Art Basel, la foire qui fait son show

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 10 juin 2005 - 933 mots

L’édition 2005 joue le grand écart, du micro au macro, des livres d’artistes aux installations, sans perdre de vue l’essentiel : les affaires.

Art Basel est la seule foire dont le pouvoir d’aimantation est tel qu’elle crée toujours l’événement, même lorsque les changements de programmation sont infimes. Qu’Anne de Villepoix cède la place à Praz-Delavallade (Paris) ou que XL (Moscou) et Kurimanzutto (México) fassent leur baptême du feu, la donne reste inchangée. « Aujourd’hui, ce ne sont pas les exposants qui sont la vedette, mais la foire elle-même. Bâle resterait Bâle même si on lui retirait certaines grosses galeries », remarque l’ancien directeur d’Art Basel, Lorenzo Rudolf.
La foire joue la fibre de l’exclusif, au point qu’on oublie souvent le nombre de participants au profit de celui des candidatures éconduites, supérieur à 800. Le jeu de l’exclusivité s’étend aux collectionneurs qu’Art Basel canalise entre le jour du vernissage first choice de 11 heures et le preview de 14 heures. Il y a du syndrome « Festival de Cannes dans l’air » : peu importe la sélection, pourvu que l’on monte les marches le plus tôt possible !

La foire, un baromètre
Bien qu’ancien, ce procédé de segmentation horaire revêt un jour particulier dans le climat actuel de surchauffe. Il n’est d’ailleurs pas sans rappeler les listes d’attente des galeries qui maintiennent les acheteurs sous tension et attisent les désirs. Suivant d’un mois les ventes de New York (lire p. 18), Art Basel ratifie l’euphorie du marché et confirme certaines spéculations. Les exposants auront tendance à calquer leur accrochage sur les trophées des ventes. Il est donc à présager que Richard Prince sera de la fête ! D’autres valoriseront leurs artistes exposés parallèlement à la Biennale de Venise, dans un jeu de vases communicants, avec le label « Vu à la Biennale ». « La foire est un baromètre à une plus grosse échelle que les ventes, qui se focalisent sur un nombre réduit d’artistes, remarque Samuel Keller, le directeur d’Art Basel. S’il y a deux enchères importantes sur un artiste, on ne sait pas s’il ne s’agit pas d’un phénomène isolé. Quand à Bâle vingt stands présentent le même artiste, on réalise si les prix sont réels ou pas. D’un côté, cela peut accélérer le buzz (1) parce que les gens voient qui achètent quoi. D’un autre côté, il peut y avoir un effet contraire car, à Bâle, tu as 2 000 artistes. Pour le même prix, on peut s’acheter des choses très différentes. On peut comparer les prix de Cattelan et de Duchamp. »
Chacun appréhende donc le salon par le bout de sa lorgnette, qu’elle soit spéculative, prospective ou conservatrice. Car en tanguant entre le chef-d’œuvre historique et la hype, Art Basel a la force du balancier. C’est d’ailleurs la seule foire à pouvoir encore rallier les galeries modernes, de plus en plus happées par les foires d’antiquaires. « Nous avons fait jusqu’à présent surtout des salons dédiés aux old masters. Très récemment, nous avons pensé qu’il serait important pour nous d’attirer un public intéressé par le contemporain », remarque Julia Thiell, de la nouvelle impétrante Richard Nagy (Londres). Il est vrai que lorsque les acheteurs d’art contemporain jettent leur dévolu sur un domaine, quel qu’il soit, ils ne lésinent pas ! Encore faut-il que les galeries modernes s’adaptent au goût ambiant, porté sur la dérision et l’humour. Ce à quoi s’attellera la Galerie 1900-2000 (Paris), avec un accrochage de Hans Bellmer entre 5 000 et 60 000 euros, ou Nathalie Seroussi (Paris) avec un aréopage Dada allant de 65 000 euros pour une encre et collage (1918) de Hannah Hoech à 200 000 euros pour une Poésie sentimentale (1920) de Jean Crotti. Dans la catégorie arme lourde, Daniel Malingue (Paris) prévoit une toile de Tanguy, Le Grand Nacré (2,5 millions de dollars).

« Learn to read art »
Nouveauté, la foire ouvre ses portes aux livres d’artistes. Une idée heureuse et non moins surprenante, car ces ouvrages, nés du projet de démocratiser l’art en le rendant compatible avec la plus grande diffusion, se dérobent aux habituels « tarifs bâlois ». Cette démarche menée par le commissaire d’exposition Lionel Bovier s’inscrit dans le hall d’« Art Unlimited », ce qui permet une passerelle inédite entre l’intime et le spectaculaire, du flip book de Bruce Nauman à 50 dollars à l’installation Gaze de Pedro Cabrita Reis, présentée par la galerie Nelson (Paris) pour 100 000 euros. Le grand écart du micro au macro pourrait avoir une vertu pédagogique. Les livres d’artistes permettent aux visiteurs de se réapproprier d’une certaine façon l’art contemporain, perdu parfois dans des prix stratosphériques ou des dimensions dignes du Golem. Une façon d’obéir au mot d’ordre de l’artiste Lawrence Weiner : « Learn to read art » (Apprends à lire l’art).

(1) technique marketing consistant à faire du bruit autour d’un nouveau produit ou d’une offre.

Art Basel

15-20 juin, Messe Basel, Messeplatz, Bâle, www.artbasel.ch, tél. 41 58 200 20 20, du 15 au 19 juin 11h-19h, le 20 juin 11h-17h. - Directeur : Samuel Keller - Nombre d’exposants : 267 - Nombre de visiteurs attendus : 50 000 - Prix au m2 : 286 euros HT dans le secteur général ; pour la section « Art Unlimited », 8 800 francs suisses (5 700 euros) Liste - Directeur : Peter Bläuer - Prix du stand : pour un group show : 5 918 francs suisses (3 830 euros) ; pour un solo show : 4 842 francs suisses (3 130 euros) Voltashow - Directeurs : Friedrich Loock, Ulrich Voges, Kavi Gupta - Prix : 5 000 euros le stand

Les antichambres de Bâle

Ouvrant ses portes en même temps que la preview d’« Art Unlimited », Liste fête ses 10 ans, ce qui en fait la plus pérenne des foires off. Dans les rangs parisiens, le jeune Jocelyn Wolff rejoint Grégoire Maisonneuve et Corentin Hamel. Par un jeu de chaises musicales, Hervé Loevenbruck (Paris) migre vers la nouvelle foire VOLTAshow, sur l’autre rive du Rhin. Art Basel Miami Beach comptant déjà deux foires off dans son sillage, la foire souche ne pouvait s’en contenter d’une seule ! Mais VOLTAshow se distingue de Liste et se rapproche en cela de NADA Art Fair puisqu’elle est organisée par les galeries elles-mêmes. Elle se veut une plate-forme de fermentation pour des enseignes d’âge et de taille intermédiaires, trop vieilles pour Liste et en attente d’un sésame pour Art Basel. D’où le spectre allant de la Madrilène Espacio MÁ­nimo, lancée en 1992, à LFL, inaugurée à New York en 2000. VOLTAshow risque du coup d’offrir un visage plus clean que l’esprit « bidouille » de Liste. À défaut d’Art Basel, Anne de Villepoix avait posé sa candidature pour VOLTAshow avant de se rétracter. Outre que son adhésion à une foire off pouvait passer pour une régression, la participation à l’événement aurait condamné tout espoir de réintégrer un jour le saint des saints. Le choix des foires, même off, est hautement stratégique... - Liste, 14-19 juin, Warteck pp, 15 Burgweg, Bâle, tél. 41 61 692 20 21/ 41 61 693 03 47, www.liste.ch, 13h-19h - Voltashow, 14-19 juin, Voltahalle, 27 Voltastrasse, Bâle, tél. 41 30 2790 7826, www.voltashow.com, 13h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°217 du 10 juin 2005, avec le titre suivant : Art Basel, la foire qui fait son show

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