Disparition - Design

Avec la disparition d’Enzo Mari, le design italien perd l’un de ses maîtres

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2020 - 688 mots

Milan. L’Italie salue la mémoire du « dernier monstre sacré du design ».

Enzo Mari s’est éteint à 88 ans. « C’est un géant du design du XXe siècle. Un artiste de renommée mondiale créateur d’objets iconiques. Milan s’en souviendra toujours », a commenté Giuseppe Sala, le maire de la ville où il vivait et travaillait, mais aussi où il avait enseigné de nombreuses années, en particulier au Politecnico. Enzo Mari disparaît au lendemain de l’inauguration de l’exposition de la Triennale de Milan qui lui rend hommage. Elle retrace les 60 ans d’activités d’un homme connu pour ses provocations, son intransigeance et son caractère colérique, mais surtout apprécié et dorénavant regretté pour son éthique et sa déontologie.

« Je déteste les écoles techniques »

Celui qui incarnait « la conscience du design » était né en 1932 près de Novare. Après des études à l’académie de Brera, à Milan, de 1952 à 1956, il évolue dans le mouvement d’art cinétique. Il se lie d’amitié avec le plasticien Bruno Munari qui le présente au galeriste Danese. C’est le début de sa carrière avec l’édition de son puzzle en bois 16 animali en 1957. En 1963, il anime le Groupe Nuova Tendenza et organise son exposition à la Biennale de Zagreb en 1965. À la fin des années 1960, il entame en parallèle une carrière de professeur universitaire qui durera jusqu’au début des années 2000. Il s’y fait remarquer pour son anticonformisme. « Je déteste les écoles mais surtout celles techniques », aimait dire celui que l’on qualifiait souvent de rebelle. « La connaissance qu’elles dispensent peut facilement être acquise par quelqu’un d’intelligent en quelques semaines de travail. Les écoles ne sont qu’un business qui existe pour façonner les gens. Enseignons à nos enfants à être des artisans, à s’emparer du nouvel art du dessin, à comprendre ce qui a été fait dans le passé, pourquoi et comment. »

À la question « qu’est-ce qu’un bon design » ? Il répondait : « durable, accessible, fonctionnel, bien fait, pertinent émotionnellement, résistant, socialement bénéfique, beau, ergonomique et accessible financièrement. » Cela se traduira dans des objets iconiques comme la Box Chair (Anonima Castelli), la Sof Sof Chair (Driade) ou encore le presse-agrumes Titanic (Alessi). Mais aussi avec une multitude d’objets fonctionnels d’une grande élégance pour les plus grandes marques italiennes : Artemide, Danese, Kartell, Magis, Olivetti, Poltrona Frau, Zanotta, et étrangères comme Le Creuset, Thonet ou Muji. En 1972, il participe avec Ettore Sottsass et Vico Magistretti à l’exposition « New Domestic Landscape » au MoMA de New York qui consacre l’importance du design italien. Il y présente les vases Pago Pago (Danese) que l’on peut utiliser de manières différentes.

Rendre le consommateur actif

Ce communiste auto-proclamé, qui n’a pourtant jamais adhéré au PCI, ne cessera de fustiger les fabricants qui ont d’après lui « confisqué » la production du mobilier pour faire du client un simple consommateur passif. Il convient donc d’en faire un véritable acteur du design. « Ingénument j’avais cherché à rendre l’art accessible à tous et, avec le design, j’ai cherché à ce que les personnes qui travaillent de manière aliénante prennent conscience de l’œuvre créative », confesse-t-il un jour. C’est le but de son exposition « Proposta per autoprogettazione » qui fait scandale en 1974. Les plans d’une collection de meubles facilement réalisables chez soi sont gratuitement fournis. Le but est de rendre l’utilisateur plus attentif à un mobilier dont il prendra plus soin, ce qui allongera sa durée de vie. Un véritable manifeste du design anti-consumériste. En 1999, il est l’initiateur de celui de Barcelone qui plaide pour un serment d’Hippocrate du designer.

Sa carrière est émaillée de nombreux coups de gueule contre le dévoiement des grands principes du design. Il a été récompensé par cinq Compasso d’oro, la plus importante distinction du design italien (1967, 1979, 1989, 2001 et 2011).

L’Italie ne pleure pas uniquement sa disparition mais aussi celle de sa compagne Lea Vergine survenue le lendemain de la mort de l’homme avec qui elle partageait sa vie et ses passions. Cette historienne de l’art et commissaire d’exposition était considérée comme l’une des plus importantes figures de la critique contemporaine italienne. Elle avait placé le rôle des femmes, l’écologie et le corps au cœur de son travail.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°554 du 30 octobre 2020, avec le titre suivant : Avec la disparition d’Enzo Mari, le design italien perd l’un de ses maîtres

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