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À Bruxelles, une œuvre de Victor Rousseau déclenche une polémique

Pour certains, elle porterait des stéréotypes de genre.

À Bruxelles, la sculpture La Maturité de Victor Rousseau est menacée de déplacement, accusée de véhiculer des stéréotypes patriarcaux.

Victor Rousseau (1865-1954), La Maturité, 1922, Bruxelles © Micheldb, 2008, domaine public
Victor Rousseau (1865-1954), La Maturité, 1922, Bruxelles.
Photo Micheldb, 2008

Bruxelles. Depuis 1922, La Maturité, un ensemble de statues en marbre blanc de Carrare dues au ciseau de Victor Rousseau (1865-1954), trône au centre d’un square créé pour l’occasion aux abords de la gare centrale dans un quartier de pierre et de béton. On y voit un homme d’âge mûr, entouré de part et d’autre de personnages féminins et masculins. Dans la foulée du réaménagement et de l’extension de la station de métro Gare centrale, la ville de Bruxelles a souhaité réaménager la zone. Elle a lancé un appel à projets auprès d’architectes-urbanistes, sans mentionner le sort à réserver à l’ensemble de statues, qui n’était pas classé.

Le projet retenu est celui du paysagiste Bas Smets, à qui l’on doit notamment le réaménagement des abords de Notre-Dame de Paris. Son projet qui joue la carte de la végétalisation ne garde pas l’ensemble monumental de Victor Rousseau. À la suite de la demande par la Ville d’un permis d’urbanisme, la Commission royale des monuments et sites (CRMS), qui n’avait pas été consultée, demande à la Région le classement de l’ensemble du square. Ce qui est refusé, et en échange, il est proposé de placer le monument sur la liste des biens à sauvegarder. Une solution présentée comme plus souple, puisqu’elle permet de déplacer le monument, tout en le préservant.

Des valeurs inappropriées

Dans les arguments avancés pour le refus du classement, un va susciter une levée de boucliers, à savoir que « bien que l’œuvre soit un chef-d’œuvre de son époque, elle véhicule des valeurs qui ne sont plus en phase avec celles de la société actuelle, avec une vision patriarcale des rapports sociaux et familiaux véhiculée par l’œuvre, avec des stéréotypes figés sur la famille et le pouvoir masculin. » Cette considération s’inscrit dans le plan bruxellois du gender mainstreaming, adopté en 2021, qui vise à adopter une perspective de genre dans les décisions de conservation et de réaménagement des espaces publics. Ce n’est pas peu dire que ces considérations passent mal auprès des experts qui se sont exprimés à l’invitation de la Commission royale des monuments et sites. Pour Francisca Vandepitte, curatrice aux Musées royaux des beaux-arts (MRBAB) et spécialiste de l’art belge moderne et contemporain, ce n’est pas une représentation de la famille mais une allégorie des différents âges de la vie. « La Maturité est une œuvre relativement abstraite où les groupes de personnages qui entourent l’homme barbu peuvent être lus comme la visualisation de ses réflexions. Dans le contexte symboliste, et encore plus idéaliste, il n’y a pas de clés précises. »

Julie Bawin, autrice de Art public et controverses : XVIIIe-XXIe siècles (CNRS Éditions), peut concevoir que dans le cadre d’un projet de réaménagement, il soit compliqué d’intégrer une œuvre aussi monumentale que La Maturité, mais ce qui est plus gênant pour elle, c’est l’absence de débat. « L’œuvre n’est peut-être pas comprise, mais elle n’a certainement pas été perçue comme offensante, il n’y a eu aucun mouvement de contestation, aucune pétition qui déplorerait un caractère offensant et une œuvre qui incarnerait la domination de l’homme sur la femme. » Contrairement, relève-t-elle, aux statues équestres de Léopold II, critiquées et taguées à la suite du mouvement Black Lives Matter avec l’assentiment ou la compréhension d’une partie de la population. « Ici, ça me donne l’impression de déguiser une décision politique purement verticale, en acte de bravoure vis-à-vis de combats très actuels qui sont essentiels mais qui sont hors propos dans ce cas-ci. »

Au-delà de La Maturité se pose la question de la place de l’art dans l’espace public, et de sa gestion par les autorités. « Je pense que les œuvres ne doivent peut-être pas rester pour l’éternité dans l’espace public. Il y a vraiment une réflexion à mener sur cette temporalité, mais il faut ouvrir le débat. » Dans ce débat ultra polarisé, il a été annoncé que le site accueillerait une œuvre contemporaine de Aglaïa Konrad, réalisée à partir de matériaux de récupération alimentant les récriminations de plus conservateurs. Pour éteindre l’incendie, les autorités aimeraient recentrer le débat sur les enjeux urbanistiques. Quant à La Maturité, un nouvel écrin lui est en principe promis, mais le site est encore à l’étude.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : À Bruxelles, une œuvre de Victor Rousseau déclenche une polémique

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