Spoliations

Devoir de mémoire

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 27 février 2008 - 752 mots

La ministre de la Culture a inauguré à Jérusalem une exposition autour des œuvres d’art retrouvées en Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

JÉRUSALEM - Inaugurée par la ministre de la Culture, Christine Albanel, le 18 février, l’exposition du Musée Israël, à Jérusalem, a des allures d’opération diplomatique. Intention avouée : montrer le travail accompli par la France depuis soixante ans, et particulièrement au cours de ces dix dernières années, pour la restitution des biens juifs spoliés par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Au total, un panel de cinquante-trois tableaux sur les deux mille MNR (Musées nationaux Récupération ») est aujourd’hui présenté à Jérusalem. Petite piqûre de rappel : au lendemain de 39-45, quelque soixante mille œuvres furent retrouvées en Allemagne ; parmi elles, deux mille pièces demeurées d’origine inconnue, les MNR, furent confiées en 1950 à la direction des Musées de France et déposées dans différents musées. Lancée en 1997 et achevée en 2000, la « mission Mattéoli », mission d’étude sur la spoliation des Juifs en France de 1940 à 1944 – à la suite de laquelle furent créées une Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS) –, préconisait également une exposition d’œuvres significatives au Musée Israël de Jérusalem. C’est aujourd’hui chose faite, après plusieurs années d’atermoiements, la France ayant exigé au préalable l’adoption par Israël d’une loi interdisant la saisie des œuvres. « Bien sûr, le but est de réduire les MNR et de restituer un maximum d’œuvres, mais cela doit se faire dans le cadre du système de restitution mis en place en France. La liste des œuvres est publique, accessible à tous et sera publiée sur le site Internet du ministère israélien de la Justice », se défend la Rue de Valois.
C’est le musée de Jérusalem qui a sélectionné les œuvres de l’exposition « À qui appartenaient ces tableaux ? », avec, pour seul critère, leur esthétisme. Pour son étape parisienne, en juin prochain, au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Isabelle le Masne de Chermont, l’une des commissaires, promet un encadrement plus historique. L’accrochage, volontairement bas, réunit des grands noms de l’histoire de l’art, Vouet, Fragonard, Chardin, Delacroix, Ingres, Degas, Monet, Manet, Vlaminck, Seurat, Max Ernst. Citons encore Courbet, dont Les Baigneuses furent achetées par Joachim von Ribbentrop (ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich) et sont actuellement conservées à Orsay, tout comme ce Portrait de l’artiste de Cézanne acquis par le Musée de Cologne en 1941. Les œuvres présentées sont départagées en six sections : les saisies effectuées par les nazis en 1940 ; les opérations d’échange de l’ERR (1) – les tableaux modernes considérés comme « art dégénéré » étaient cédés contre des œuvres plus classiques ; les acquisitions sur le marché de l’art parisien (pour la plupart des pièces) ; les œuvres de provenance inconnue ; enfin, les restitutions de l’après-guerre et les restitutions de l’Allemagne à la France en 1994. Sur cet ensemble, une seule demande d’information est en cours ; elle concerne Paysage, le Mur rose (1898), une toile de Matisse déposée au Musée national d’art moderne, à Paris, retrouvée en Allemagne en 1948, et qui aurait peut-être appartenu à un collectionneur juif allemand.
La mission Mattéoli avait estimé à 10 % le nombre d’œuvres MNR comme des spoliations avérées de biens juifs, la provenance des 90 % restants demeurant énigmatique. Selon Laurence Sigal-Klagsbald, directrice du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme et également commissaire de l’exposition, « la situation est perverse. Le marché de l’art ayant été très prolifique durant la guerre, certaines œuvres sont passées par de multiples circuits, rendant leur itinéraire insaisissable, mais il y a sûrement plus de spoliations de biens juifs que l’on veut bien le croire ». Il reste donc encore beaucoup à faire pour que ces œuvres soient rendues à leurs propriétaires ou, plus probablement, à leurs ayants droit. Annoncé par le ministère de la Culture, un colloque, prévu en septembre prochain, devrait ouvrir de nouvelles pistes de recherches.

(1) Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, entité chargée de la rafle des objets d’art dans les collections juives.

À QUI APPARTENAIENT CES TABLEAUX ?

Jusqu’au 3 juin, Musée d’Israël, Ruppin Boulevard, Jérusalem, tlj 10h-17h (10h-14h le vendredi), tél. 972 2 670 8811, puis, du 24 juin au 28 septembre, au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Paris. Catalogue, éd. RMN, 2008, 226 p., 39 euros, ISBN 978-2-7118-5543-8.
À lire, Catalogue des peintures MNR, éd. RMN, 2004, 664 p., 90 euros, ISBN 2-7118-4079-4.

À QUI APPARTENAIENT...

- Nombre d’œuvres exposées : 53 - Nombre d’œuvres MNR : 2000 - Commissaires : Isabelle le Masne de Chermont, conservatrice générale à la DMF ; Laurence Sigal-Klagsbald, directrice du Musée d’art et d’histoire du judaïsme ; Shlomit Steinberg, conservatrice chargée de l’art européen au Musée d’Israël ; Vincent Pomarède, directeur du département des Peintures du Musée du Louvre ; et Didier Schulmann, conservateur général au MNAM-Centre Pompidou

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Devoir de mémoire

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