Polémique

Du rififi à la Maison des artistes

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 31 mars 2006 - 1060 mots

Organisations syndicales et présidence de la Maison des artistes s’opposent sur l’avenir de la sécurité sociale des artistes.

PARIS - Fondée en 1952, la Maison des artistes (MDA) est agréée depuis 1965 pour gérer le régime d’assurance-maladie des artistes. Fin 2005, elle comptait 33 000 cotisants pour un volume de 52 millions d’euros. Le montage juridique de cette structure fait cohabiter une association de droit commun et un organisme agréé de la Sécurité sociale, chacun ayant deux corps électoraux différents. Jusqu’en 2001, les présidences du bureau de l’association et du conseil d’administration étaient détenues par une seule personne, l’avocat Didier Bernheim. Aujourd’hui, la présidence de l’association relève de Rémy Aron et celle du conseil d’administration de Gilles Fromonteil, ancien secrétaire général du Syndicat national des artistes plasticiens (SNAP) CGT. Le contrôle de l’intégralité de ses rouages fait depuis cinq ans l’objet d’une lutte âpre entre les organisations syndicales et le bureau de l’association. Le conflit atteint son comble avec le vote de modifications statutaires par l’assemblée générale du 19 avril 2005. Elles prévoyaient notamment une réduction du mandat du président du conseil d’administration à trois ans. Ces nouveaux statuts furent refusés par un courrier du 30 mai 2005 par le ministère de Culture et celui de la Solidarité, de la Santé et de la Famille. Les administrations de tutelle commandent alors un rapport pour éclaircir la situation et trouver une solution au conflit. Remis en octobre 2005 par Bruno Suzzarelli, inspecteur général de l’administration des affaires culturelles, et Michel Raymond, inspecteur général des affaires sociales, cette étude fait bondir Rémy Aron, lequel argue d’une remise en question de la sécurité sociale des artistes. Avec un certain populisme, il dénonce aussi une collusion entre les « apparatchiks » syndicalistes et les « bureaucrates » du ministère pour une prise de pouvoir au sein de la MDA, laquelle serait selon lui « une et invisible ».

Sortie de crise
Y a-t-il péril en la demeure, comme le scandait encore Rémy Aron lors d’une manifestation le 21 mars devant les portes du ministère de la Culture ? À première vue, si le rapport pointe les ambiguïtés du montage juridique de la MDA, il ne remet pas en question le régime des artistes. Il préconise d’ailleurs quatre scénarios pour une sortie de crise. Le premier serait une clarification des statuts, définissant l’étendue de la délégation de pouvoir que consent le président de l’association à celui du conseil d’administration. La deuxième option impliquerait la création d’une association de substitution à la MDA, inspirée du modèle statutaire de l’Agessa, caisse de sécurité sociale pour les auteurs et les artistes non-plasticiens. Les rapporteurs proposent aussi comme alternative une fusion de la MDA avec l’Agessa. Dernier ballon, enfin, la création d’une caisse des artistes auteurs en remplacement de l’Agessa et de la MDA. « On craint à terme la remise en question de notre particularité, insiste Rémy Aron. On paye en cotisation 15,4 % de nos revenus, alors que nous sommes fiscalement assimilés aux professions libérales. Si l’on rentre dans le rang général, on devra payer les cotisations des professions libérales, qui sont trois fois plus élevées que les nôtres. Ce serait la mort de la création indépendante. » Soit, mais pourquoi une association ad hoc en remplacement de la Maison des artistes ne serait-elle pas vigilante sur la question ? « Si une association est composée de syndicats, quelle représentativité aurait-elle dans la population des artistes, qui ne sont que très peu syndiqués ? La Maison des artistes dérange car elle n’a pas d’obédience politique ou esthétique, ni d’appartenance syndicale », poursuit l’intéressé.
Président de la Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens (FRAAP), l’artiste Antoine Perrot avance une autre explication : « Si l’association est séparée du régime, elle n’existe plus. Les artistes n’y sont inscrits que pour la carte de la Maison des artistes, qui donne accès aux musées mais qui n’est pas professionnelle. D’ailleurs, pour entrer gratuitement dans les musées, une simple attestation de la sécurité sociale suffit. » Gilles Fromonteil ne peut, lui, imaginer une remise en question des avantages sociaux. « Quel gouvernement ferait une telle chose ? Ils ont eu assez de problèmes avec les intermittents », observe-t-il, ajoutant : « Je préfère l’option d’une association ad hoc, car on a encore quatre à six ans de travail de recensement de la filière professionnelle. Mais, à terme, la caisse serait une bonne solution. »
Pour l’heure, les ministères de tutelle ont mollement dicté, via un communiqué de presse le 17 mars, un statu quo le temps de mener une concertation avec les parties en présence. La MDA doit toutefois produire prochainement un règlement intérieur balisant les prérogatives du bureau de l’association et
du conseil d’administration. Un placebo plus qu’une sortie de crise.

Les origines d’un conflit

Le conflit qui oppose Gilles Fromonteil, président du conseil d’administration de la Maison des artistes, et Rémy Aron, président de l’association, est allé crescendo en cinq ans. En 2001, Fromonteil devient président du conseil d’administration, contre le président sortant, Didier Bernheim. Ce dernier impute cette prise de pouvoir par un syndicaliste CGT à la manœuvre d’un représentant du Comité professionnel des galeries d’art (CGA), Jean-Claude Lahumière, dont il obtient la démission. En 2002, les élections du bureau de l’association confrontent Didier Bernheim à l’artiste Antoine Perrot. Le premier obtient 1 755 suffrages, contre 402 voix pour son adversaire. L’artiste conteste les résultats devant le tribunal de grande instance (TGI). Le jugement du 17 juin 2003, confirmé en appel le 10 novembre 2003, annule les élections et charge un administrateur judiciaire, Me Legrand, d’en organiser de nouvelles. En octobre 2004, un nouveau jugement du TGI met fin aux procédures et valide les modalités d’élection proposées par Me Legrand. Lors des élections du 27 novembre 2004, Aron, candidat poussé par Bernheim, l’emporte par 1 284 voix, contre 451 pour Perrot. Par ailleurs, en novembre 2003, les membres de l’ancien bureau de l’association assignent Fromonteil en référé pour s’être prévalu du titre de président de la Maison des artistes. Le tribunal juge toutefois l’assignation irrecevable. Le 28 janvier 2005, Aron demande à Fromonteil d’inscrire à l’ordre du jour du prochain conseil une résolution pour sa révocation. Faute d’obtenir cette motion, il l’assigne en référé le 11 octobre. À l’écheveau des clivages idéologiques et des querelles esthétiques se greffe une mauvaise foi généralisée, seul dénominateur commun entre les parties.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°234 du 31 mars 2006, avec le titre suivant : Du rififi à la Maison des artistes

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