Bruno Racine : « La Bibliothèque nationale de France poursuit une politique unique en Europe »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 21 août 2013 - 3698 mots

Bruno Racine est le Président de la Bibliothèque nationale de France. Il a auparavant dirigé l'Académie de France à Rome et Présider le Centre Georges-Pompidou, entre 2002 et 2007.

L’œil : La ministre de la Culture vous a reconduit en mars dernier pour un troisième mandat à la présidence de la BnF. Quel bilan défendez-vous ?
Bruno Racine : Lorsque j’ai pris mes fonctions, en 2007, j’avais trois objectifs principaux : en premier lieu, accélérer le tournant numérique, défi majeur pour les bibliothèques ; ensuite, hausser l’ambition de la Bibliothèque en matière de grandes acquisitions patrimoniales grâce à une meilleure utilisation de la législation française, de telles acquisitions montrant le dynamisme de l’institution et favorisant, parallèlement, les donations ; enfin, développer la Bibliothèque en tant que lieu physique : il fallait débloquer la rénovation du quadrilatère Richelieu et corriger certaines imperfections du site François-Mitterrand, afin d’améliorer son insertion dans le tissu urbain et d’apporter une réponse au problème de l’entrée, qui constituait un handicap pour la Bibliothèque. Sur ces trois points, nous avons beaucoup avancé. Les enjeux de la numérisation

L’œil : La numérisation engendre des inquiétudes qui ont pu déclencher des polémiques au cours de vos deux premiers mandats, notamment lorsque vous avez étudié la possibilité de faire numériser le fonds de la BnF par Google, ou lorsque ce fonds a finalement été attribué à une société par l’intermédiaire d’un partenariat public-privé. Quels sont les enjeux de la numérisation ?
B. R. :
Il faut parler du « numérique » et pas seulement de la numérisation du patrimoine. Car l’enjeu est triple : convertir le patrimoine physique au format numérique, sujet qui a provoqué l’émoi dont vous parlez, mais aussi développer le dépôt légal numérique et garantir la conservation des données numériques. Nous sommes engagés dans un processus de numérisation de dimension industrielle qui doit tenir compte de la singularité et de la fragilité des documents. Ce processus va s’étaler sur plusieurs dizaines d’années. Pour vous donner une idée : sur Gallica [la bibliothèque numérique de la BnF, ndlr], sont déjà accessibles plus de 2 millions de documents de la BnF. En 2012, celle-ci a réalisé près de 15 millions de scans, ce qui est considérable, mais la masse de ce qui reste à faire est énorme !
Nous avons la chance, à peu près unique en Europe, de bénéficier d’une sanctuarisation des ressources consacrées à la numérisation. Nous recevons ainsi une subvention annuelle du Centre national du livre (le CNL) ; parallèlement, nous réussissons à maintenir sur notre budget propre des crédits qui nous permettent de numériser nos collections spécialisées – estampes, manuscrits, monnaies, etc. – ; et, enfin, grâce aux investissements d’avenir [« le grand emprunt »], nous pouvons mettre en œuvre des programmes de numérisation et de valorisation à travers la filiale que nous avons créée : BnF-Partenariats. C’est grâce à ces investissements d’avenir que nous allons pouvoir, par exemple, numériser l’intégralité de nos fonds sonores antérieurs à 1960.
Tout cela nous permet de poursuivre une politique unique en Europe par son ampleur. Mais la conversion exhaustive du patrimoine physique au numérique est un horizon qui s’éloigne au fur et à mesure que l’on s’en approche…

L’œil : Participez-vous à la numérisation de fonds qui ne vous appartiennent pas ?
B. R. :
Nous jouons un rôle à l’échelle nationale puisque nous incluons des milliers d’ouvrages d’autres bibliothèques dans notre programme de numérisation de masse. Près de 30 % d’entre eux proviennent de l’Inha [Institut national d’histoire de l’art]. Outre l’Inha, la bibliothèque interuniversitaire Cujas est aussi un partenaire important. Nous attribuons également une subvention à de nombreuses bibliothèques en région. Autre exemple, nous avons aussi numérisé les manuscrits de Rousseau conservés à l’Assemblée nationale.

L’œil : Faites-vous des choix dans la numérisation de votre fonds ?
B. R. :
Par la force des choses, nous devons définir un ordre de priorité. Le principe directeur est simple : lorsque le comité de la numérisation identifie un secteur, l’objectif est de le numériser intégralement. C’est le cas des monnaies grecques, par exemple, dont notre collection est l’une des plus riches au monde. Il faut bien comprendre que numériser n’est qu’un élément d’un processus plus large : il faut en particulier que l’objet numérisé – qu’il s’agisse d’un livre, d’une estampe ou d’une monnaie – soit convenablement décrit. Cependant, rien n’est exclu a priori de la numérisation.

L’œil : Quels sont les critères définissant cet ordre de priorité ?
B. R. :
Plusieurs critères entrent en compte. Il y a par exemple la sauvegarde – lorsqu’un document est fragile, difficile à communiquer ou lorsqu’il risque de se détruire. Il y a aussi la demande – nous connaissons les cotes les plus demandées par les lecteurs. Et nous devons respecter le droit d’auteur, qui s’applique soixante-dix ans après la mort d’un auteur. Nous arrêtons en général la numérisation à peu près au début du XXe siècle. Mais grâce à la loi votée l’an dernier, se profile la numérisation des « indisponibles du XXe siècle », soit plusieurs centaines de milliers d’ouvrages qui vont pouvoir trouver une nouvelle vie numérique.

L’œil : Quid du second enjeu du numérique : la sauvegarde des fichiers numériques ?
B. R. :
Il y a plusieurs volets dans le numérique. Il y a d’abord, pour la production éditoriale, l’adaptation du dépôt légal au numérique. Aujourd’hui, un éditeur peut, s’il le désire, remplacer le dépôt de deux livres papier par le seul dépôt d’un fichier – mais cela reste théorique. Nous discutons aujourd’hui avec le ministère et les éditeurs d’une meilleure formule : le dépôt d’un seul exemplaire papier et d’un fichier numérique.
Et puis, il y a le dépôt légal du Web institué par la loi de 2006 – à l’Ina pour les sites des médias audiovisuels et à la BnF pour le cas général. L’enjeu est passionnant, car il nous a fallu élaborer une doctrine, des règles qui puissent donner un panorama très large d’Internet à un instant t et nous permettent d’archiver certains sites en profondeur, comme ceux des grands journaux. Avec ce paradoxe : ce que nous archivons du Net est consultable uniquement dans nos salles pour des raisons de droits…

L’œil : Réfléchissez-vous également à la conservation du numérique, parfois plus fragile que le papier ?
B. R. :
Absolument. C’est même l’un des points sur lequel la BnF a beaucoup investi. Nous sommes considérés comme en pointe en la matière. Nous ne sommes pas les seuls à faire de l’archivage numérique, mais nous avons pour mission, à la différence d’autres opérateurs, de le faire de manière pérenne. Nos données numériques doivent être conservées sans limite de temps. Chaque année, une part de la subvention du CNL est consacrée à l’accroissement et au perfectionnement de notre système de préservation numérique qui est réparti en deux lieux pour des raisons de sécurité.

L’Europe

L’œil : On a parfois pu comprendre, peut-être à tort, que vous n’étiez pas favorable à Europeana, la bibliothèque numérique européenne dont vous êtes le président…
B. R. :
Je suis, au contraire, un fervent défenseur de la coopération européenne en la matière. Non, le problème d’Europeana se situe dans l’inégale numérisation du patrimoine qui est de la responsabilité des États membres. Je plaide pour qu’Europeana soit davantage un catalyseur de vastes programmes de numérisation à l’échelle du continent. La culture européenne, je la conçois comme une dynamique, non comme la simple juxtaposition de cultures nationales ; elle doit s’incarner dans des projets communs. Il y a eu des exemples avec la numérisation de manuscrits royaux, mais cela reste l’exception.
Pour le moment, l’enjeu principal est de faire reconnaître Europeana comme une infrastructure européenne majeure et de pérenniser son financement par la Commission européenne. Si cet objectif est atteint, Europeana, en tant qu’institution, jouira d’une stabilité dans le temps qui consolidera considérablement son assise.

Les acquisitions

L’œil : La BnF a récemment montré son dynamisme en matière d’acquisitions, avec des achats dont les montants ont été très médiatisés : 2,9 millions d’euros pour le fonds Debord, 3,8 millions pour Foucault, 4,5 pour le manuscrit de La Vie de sainte Catherine, plus encore pour les manuscrits de Casanova… Dans le contexte économique actuel, la BnF a-t-elle réellement les moyens de ses ambitions ?
B. R. :
Mon but est justement de les lui trouver. Sur le budget propre de la BnF, la contrainte est forte. Tout l’enjeu est de trouver des particuliers généreux et des entreprises mécènes. C’est ce qui est en train de se réaliser en ce moment pour l’acquisition des archives de Michel Foucault ; et nous avons d’autres projets en vue. Évidemment, nous n’aurons jamais tous les moyens dont nous pourrions rêver, mais les acquisitions sont une de mes priorités absolues.

L’œil : Vous avez testé, en 2012, l’appel aux dons du grand public pour acquérir le Livre d’heures de Jeanne de France. Allez-vous réitérer ce genre d’opération ?
B. R. :
Nous avons en effet testé la sensibilité du public aux acquisitions. Il nous manquait 250 000 euros pour acquérir le Livre d’heures de Jeanne de France. Le résultat a dépassé nos espérances : près de 1 700 donateurs ont donné une moyenne de 150 euros ! Mais la générosité du public n’est pas illimitée, même si ce ne sont pas forcément les mêmes qui se mobiliseront pour un manuscrit médiéval ou pour un tableau de Courbet. Il faudra donc bien choisir l’objet, être certain qu’il existe un public motivé et ne pas galvauder ce type d’opération.

L’œil : À votre arrivée, le mécénat était-il organisé comme aujourd’hui ?
B. R. :
Le mécénat existait déjà, comme le partenariat exemplaire par son ampleur et sa fidélité avec la Fondation Louis Roederer, centré sur la photo, dont nous avons fêté les 10 ans en 2012. Jean-Claude Meyer anime avec passion un cercle de mécènes généreux et motivés, et nous organisons ensemble un grand dîner annuel. L’Association des amis de la BnF permet aussi des acquisitions non négligeables, notamment dans le domaine de l’estampe. Pour mettre en œuvre une politique sur le long terme, j’ai créé une délégation au mécénat. Bien entendu, il s’agit d’un domaine dans lequel l’engagement personnel du président est déterminant.

L’œil : En quoi les acquisitions favorisent-elles les donations ?
B. R. :
Il ne faut pas seulement regarder le montant des acquisitions, mais comprendre qu’elles ont aussi un effet d’entraînement sur les donations : comme celles d’écrivains vivants qui, comme Pierre Guyotat ou Olivier Rolin, nous confient leurs archives au fur et à mesure de leur production, ou la donation des planches d’Astérix par Uderzo que nous exposerons à la rentrée… L’ensemble « acquisitions-donations » forme un tout.
Parallèlement, j’ai créé un espace d’expositions – la Galerie des donateurs – qui nous permet quatre ou cinq fois par an de présenter au public les dons que nous avons reçus. Nous venons, par exemple, d’exposer la donation des manuscrits de Salah Stétié et nous présenterons, fin 2013, celle de Carolyn Carlson. Dans tous les cas, la valorisation scientifique et culturelle des acquisitions ou des dons est une priorité, comme on l’a vu avec Casanova et Guy Debord.

L’œil : Cet engouement pour les fonds d’écrivains ou les planches de BD est porté par un marché récent. N’est-ce pas un jeu dangereux que de participer à ce marché ?
B. R. :
Le dilemme est le même pour l’art contemporain : compte tenu du marché international, ce qui n’a pas été acquis risque de ne jamais l’être. Certes la loi du marché s’impose, et l’on assiste bien à un effet boule de neige, nos acquisitions soutenant un marché dont la tendance est plutôt à la hausse, sans que l’on puisse prévoir d’ailleurs un retournement ou, à plus forte raison, un effondrement.
Cette tendance à la hausse résulte de la prise de conscience récente de la valeur patrimoniale des documents à laquelle le marché n’attachait pas tant d’importance il y a encore peu de temps. Il s’agit donc d’un mouvement à long terme. La contrepartie positive d’un tel engouement est que les particuliers comprennent mieux l’importance de sauvegarder ces fonds…

L’œil : Vous ne semblez pas critique envers le Musée des lettres et des manuscrits à Paris et à Bruxelles qui, pourtant, participe à l’emballement de ce marché. Pourquoi ?
B. R. :
J’ai encouragé ses responsables dans l’idée de créer une fondation qui garantirait la conservation de documents précieux et prévoirait, au cas où la fondation disparaîtrait, leur dévolution aux collections nationales. La fondation a été créée, c’est positif. Maintenant, nous avons tous intérêt à éviter que ne se crée une bulle spéculative dans ce domaine. Par ailleurs, Gérard Lhéritier, président d’Aristophil, soutient les collections publiques, en particulier la BnF, en contribuant à l’acquisition de Trésors nationaux.

L’œil : Travaillez-vous avec des auteurs vivants pour les sensibiliser à la sauvegarde de leurs archives et, pourquoi pas, à leur future donation ?
B. R. :
Absolument. En juillet, j’ai organisé une rencontre avec les sociétés d’auteurs et avec des éditeurs pour réfléchir avec eux à la question de la préservation des brouillons ou des manuscrits numériques. Un auteur est libre de détruire ses brouillons, mais s’il souhaite les conserver, nous devons être en mesure de lui offrir ce service, qui peut se transformer, à terme, en don. Ce service est pour l’heure en test avec Pierre Guyotat, dont nous sauvegardons même les e-mails.

L’œil : Tous ces enrichissements représentent des coûts importants en termes d’espaces, de ressources humaines, de climatisation… La BnF peut-elle financièrement enrichir son fonds indéfiniment ?
B. R. :
Toutes les grandes bibliothèques patrimoniales, comme la BnF ou la British Library en Angleterre, s’orientent vers une décentralisation partielle de leurs collections. Le numérique permet évidemment d’avoir accès à distance à des objets physiques. La BnF a la chance de posséder un centre technique et de conservation à Bussy-Saint-Georges, dessiné par Dominique Perrault en même temps que le site François-Mitterrand et conçu comme un ensemble de modules extensibles. A terme, une part importante de nos collections y sera stockée.

L’œil : Le numérique est-il moins coûteux que l’archivage de documents physiques ?
B. R. :
Le numérique s’ajoute à la conservation des documents existants. Il faut bien se dire que dans un monde où tout serait numérisé, la sauvegarde de l’original et son accès resteraient indispensables. Nous n’allons pas commettre l’erreur de certaines bibliothèques américaines qui, après avoir microfilmé leurs archives de presse, ont détruit les originaux. Le numérique est fragile et périssable. Les Britanniques ont résolu de manière plus volontariste que nous ce problème en construisant un immense silo à la campagne, très loin de Londres, là où le coût du foncier est très bas, pour stocker une part croissante de leurs fonds.

Fréquentation et programmation

L’œil : La fréquentation de la Bibliothèque est en hausse, les salles de lecture ne risquent-elles pas d’arriver à saturation ?
B. R. :
En 2012, la fréquentation globale est en très légère hausse avec 925 000 entrées dans les salles de lecture. On observe tout de même sur dix ans une décrue lente et régulière de la bibliothèque grand public, phénomène que nous observons dans tous les pays développés. Pourtant les espaces en haut-de-jardin sont, à certains moments, saturés. Pour y remédier et nous adapter aux nouveaux usages des lecteurs, nous installons donc des sièges et des postes de travail dans les espaces publics et allons créer des salles pour le travail en groupe, nous instaurons la gratuité à partir d’une certaine heure… L’inauguration cet automne de la nouvelle entrée du site François-Mitterrand participe de cette politique de convivialité. La bibliothèque de recherche, quant à elle, qui représente plus d’un tiers de notre fréquentation, a été victime de son succès. Nous avons donc dû en 2012 resserrer les conditions d’accès pour éviter les phénomènes de saturation. Actuellement, nous mettons en place une meilleure gestion des places pour absorber une nouvelle croissance des chercheurs.
Tout est fait pour continuer à inviter les lecteurs et les chercheurs à venir à la BnF. On ne peut pas concevoir une institution qui reçoit environ près de 200 millions d’euros de subventions par an si elle n’a pas cette volonté d’ouverture envers un public large.

L’œil : Parallèlement, vous avez développé la programmation d’expositions de la BnF. Pourquoi cette politique, et pourquoi accueillir cet automne une exposition des dessins de Matthew Barney qui serait, a priori, plus du ressort du Mnam ?
B. R. :
La programmation d’expositions fait partie des missions de la BnF. Et la Bibliothèque étant encyclopédique, elle peut aborder tous les thèmes. Mais je m’efforce toujours, y compris dans le volet de la programmation qui touche à l’art contemporain, de choisir des expositions cohérentes avec la vision d’une bibliothèque. Nous avons par exemple présenté Richard Prince à travers le prisme de la bibliophilie, en montrant en quoi l’activité de collectionneur était, chez l’artiste, une source fondamentale de la création. Cette exposition était donc très différente de ce qu’aurait fait un musée d’art contemporain. Pour Matthew Barney, il s’agira d’un dialogue entre ses dessins et les collections de la bibliothèque. La BnF a quelque chose à dire aux créateurs de notre temps, c’est un message important à mes yeux.
Par ailleurs, dans le projet de rénovation du quadrilatère Richelieu, il y aura, outre le Musée des monnaies et des médailles entièrement restauré, un espace d’exposition permanente, dédié aux trésors de la collection.

L’œil : Le public vous a-t-il suffisamment identifié aujourd’hui comme un lieu naturel d’expositions ?
B. R. :
La réponse est oui et non. Si nous sommes bien repérés par le public de la photographie, nous ne le sommes pas spontanément dans d’autres domaines. C’est un problème que connaissent toutes les bibliothèques. Nous avons encore, de ce côté, un important potentiel de croissance.

Les chantiers

L’œil : Le site François-Mitterrand a-t-il enfin trouvé sa place parmi le grand public parisien ?
B. R. :
Ce n’est pas encore suffisamment le cas, mais le développement du quartier y contribue. L’implantation de cinémas d’art et d’essai dans des espaces appartenant à la BnF fera venir devant la Bibliothèque des centaines de milliers de spectateurs ; la nouvelle entrée dessinée par Dominique Perrault devrait également mieux relier le site François-Mitterrand à son environnement…

L’œil : Comment a été conclu le partenariat avec MK2 pour l’ouverture de salles de cinéma d’art et d’essai, à la rentrée, au sein de la BnF ?
B. R. :
Nous possédions des espaces vides d’environ 1 000 m2 que nous n’exploitions pas. Ils avaient été conçus à l’origine pour accueillir des restaurants, qui devaient pouvoir fonctionner indépendamment de la Bibliothèque. Ces espaces, situés sous le parvis, étaient restés vides depuis la construction. J’ai donc lancé un appel à projet ; MK2, présent en voisin sur le site et désireux de développer son offre par une programmation d’art et d’essai, a déposé une offre. La société exploitera ainsi quatre petites salles, en contrepartie de quoi elle finance la construction de la nouvelle entrée, ce que nous n’aurions pas pu faire autrement dans le contexte budgétaire actuel. Ensuite, elle nous versera une redevance annuelle.

L’œil : Aurez-vous un droit de regard sur la programmation de ces cinémas ?
B. R. :
La programmation sera sous la seule responsabilité de MK2, mais il pourra y avoir une complémentarité entre nos programmations respectives. Tout le monde sait que Marin Karmitz [le fondateur de MK2] est un grand amateur d’art contemporain ; cette complémentarité est donc d’ores et déjà opérante pour l’exposition Matthew Barney, elle le sera aussi pour la prochaine exposition Astérix.

L’œil : À la rentrée, vous allez également inaugurer la nouvelle entrée qui devrait relier le site à la ville…
B. R. :
La nouvelle entrée sera très visible et accessible du côté est de la Bibliothèque. Plus proche du métro, elle permettra d’accéder facilement aux espaces publics de la BnF. À terme, l’idée sera d’associer à cette nouvelle entrée en surface des cafés, des libraires… Ce projet, que nous appelons projet « bouquinistes », auquel sont très favorables la Ville de Paris et Dominique Perrault, complétera l’aménagement de l’esplanade.

L’œil : Où en est le projet d’installer une œuvre de Joseph Kosuth sur le site François-Mitterrand ?
B. R. :
L’idée n’est pas de transformer la Bibliothèque en centre d’art. L’art contemporain est, par exemple, un élément de la programmation, mais toujours dans le cadre de nos missions premières. Le projet d’installation d’une œuvre de Kosuth se fera à condition d’en trouver le financement par mécénat. Là encore, ce projet a un sens : l’œuvre, la reprise d’une citation assez subtile de Michel Foucault, évoque la transformation du langage lorsqu’il passe de l’oralité à l’écrit. C’est aussi un projet que je souhaite vivement réaliser, ainsi d’ailleurs que Dominique Perrault, car il apporterait un plus symbolique à l’architecture de la bibliothèque.

L’œil : Comment voyez-vous évoluer le budget de la BnF qui est actuellement en baisse ?
B. R. :
La ministre Aurélie Filippetti est très consciente des enjeux de la Bibliothèque. Évidemment, il nous faut prendre part à l’effort de redressement des comptes publics, en revoyant notre organisation là où elle peut être allégée, en repensant dans certains cas la manière dont nous nous acquittons de nos missions, ce qui nous permettra d’absorber la baisse des effectifs tout en préservant le service que nous offrons aux lecteurs… La période n’est pas facile et il peut y avoir des tensions, d’où l’importance du dialogue en interne.

L’œil : Y aura-t-il de nouvelles baisses des effectifs ?
B. R. :
Nous savons bien que les années qui viennent seront marquées du sceau de la contrainte et que l’on ne reviendra pas à la situation antérieure. Mon but est donc d’adapter la Bibliothèque à cette situation et de trouver de nouvelles marges de manœuvre en développant nos ressources propres, notamment en tirant meilleur parti de notre patrimoine immobilier. Nous resserrons parallèlement notre périmètre, puisque nous devrons sans doute nous séparer, à l’horizon 2019, du bâtiment occupé par le département de la Musique, rue de Louvois, qui rejoindra les autres départements du quadrilatère Richelieu… Mon but est de préserver la capacité d’enrichissement de nos collections, de continuer à financer nos besoins futurs en investissement et surtout de maintenir la qualité des services que nous rendons aux lecteurs sur place et à distance.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : Bruno Racine : « La Bibliothèque nationale de France poursuit une politique unique en Europe »

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