L’ACTUALITÉ VUE PAR

Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France

« La BNF a une dimension interculturelle »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 20 janvier 2009 - 1349 mots

Directeur de l’Académie de France à Rome de 1997 à 2002 puis président du Centre Pompidou de 2002 à 2007, Bruno Racine a pris les rênes de la Bibliothèque nationale de France (BNF) en avril 2007. Il présente les perspectives de l’institution pour les années à venir et commente l’actualité.

Alors que la BNF vient de célébrer les 10 ans de son site François-Mitterrand, quelles sont les orientations futures de l’institution que vous dirigez depuis avril 2007 ?
En 2008, nous avons fêté les 10 ans de l’ouverture de la bibliothèque de recherche – la bibliothèque « publique » ayant pour sa part ouvert deux ans plus tôt. C’était l’occasion de revisiter le passé et d’engager une réflexion prospective, à l’heure où l’avenir du livre et de la lecture suscite beaucoup d’interrogations. Pour 2008, la BNF a connu un pic de fréquentation pour sa bibliothèque de recherche, mais, inversement, la bibliothèque publique a vu sa fréquentation décroître. Parmi les grands défis à venir, figure la volonté d’enrayer cette tendance. Et ce, tout en confortant notre point fort et mission essentielle, la conservation et l’enrichissement d’une bibliothèque de recherche parmi les plus riches et les plus performantes au monde.

Qu’en est-il des travaux de mise en sécurité et de rénovation du site Richelieu, lesquels ont pris du retard et ne doivent démarrer qu’en 2010 malgré l’urgence de la situation ?
Le site Richelieu, qui abrite les collections spécialisées (consacrées aux estampes, à la photographie, aux arts du spectacle et de la musique, aux cartes et plans…), est dans un état de vétusté préoccupant. Le chantier proprement dit va démarrer en 2010, avec une seconde phase programmée à partir de 2013. Mais dès à présent s’amorce la préparation du chantier, phase particulièrement complexe puisqu’il s’agit de construire des bâtiments provisoires, d’isoler certaines parties, de déménager les collections et le personnel, ce qui explique la longue durée de l’opération. Certains travaux vont pouvoir être anticipés grâce au plan de relance. Nous disposerons ainsi d’ au moins un million d’euros supplémentaires. Cela va permettre notamment d’améliorer la sécurité de la partie qui n’était concernée que par la deuxième phase. Le programme de rénovation du site Richelieu ne consiste pas seulement en la remise en valeur d’un patrimoine ; il s’agit aussi de rendre accessible au public cet ensemble exceptionnel du XVIIe-XIXe siècle qu’il ne connaît pas. Nous allons, en quelque sorte, transposer à Richelieu ce qui a été fait pour le site Mitterrand : d’une part, les départements spécialisés conserveront leurs salles de lecture pour les chercheurs qui consultent les originaux ; d’autre part, grâce à la numérisation des ressources spécialisées, l’une des deux grandes salles de lecture sera ouverte à un public plus vaste. La circulation va être repensée pour celui qui veut simplement visiter les lieux ou accéder à la galerie Mazarine. Ce monument essentiel de la première moitié du XVIIe siècle sera converti en galerie de présentation des trésors de la BNF en accès libre. Le circuit donnera plus de transparence à un lieu qui, jusque-là, était une forteresse réservée au savoir. La dimension scientifique sera, évidemment, préservée et confortée. L’autre salle de lecture sera réservée à l’Institut national d’histoire de l’art, avec lequel nous avons déjà des rapports très étroits.

Où en est le grand chantier de la bibliothèque numérique ?
La bibliothèque physique s’est en effet doublée d’une bibliothèque numérique, domaine où la BNF a été pionnière avec la naissance de Gallica en 1997. Le projet a vu son ampleur accrue à la suite de l’électrochoc Google. La France a alors pris conscience de la nécessité de faire entrer la bibliothèque dans l’ère de la numérisation à grande échelle, opération pour laquelle des crédits ont été accordés par le biais du Centre national du livre. La numérisation, qui était à ses débuts « artisanale », est devenue « industrielle » au rythme des 100 000 ouvrages ou périodiques référencés par an, ce qui suppose une organisation efficace et des prestataires très compétents. De plus, nous mettons en place dès cette année une politique méthodique de numérisation des collections spécialisées (manuscrits, estampes, photographies, monnaies et médailles…), domaine où se situent des ressources très rares voire uniques. Tout ce que nous numérisons pour Gallica sera accessible à travers Europeana. Ce site n’avait pas été dimensionné pour le succès de curiosité qu’il a suscité – ce qui est très bon signe par ailleurs –, d’où les difficultés qu’il a connues au début de sa mise en place en novembre.

Vous développez aussi un programme d’expositions d’art contemporain…
La BNF est une institution patrimoniale, et elle s’enrichit donc aussi de manuscrits ou d’œuvres d’auteurs vivants. Elle entretient ainsi un lien direct avec la création contemporaine au sens large. J’ai souhaité traduire cette réalité de manière plus visible dans notre politique d’exposition. Nous avons ainsi invité [l’artiste] Sophie Calle l’année dernière. Dans quelques mois, nous recevrons [l’écrivain] Philippe Sollers et [le plasticien] Alain Fleischer pour un projet qui ne ressemblera pas non plus à une exposition traditionnelle. En 2010, nous inviterons Richard Prince, qui est aussi un collectionneur de livres passionné, ce qui nous permettra de réfléchir à la manière dont un artiste vivant se nourrit de lectures.

Plusieurs grandes institutions se sont engagées aux côtés du Louvre à Abou Dhabi (Émirats arabes unis). Sur ce sujet, la BNF a été plutôt discrète. Quelle est votre position ?
La BNF est partie prenante du projet et fait partie du tour de table de France-Muséums. Nous contribuons scientifiquement au projet en la personne de Sylvie Aubenas, directrice du département des Estampes et de la Photographie. Le Louvre-Abou Dhabi a fait couler beaucoup d’encre, mais, témoin de la maturation de son projet culturel et de sa rigueur scientifique, j’ai la conviction que la controverse est désormais derrière nous. Nous pourrons contribuer aux espaces de présentation permanente mais aussi à l’organisation d’expositions spécifiques, car le principe d’Abou Dhabi est la pluridisciplinarité, la mise en relation des cultures et des formes d’expression. Les collections de la BNF, du fait de leur histoire, ont depuis toujours cette dimension interculturelle.

Le ministère de la Culture fête ses 50 ans dans le délicat contexte de la révision générale des politiques publiques. Quel doit être selon vous son rôle, notamment par rapport aux grandes institutions comme la BNF ?
Sous l’impulsion de Christine Albanel, le ministère de la Culture s’est engagé dans une restructuration profonde. L’enjeu est de mettre en place un fonctionnement qui tienne compte à la fois de la dimension régionale ou territoriale et de l’existence des grands « opérateurs », ces institutions qui ont maintenant à peu près toutes acquis l’indépendance juridique. Le ministère a pris conscience de la nécessité de resserrer ses missions, d’où l’allégement de ses structures centrales et la fixation de règles nouvelles pour gérer ses relations avec les institutions. Il est légitime et normal que l’État fixe les grandes missions et les objectifs, mais des établissements comme le Louvre ou la BNF sont de tels réservoirs de compétences et de savoir-faire qu’ils peuvent contribuer utilement à la définition de certaines politiques nationales. C’est dans cet esprit que Christine Albanel m’a demandé, dans le cadre du Conseil du livre, de diriger les travaux sur un schéma national du numérique pour les bibliothèques. Il s’agit de mettre en place une interaction féconde entre une administration centrale plus resserrée et des institutions dotées de moyens et de missions larges.

Une exposition a-t-elle retenu votre attention récemment ?
J’ai beaucoup aimé l’exposition « Échappées nordiques » présentée au Palais des beaux-arts de Lille (1). Il s’agit là d’une manière très intelligente d’apprécier un certain nombre d’œuvres disséminées dans les musées en régions et de faire émerger une réalité peu connue telle que la présence de ces artistes nordiques en France dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Cette initiative originale est exemplaire. J’aurais pu également citer « Mantegna » (2) au Louvre, exposition à couper le souffle, ou encore l’œuvre de Granet à Aix, un parcours très émouvant pour le Romain de cœur que je suis.

(1) lire le JdA n°  291, 14  novembre 2008.
(2) lire le JdA n°  288, 3  octobre 2008.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°295 du 23 janvier 2009, avec le titre suivant : Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque