Censure à Charleroi

La rétrospective Willy Kessels annulée

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1996 - 625 mots

L’annulation, à deux jours de son ouverture au Musée de la photographie de Charleroi, de la rétrospective consacrée à Willy Kessels continue de provoquer de vives réactions. Celle-ci, pour la première fois, évoquait le passé nationaliste et collaborationniste de l’artiste durant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était jusqu’à présent reconnu comme un artiste d’avant-garde.

CHARLEROI - La réputation internationale acquise dans les milieux de la photographie par Jeanne et Georges Vercheval, le duo à la tête du Musée de la photographie de Charleroi, n’a pas suffi pour assurer à la rétrospective Willy Kessels (1898-1974) la quiétude due à un travail scientifique de longue haleine. Ce dernier se révèle d’autant plus essentiel que le musée a hérité d’un fonds Kessels riche de plusieurs milliers de clichés.

La polémique a surgi avec la mise en cause du passé nationaliste et collaborationniste de l’artiste durant la Seconde Guerre mondiale. L’annulation de la rétrospective apparaît d’autant plus étonnante que celle-ci abordait pour la première fois le passé compromettant d’un photographe jusqu’à présent adulé comme homme de progrès, sensible aux questions sociales et à l’idée d’avant-garde. On rappellera pour mémoire que la notice biographique reproduite dans l’ouvrage de référence Pour une histoire de la photographie en Belgique, paru en 1993, n’abordait en rien cet aspect. Ce livre, ainsi que l’exposition qui l’accompagnait, était l’œuvre du Musée de la photographie et de Georges Vercheval. À l’époque, personne ne s’était indigné.

Pourtant, Willy Kessels avait purgé, au sortir de la guerre, une peine de vingt mois de prison. Cette condamnation n’entacha pas la réputation artistique d’un photographe reconnu pour son sens de l’équilibre plastique et pour l’organisation des lumières.

C’est que Kessels avait appartenu aux cercles d’avant-garde aux côtés des Servranckx, Flouquet et autres Van de Velde. L’histoire retiendra aussi le reportage réalisé avec Sasha Stone sur le tournage de Misère au Borinage, de Storck et Ivens (1933). Dans les années soixante, l’artiste s’impose comme un des portraitistes majeurs en Belgique, tout en poursuivant des recherches plastiques importantes dans le champ de la non-figuration (photogram­mes, surimpressions…).

Propos orduriers et diffamatoires
Pourquoi censurer ainsi Kessels ? Il semble que Kessels soit un prétexte pour nuire : la campagne de presse dirigée contre le musée n’a pas hésité à prendre à partie la direction de l’institution en des termes orduriers et diffamatoires. Au-delà des propos irresponsables de Jean Guy, le rédacteur en chef de l’organe du parti socialiste Le Peuple, ("La stratégie du Musée de la photographie a été dégueulasse, du verbe dégueuler"), ou de ceux du peintre Charles Symkowicz, professeur à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles, qui est allé jusqu’à traiter les Vercheval de "nazis" (une plainte pour diffamation a été déposée), il reste que le Musée de la photographie a vu son travail scientifique entravé et son action occultée.

Pire, cette censure refuse de se reconnaître comme telle. Ainsi, lors du conseil d’administration du 25 mars, certaines voix ont tenu à récuser l’accusation de censure, Jean-Pol Demacq, Premier échevin (socialiste) de Charleroi et président du conseil d’administration du Musée de la photographie ayant, de son plein gré, renoncé à présenter la rétrospective Kessels. S’il n’y a pas eu censure – c’est-à-dire un acte d’interdiction –, celle-ci s’est effectuée à l’intérieur même du monde politique selon une logique d’intimidation. À terme, on regrettera l’absence de censure déclarée. Les pressions se sont effectuées à huis clos, à coups de propos diffamatoires et d’informations délibérément erronées. Sans procès, sans nécessité de justifier, sans dialogue et au mépris de la connaissance…

Pour connaître plus profondément l’œuvre de Kessels – et contourner toute censure –, on peut néanmoins se procurer la monographie-catalogue de l’exposition, riche de 72 pages, vendue par le Musée de la photographie de Charleroi au prix de 730 FB. Renseignements : 71-43 58 10.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Censure à Charleroi

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