sorte de jeu de construction constitué d’une vingtaine d’éléments en mousse de polyuréthane souple recouverte d’une peinture au latex vernie. Or, ce vernis craquelait et pelait. Lorsqu’il s’agit de produits industriels, nous nous heurtons souvent au secret industriel. Dans le cas du Baby-Lonia, c’est une étudiante d’une école de restauration d’Avignon qui, dans le cadre d’un mastère universitaire professionnalisant, s’est chargée, pendant un an, de le restaurer.

C. S. : Le design est un vaste domaine. De nouveaux secteurs sont-ils appelés à voir le jour ?
E. P. : Oui. L’an passé, le champ d’investigation de la commission Design s’est par exemple élargi au graphisme. En septembre 2011, une conservatrice du patrimoine a d’ailleurs été nommée pour prendre en charge les « Arts graphiques ». Plusieurs pièces ont déjà fait leur entrée dans la collection : des maquettes et des « chemins de fer » de Peter Knapp [photographe et ancien directeur artistique du magazine Elle], le court-métrage d’animation Logorama de H5 [François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain], des travaux du collectif Labomatic pour le théâtre des Amandiers de Nanterre… Nous avons aussi reçu un don exceptionnel du graphiste Étienne Robial : l’ensemble des pièces retraçant l’histoire de l’habillage de la chaîne Canal .

C. S. : D’où vient cette idée de montrer la collection Design à l’étranger ?
E. P. : C’est une volonté politique du Cnap d’amplifier son rayonnement à l’étranger. Le directeur, Richard Lagrange, souhaite augmenter les projets internationaux en les concentrant autour de manifestations plus visibles. L’idée est de se caler sur le calendrier culturel international. D’où cette ouverture de l’exposition « Liberty, Equality and Fraternity » au Wolfsonian-FIU Museum de Miami qui coïncide avec la foire Art Basel Miami Beach et le salon Design Miami.

C. S. : Pourquoi le Wolfsonian-FIU Museum ?
E. P. : C’est Norbert Duffort, attaché culturel au consulat général de France à Miami, qui, en 2009, a eu l’idée d’effectuer un rapprochement entre ce musée et le Cnap. Le Wolfsonian Museum possède une collection de quelque 120 000 pièces datant de 1885 à 1945 : mobilier, objets en verre, céramique ou métal, peinture, textile et surtout une très importante collection de design graphique, en l’occurrence des affiches de propagande.

C. S. : Comment s’est montée cette exposition ?
E. P. : Le Wolfsonian-FIU Museum a eu carte blanche. C’est Marianne Lamonaca [Associate Director for Curatorial Affairs and Education au Wolfsonian] qui a, par exemple, choisi de faire appel à la designer Matali Crasset pour la scénographie et aux graphistes M/M pour la signalétique. L’exposition réunit en tout 120 pièces datant de 1940 à aujourd’hui.

C. S. : Le musée a-t-il également choisi ce titre d’exposition un brin emphatique : « Liberty, Equality and Fraternity » ?
E. P. : Oui. Le musée voulait se situer sur ce territoire « design et politique » qui lui est propre, notamment à travers sa collection de graphisme de propagande. D’où ce choix en faveur de la devise de la République française. L’idée est d’évoquer comment la politique culturelle de la France a influé sur la création design.

C. S. : Le Cnap a-t-il déjà mis sur rails de nouveaux projets ?
E. P. : Des contacts sont déjà établis, aux États-Unis, pour une éventuelle itinérance de la présente exposition « Liberty, Equality and Fraternity ». Par ailleurs, nous réfléchissons à un possible rapprochement avec le Salon international du meuble de Milan, événement mondial phare en matière de design. Sans doute pas l’année prochaine parce que le temps nous manque, mais peut-être en 2013.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Emilia Philippot : « Une collection singulière »

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