Deyan Sudjic : Cent projets à venir

Entretien avec le président de la Biennale d’architecture de Venise

Le Journal des Arts

Le 22 février 2002 - 1055 mots

Après les changements de direction à la présidence de la Biennale de Venise et la démission du conseil d’administration à la fin janvier, Deyan Sudjic a été nommé directeur de la section Architecture. Ce critique anglais, directeur de la revue Domus, ébauche dans cet entretien les grands axes de la prochaine édition qui se tiendra du 8 septembre au 24 novembre 2002 sur le thème de “Next�?.

Milan (de notre correspondant) - La démission contestée de Massimiliano Fuksas, directeur de la septième édition de la Biennale d’architecture, “Moins d’esthétique, plus d’éthique” (lire le JdA n° 108, 30 juin 2000), sur fond de polémique, avaient fait craindre une annulation de la prochaine édition. Nommé par le nouveau président de la biennale, Franco Bernabè (lire le JdA n° 141, 25 janvier 2001), l’Anglais Deyan Sudjic, directeur depuis mai 2000 de Domus – la revue internationale d’architecture et de design fondée par Giò Ponti en 1928 – sera le nouveau directeur de la section Architecture. Intitulée de façon pragmatique “Next”, la biennale s’articulera autour de thèmes, parmi lesquels “Next Home”, consacré à l’avenir de notre monde domestique ; “Next Place”, lié aux planifications urbaines à grande échelle ; “Next Work”, au travail et “Next Generation”, aux jeunes architectes émergents. À l’occasion de cet entretien, Deyan Sudjic révèle les grandes lignes de la prochaine édition.

Vous vivez entre Londres et Milan.
Je viens au moins deux jours par semaine en Italie, mais je reste profondément lié à Londres. Le fait de vivre également à Milan me donne l’impression d’être un visiteur dans ces deux villes et me permet de prendre du recul dans l’évaluation et la critique. C’est intellectuellement très stimulant.

Vous êtes le fondateur et le directeur de revues célèbres. Quel rôle l’édition a-t-elle joué dans votre vie ?
J’ai toujours privilégié l’édition. À l’école déjà, je m’occupais davantage des journaux scolaires que des matières enseignées. Au cours de ma vie professionnelle, j’ai participé à diverses initiatives dont Blueprint et me suis engagé dans plusieurs collaborations spontanées. Pour moi, il n’existe aucune différence entre l’objectif de Domus et celle du quotidien The Observer car il est toujours possible de communiquer à des niveaux différents.

Quel est votre rapport avec le monde de l’art contemporain, des musées et des galeries ?
Je vais souvent voir des expositions. C’est pour moi indispensable. Cela me permet d’élargir ma vision des choses. Mais je ne suis pas un collectionneur ou plutôt si, mais seulement de chaises et de radios... Une contamination excessive entre l’architecture et l’art est inutile ; elle entraînerait une confusion. Toutes deux se consacrent à l’espace. Il suffit de voir les réalisations de Richard Serra à la dernière Biennale d’arts visuels. Le travail des artistes est aujourd’hui très proche de celui des architectes : l’œuvre d’art tend à se réduire à la conception des idées, à son plan sur le papier (comme le fait l’architecte), pour être ensuite réalisée par d’autres qui ne sont que de simples exécutants.

Le projet “Glasgow UK City of Architecture and Design 1999” dont vous vous êtes occupé pendant quatre ans, a accueilli plus d’un million de visiteurs. Pensez-vous que la Biennale peut également attirer les foules ?
Il faut selon moi concilier l’accessibilité à un vaste public et la crédibilité face à une assistance spécialisée qui voit en ce rendez-vous un espace de confrontation, de débat et d’anticipation. Venise rassemble un public international très vaste. Chacun veut y être pour voir, comprendre et exposer ses propres idées. La visite de “Next” sera essentielle pour quiconque s’intéresse à l’architecture contemporaine, et même pour les professionnels. Je pense qu’en accordant un soin particulier à l’installation, à l’éclairage et, par exemple, aux arts graphiques, et en choisissant une grande variété de thèmes et de matériaux, il sera possible d’exercer une grande attraction sur le public.

Quelle sera votre ligne pour l’édition 2002 ?
Mon intention est de proposer une biennale très simple, strictement fondée sur l’architecture dans son sens le plus traditionnel, liée à la profession et à la production, mais qui engage le débat également sur le front social, philosophique... J’imagine exposer cent architectures internationales, qui verront le jour au cours des cinq ou dix prochaines années. Pas des spéculations théoriques ou des fantaisies, mais des projets réels, symboliques par leur qualité intrinsèque plutôt qu’en tant qu’œuvres de maîtres célébrés. Je veux exposer le nouveau Guggenheim, le Beaubourg de demain, le futur Lloyd’s de Londres... Une vision plus distante que l’édition de 1999, caractérisée par la présence massive des nouveaux langages, de la vidéo, d’Internet, du multimédia. Chaque biennale est l’expression de son directeur. Dans celle de 1999, la main de Fuksas était visible partout, sa personnalité s’exprimait partout. C’est légitime. La prochaine sera donc “ma” biennale. Elle sera plus physique et matérielle que virtuelle. Je vais dès maintenant m’atteler à la recherche des différents projets à exposer, sans ambitions dictatoriales, mais avec la collaboration d’un conseil international de critiques.
Cependant, en tant que membre du jury international de la biennale de Fuksas, qui a récompensé, avec Nouvel et Rykwert, des personnages hors du commun comme Soleri et Thomas Krens, vous êtes déjà intervenu dans l’édition 2001.
Ces choix ont été collectifs. L’œuvre de Soleri, en particulier, répondait à l’attention accordée par Fuksas à l’expérimentation et à la projection poussée vers l’utopie et l’aspect visionnaire. Avec Krens, nous avons voulu en revanche récompenser une importante organisation muséographique qui a rencontré un grand succès international.

Quel peut être, selon vous, le thème architectural du futur ?
L’habitation : la maison pour tous, même avec des dynamiques et des actions très différenciées selon les nécessités qui se manifesteront toujours plus dans les pays du monde. Cela pourra être l’un des thèmes principaux de la prochaine biennale, et non pas seulement celui de la section “Next Home” consacrée à l’espace domestique.

Architecte et éditeur de revues

Anglais d’origine slave, Deyan Sudjic, né à Londres en 1952, est diplômé en architecture de l’université d’Édimbourg. Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment écrit sur le design et l’architecture dans les colonnes de quotidiens nationaux et de revues spécialisées, avant de fonder Tate et Eye. De 1993 à 1997, il a enseigné la théorie et l’histoire du design à l’Université des arts appliqués de Vienne, puis a été fait officier de l’ordre de l’Empire britannique (OBE) pour l’organisation de “Glasgow UK City of Architecture and Design 1999�?.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°143 du 22 février 2002, avec le titre suivant : Deyan Sudjic : Cent projets à venir

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