Lyon : le tournant est pris

Des collectionneurs

Une passion discrète pour le contemporain

Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1995 - 647 mots

Quelques amateurs avouent \"faire collection\". Souvent éclectiques et toujours passionnés, ils ne soutiennent cependant que peu le marché local.

LYON, ville secrète, mérite parfois bien sa réputation. Ici, l’exubérance n’est pas de mise. Collectionner est souvent une passion retenue, et dans le cas de l’art contemporain, "un vice que l’on cache", constate, amusé, Henry Parado, un avocat qui achète depuis une quinzaine d’années. Car au souci d’éviter l’ostentation s’ajoute la crainte d’être considéré comme un "gaspilleur".

"Il faut être déraisonnable pour être collectionneur, et déraisonnable longtemps", remarque Gilles Blanckaert, un acheteur qualifié de "frénétique" par ses amis. "Or, qui peut dire qu’il s’agit d’un investissement quand ce que vous achetez aujourd’hui ne peut être revendu demain et ne le sera probablement plus jamais ?". Dans une ville de province où la gestion "en bon père de famille" n’est pas une vaine formule, "l’art contemporain ne peut susciter que des réticences", explique Jean-Pierre Michaux, qui est à la fois agent de change et collectionneur.

Cependant, les rares amateurs lyonnais font montre d’une belle indépendance dans leurs choix et d’un éclectisme stimulant. "Je n’ai pas de règle d’achat. La collection, commencée avec mon mari, tournait beaucoup autour de la figuration expressionniste contemporaine allemande et suisse, avec quelques incursions en France. Depuis quelque temps, je réoriente vers des œuvres plus minimalistes et la photographie", explique Josselyne Naef.

Jean-Pierre Michaux vagabonde lui aussi de la figuration à des œuvres plus difficiles : "Au début, j’ai fait des achats figuratifs. Puis je suis passé à des choses plus conceptuelles et plus minimales. J’ai une collection assez ouverte : Richard Artschwager, Jeff Wall, Louise Lawler, Thomas Ruff, Helmut Dorner, Thomas Schütte. Mais je m’intéresse aussi à François Perrodin, Philippe Favier, Christine Crozat, Étienne Bossut" détaille-t-il.

Ateliers contre galeries
Si la diversité des centres d’intérêt ne fait aucun doute, les pratiques d’achat sont, elles, variées. Certains collectionneurs passent de moins en moins par les galeries. Josselyne Naef avoue "ne plus acheter en galerie et passer par les ateliers des artistes. C’est une question de confiance. Dans les années quatre-vingt, les marchands assuraient que les prix monteraient, ce qui a été vrai pendant un temps. Mais une fois la crise venue, les amateurs se sont détournés d’un marché dont on avait occulté l’aspect risqué".

D’autres, par leur implication personnelle dans la création, ont un accès direct à la production. Gilbert Monin, qui prête une ancienne usine à des artistes et met à leur disposition un espace d’exposition (L’Em­barcadère, quai Rambaud, 78 37 41 57), n’a "pas besoin de courir les galeries pour acheter : je vois suffisamment de choses chez moi", explique-t-il.

Mais si l’achat en galerie s’est raréfié, il connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. Car ces "pratiques parallèles" sont, pour Jean-Pierre Michaux, "une vue à court terme. Je défends le travail des galeries, qui ont un rôle très important de découverte et de promotion". Une opinion partagée par Gilles Blanckaert, qui estime par ailleurs que "le galeriste effectue un tri dans la production de l’artiste, qu’il est très difficile de faire soi-même dans un atelier. Lors­qu’une relation de confiance s’établit, le galeriste vous présente les meilleures pièces".

Peu d’achats à Lyon
Mais l’achat à Lyon reste timide. Brigitte Vial, qui "collectionne en famille depuis vingt ans", explique : "On achète assez peu à Lyon, surtout depuis quelques années, car beaucoup de galeries ont fermé". Henry Parado est plus attaché aux marchands qu’à leur lieu de travail : "J’achète un peu partout, pas spécialement à Lyon, à part chez Paul Gauzit de la galerie du Lutrin, qui, passé son aspect bourru, vous fait découvrir des tas de choses".

Car il s’agit avant tout "d’entretenir une relation suivie avec un bon marchand, afin qu’il vous propose son premier choix", analyse Gilles Blanckaert. Or à "Lyon, aucun marchand n’a les reins assez solides pour affirmer ses partis pris sur le long terme, et donc suivre la carrière d’un artiste".

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°18 du 1 octobre 1995, avec le titre suivant : Des collectionneurs

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