Politique culturelle

Donnedieu de Vabres : acte II

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 10 juin 2005 - 1050 mots

Malgré un bilan en demi-teinte, le ministre de la Culture et de la Communication sauve sa tête dans le nouveau gouvernement.

PARIS - Voltaire, un nom qui doit résonner doucement à l’oreille de Renaud Donnedieu de Vabres, rescapé heureux du remaniement ministériel du 2 juin, concocté en réponse à l’échec cinglant du référendum sur la Constitution européenne. Voltaire, ou le nom de la promotion 1978-1980 de l’École nationale de l’administration dont il est issu, tout comme… Dominique de Villepin, le nouveau chef du gouvernement. Une vieille camaraderie qui a dû peser dans la balance en faveur de ce commis qui n’appartient pas au cercle des chiraquiens.

Le ministre de la Culture n’aurait en effet obtenu son premier entretien à l’Élysée qu’à la fin de l’année 2004, comme si le président maintenait une distance sanitaire avec cet ancien du Parti républicain, condamné pour blanchiment en février 2004, après avoir été un éphémère ministre délégué aux Affaires européennes. Renaud Donnedieu de Vabres n’avait pas dissimulé son ambition de reconquérir ce poste, finalement soufflé par Catherine Colonna, ancienne porte-parole de l’Élysée, qui assumait depuis 2004 la direction générale du Centre national de la cinématographie. « Si un poste au Quai d’Orsay ne se refuse pas, Renaud Donnedieu de Vabres a toujours fait savoir qu’il souhaitait rester à la Culture car il conçoit son travail sur la durée », indique-t-on Rue de Valois, en précisant que conserver son portefeuille dans un gouvernement resserré relève déjà de la gageure.

Renaud Donnedieu de Vabres disposait pour cela d’un atout solide : la réouverture des négociations, le 16 juin, entre syndicats et patronat, pour la refonte du système d’assurance-chômage des intermittents du spectacle. À un mois des festivals d’été, il eut été suicidaire de leur donner un nouveau ministre en pâture. La nomination le 31 mars 2004 de cet énarque peu rompu aux affaires culturelles ne répondait en effet qu’à ce seul objectif : déminer un conflit dans lequel s’était embourbé son prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon. En jouant les équilibristes, le ministre est habilement parvenu à étouffer provisoirement la crise, malgré un déficit record du fond d’indemnisation qui atteint désormais 952 millions d’euros.

En ce qui concerne les autres dossiers, le bilan de cette première année est en demi-teinte. Certes, l’homme, affable et décontracté, a tout de l’hyperactif, cumulant les déplacements en province (plus de 140 en un an), courant d’inauguration de musée en avant-première de théâtre, avec l’ivresse de celui qui découvre les délices des milieux culturels. Mais ses détracteurs lui reprochent de privilégier les effets d’annonce et d’éviter de s’attaquer aux problèmes de fond. Habile ministre de la Communication, comme en témoignent les négociations sur la Télévision numérique terrestre (TNT) ou ses mesures de soutien à la presse, contempteur du piratage numérique, promoteur de la création d’une bibliothèque numérique européenne, Renaud Donnedieu de Vabres paraît moins à l’aise avec les dossiers purement culturels. Son seul grand succès, la Charte pour l’Europe de la culture, adoptée en mai dernier par une dizaine de ses confrères européens, relève davantage de ses anciennes accointances avec les affaires européennes. Sa signature lors du grand raout des Rencontres pour l’Europe de la culture (lire le JdA n° 215, 13 mai 2005) – qui aura drainé vers Paris quelque 500 artistes et intellectuels – avait d’ailleurs tout de l’opération séduction à destination de l’Élysée.

Annonces avant l’été
Pour le reste, l’essentiel de l’activité du ministre consiste à poursuivre les chantiers engagés par ses prédécesseurs : réouverture de la Cinémathèque française, achèvement du chantier du Musée du quai Branly, rénovation du Grand Palais, lancement de la Cité de l’architecture et du patrimoine – qu’il a enfin dotée d’un président et d’un statut –, poursuite du projet du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille et de l’antenne du Centre Pompidou à Metz, construction de la Cité des archives en Seine-Saint-Denis. Il lui revient toutefois d’avoir choisi le site d’implantation de l’antenne du Musée du Louvre à Lens (Pas-de-Calais).

Certes, la marge de manœuvre budgétaire est encore faible. Malgré une hausse de 6 % en 2005, son enveloppe reste vampirisée par le spectacle vivant – que la conjoncture n’incite pas à rogner – au détriment des arts plastiques et du patrimoine. Ce dernier secteur est entré dans une crise sans précédent du fait d’une importante érosion des crédits et du « flop » de la décentralisation de monuments historiques, échec provoqué par celui de la majorité aux élections régionales de mars 2004. Mais les initiatives ne sont guère convaincantes. Réclamé à cor et à cri par de nombreux intellectuels et artistes, le plan en faveur des arts à l’école s’est révélé être une coquille vide, alors que l’annonce de l’ouverture du compte de soutien du cinéma aux studios de production non européens aura grossi le rang de ses contradicteurs. Que dire, enfin, du silence assourdissant qui a suivi l’annonce de l’abandon par François Pinault de son projet de musée à Boulogne-Billancourt, terrible coup de poignard orchestré par son prédécesseur, et de la proposition de lui offrir le Palais de Tokyo, provoquant la stupeur de ses actuels occupants…

Après avoir reconduit l’intégralité de son cabinet, Renaud Donnedieu de Vabres s’est donc rapidement remis à la tâche. Il lui faudra désormais s’atteler à quelques dossiers épineux, comme la réorganisation des services déconcentrés (transformation des directions régionales des Affaires culturelles en pôles de compétence), et préserver son prochain budget des coupes drastiques de Bercy. Avant l’été, il devrait enfin annoncer une série de mesures en faveur des arts plastiques [avenir du Palais de Tokyo, construction d’écoles d’art, rénovation de centres d’art et de FRAC (Fonds régionaux d’art contemporain), réforme du 1 %, abaissement de la TVA à 5,5 % pour les œuvres vidéo] et clarifier sa position sur la question du droit d’exposition. L’heure du passage à l’acte semble avoir enfin sonné.

Les grandes dates du premier ministère Donnedieu de Vabres

Juillet 2004 Décret de création de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Novembre 2004 Publication de la liste des monuments historiques proposés aux collectivités locales ; Lens est choisie pour accueillir l’antenne du Louvre. Janvier 2005 Plan en faveur de l’éducation artistique et culturelle. Février 2005 Déménagement du ministère dans les locaux des Bons-Enfants ; inauguration de la Galerie Colbert. 14 mai 2005 Lancement de la 1re « Nuit des musées ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°217 du 10 juin 2005, avec le titre suivant : Donnedieu de Vabres : acte II

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