Pays-Bas

Des Van Gogh dispersés au marché aux puces ?

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 19 décembre 2003 - 1020 mots

Au début du XXe siècle, de nombreuses œuvres de l’artiste auraient été vendues à bas prix à Breda. Le musée de la ville tente aujourd’hui d’authentifier certaines d’entre elles.

 BREDA - Le Musée de Breda, aux Pays-Bas, crée actuellement l’événement avec une exposition réunissant une quarantaine de tableaux dont l’auteur pourrait être Vincent van Gogh (1853-1890). En 1902, quelques centaines d’œuvres du peintre furent dispersées au marché aux puces de la ville néerlandaise. Depuis, un nombre important de toiles exécutées dans le style de Van Gogh ont fait leur apparition dans la région ; à l’exception de celles acquises au début du siècle dernier, aucune d’entre elles n’a été authentifiée par les spécialistes. Pour la première fois, un musée a réuni des œuvres dont la paternité reste à déterminer, occasion pour les experts et le public de les examiner et de fonder leur propre jugement.
Conservateur au Musée de Breda, Ron Dirven a dirigé une équipe de chercheurs pour tenter d’élucider le mystère autour de ces œuvres qui ont fini sur le marché aux puces. L’histoire commence en novembre 1885 : Vincent van Gogh quitte brusquement la demeure familiale dans le village de Nuenen, après une dispute qui l’oppose au curé concernant son travail à partir de modèles féminins. L’artiste abandonne alors plusieurs centaines de tableaux et de dessins dans une chambre louée qui lui sert d’atelier. Quatre mois plus tard, sa mère Anna s’installe près de Breda. Les travaux de Vincent, conservés dans plusieurs coffres en bois, sont entreposés chez Adrianus Schrauwen, un menuisier qui avait offert ses services lors du déménagement. En 1902, Schrauwen cède quelques ustensiles en cuivre à Jan Couvreur, un marchand d’occasion à Breda, et lui fait cadeau des coffres. La famille Van Gogh les réclamera à Schrauwen en 1903, mais il est déjà trop tard.
Couvreur offre deux florins contre trois charretées de matériel, se débarrasse de nombreux dessins et vend la majeure partie de la toile vierge à un marchand de chiffons ; il garde néanmoins 60 tableaux sur châssis, 150 toiles non enchâssées et 2 portfolios contenant 80 dessins à l’encre et au crayon ainsi que 150 dessins à la craie. Il cloue quelques toiles sur sa charrette qu’il remplit des dessins restants, et vend ces œuvres environ 5 cents (de florin de l’époque) pièce, d’abord en faisant du porte-à-porte puis au marché aux puces local. En 1902, alors que le nom de « Vincent van Gogh » commence à être connu, un tailleur de Breda, Kees Mouwen, achète le reste du stock de Couvreur pour un florin. Il réussit entre 1904 et 1936 à vendre 150 tableaux et dessins auprès de galeries et maisons de ventes à Rotterdam, La Haye, Bruxelles et Amsterdam. Le collectionneur de Dordrecht, Hidde Nijland, achète 60 dessins directement auprès de Mouwen. Si nombre de ces œuvres sont à présent dans les musées et les galeries du monde entier, il en resterait plus de 200 dispersées par Schrauwen au marché aux puces et aujourd’hui non localisées.
Ainsi, depuis un siècle, des œuvres présumées de Van Gogh font régulièrement surface à Breda ; des tableaux et des dessins, mais aussi de larges ensembles, prétendument issus de l’atelier de Nuenen. En 1939, Adrianus Marijnissen, un contrôleur des impôts locaux, a fait l’acquisition d’une caisse de 250 toiles et dessins, dont beaucoup portent la signature « Vincent ». Cette caisse aurait été trouvée dans le grenier d’un collectionneur insolite de Breda, Barend den Houter Jr. L’ensemble a été soumis à la fin des années 1940 au Stedelijk Museum à Ams-terdam, mais les conservateurs du musée l’ont rejeté en bloc sans pour autant avancer d’arguments convaincants. Quelques-unes de ces œuvres ont néanmoins été acquises par le collectionneur allemand Georg Klusmann en 1977.

« Un garçon qui aimait le dessin »
Les experts, se fondant sur l’aspect stylistique, restent très sceptiques à propos de l’ensemble Marijnissen aujourd’hui exposé. Ron Dirven nous a toutefois confié « avoir de nouvelles informations sur la collection Marijnissen qui renforcent les arguments selon lesquels quelques travaux seraient authentiques ». L’équipe du musée a en effet identifié le lien qui rattache Barend den Houter Jr à la mère de l’artiste, Anna van Gogh. À Breda, celle-ci était locataire d’une maison appartenant à un certain Barend den Houter. Lorsqu’elle part pour Leiden en 1889, elle laisse quelques affaires à « un garçon qui aimait le dessin », probablement Barend den Houter Jr, le neveu du propriétaire qui aurait fort bien pu l’aider lors du déménagement.
Ron Dirven se dit plus historien qu’historien de l’art et, de véritables connaissances scientifiques de la technique de Van Gogh lui faisant défaut, il préfère éviter de donner son avis sur les tableaux et les dessins. Il pense néanmoins qu’il est du ressort du Musée Van Gogh et des spécialistes de déterminer l’authenticité des œuvres exposées au Musée de Breda. Aujourd’hui, et à l’exception de Maisons près de La Haye (lire l’encadré), le musée indique seulement qu’il est « possible » que quelques-unes de ces œuvres soient en fin de compte authentiques.

Une authenticité probable

Le clou de l’exposition « Vincent van Gogh : Perdu et retrouvé » est un petit tableau, Maisons près de La Haye (1882), issu d’un ensemble de 250 œuvres découvertes à Breda en 1939 et dont la plupart sont signées « Vincent ». Les analyses aux rayons X ont non seulement révélé la trace de la découpe mais aussi le repentir d’une étude pour Tricoteuse à Scheveningen, dont l’esquisse préparatoire sur papier est répertoriée. L’authenticité de cette petite toile – pas encore confirmée par le Musée Van Gogh – laisse planer le doute sur le reste de la collection. En France, la toile Les Laboureurs, une œuvre authentifiée par le spécialiste de Van Gogh Benoît Landais, a été retirée in extremis d’une vente aux enchères organisée le 13 décembre par l’hôtel des ventes des Graves à Portets (Gironde). Un doute subsiste quant à son authenticité, et le Conseil des ventes a estimé pour sa part que la « maison de ventes n’avait pas la garantie de vente ». Le Musée Van Gogh s’est engagé à examiner le tableau dans les trois mois.

VINCENT VAN GOGH, PERDU ET RETROUVÉ

Jusqu’au 1er février 2004, Musée de Breda, Parade 12 (Keizerstraat), Breda, Pays-Bas, tél. 31 76 529 9300, www.breda-museum.nl, tlj sauf lundi 10h-17h, fermé le 25 décembre et 1er janvier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°183 du 19 décembre 2003, avec le titre suivant : Des Van Gogh dispersés au marché aux puces ?

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