Wolfgang Beltracchi a-t-il fabriqué un faux Marie Laurencin répertorié par un conservateur français ?

Par Suzanne Lemardelé · lejournaldesarts.fr

Le 23 janvier 2012 - 655 mots

TOKYO (JAPON) [23.01.12] – Trois mois après sa condamnation à six ans de prison pour fabrication et trafic de faux tableaux, Wolfgang Beltracchi fait à nouveau parler de lui. Une toile conservée au musée japonais Marie Laurencin et répertoriée dans le catalogue raisonné du conservateur Daniel Marchesseau pourrait en fait être l’œuvre du maître faussaire allemand.PAR SUZANNE LEMARDELÉ

Comme le Spiegel le pressentait, les quatorze tableaux à l’origine de la condamnation du « gang Beltracchi » en octobre dernier pourraient bien être « juste la partie émergée de l’iceberg ». Ces œuvres ne seraient pas les premières à avoir été mises sur le marché par le faussaire allemand : une toile conservée au Japon pourrait en apporter la preuve.

Le tableau en question est un portrait du marchand Alfred Flechtheim, un proche de Marie Laurencin. Actuellement conservé au Musée Marie Laurencin, dans la préfecture de Nagano au Japon, il est répertorié dans le deuxième volume du catalogue raisonné de Daniel Marchesseau, paru en 1998. D’après le Frankfurter Allgemeine Zeitung, l’attribution du conservateur, et actuel directeur du Musée de la Vie Romantique à Paris, serait erronée.

Le journal allemand s’appuie sur la provenance du tableau, telle qu’elle est retracée dans le catalogue raisonné : le portrait, vendu par la Galerie 2, entre en 1989 au Musée Marie Laurencin à Tokyo. Il se trouvait auparavant à la galerie Hopkins-Thomas, à Paris. Sont également mentionnés comme propriétaires antérieurs « Alfred Flechtheim Berlin-Düsseldorf », « un collectionneur privé à Krefeld, vers 1920 »… et « Otto Schulte-Kellinghaus, Krefeld, 1988 ».

Or Otto Schulte-Kellinghaus n’est autre que le quatrième accusé dans l’affaire Beltracchi. Chargé d’écouler les tableaux réalisés par le faussaire, il touchait une commission de 20 % sur les ventes. Lors de son procès, le receleur a avoué n’avoir en réalité jamais hérité ni collectionné d’œuvres d’art moderne. Comment aurait-il donc été en possession d’un tableau de Marie Laurencin en 1988 ?

Daniel Marchesseau explique quant à lui avoir examiné le tableau sur photos, à la demande du musée japonais, selon des critères iconographiques et historiques qu’il qualifie de « plausibles ». « Beaucoup d’Allemands étaient présents à Montparnasse dans les années 1910 », explique-t-il, « Marie Laurencin en a même épousé un en 1914 (ndlr. le peintre Otto von Wätjen). Il y avait de plus des liens étroits entre Alfred Flechtheim et Paul Rosenberg, le marchand de Marie Laurencin. Cela semblait normal ». Le conservateur ajoute que le tableau « n’est pas très beau » comme tous les portraits d’homme de cette époque réalisés par Marie Laurencin, accréditant son attribution. S’il ne nie pas avoir pu faire une erreur, le conservateur met en avant sa bonne foi : « Je suis un serviteur de l’État, il ne s’agit ni d’expertise, ni de conseil, je n’ai pas touché d’argent ». Enfin, le conservateur remarque qu’il est étrange que l’on ait pu faire un faux Marie Laurencin à une époque où celle-ci était peu cotée. Il estime que le tableau ne devait pas valoir à l’époque plus de 10 000 euros d’aujourd’hui.

Mais s’il s’avère que le portrait de Flechtheim est effectivement un faux réalisé par Beltracchi, cela prouverait que le faussaire allemand diffusait déjà ses œuvres sur le marché avant 1993, date d’invention de la fictive « collection Jägers » qu’il avait imaginée avec ses complices pour mieux écouler ses œuvres.

Les quatre accusés du « gang Beltracchi » ont tous été condamnés mais les différents procès entraînés par la découverte de leurs faux tableaux sont loin d’être terminés. L’affaire qui oppose la société Trasteco à la maison de ventes Lempertz entre dans une nouvelle phase, le tribunal de Cologne ayant décidé de solliciter l’avis d’experts avant de conclure. En 2006, Trasteco avait acheté une toile attribuée à Campendonk pour la somme record de 2,9 millions d’euros. Après expertise, le tableau s’était révélé faux. Les experts devront déterminer si la maison de ventes Lempertz a bel et bien effectué tous les contrôles d’authenticité nécessaires pour une vente d’une telle importance.

Légende photo

Portrait d'Alfred Flechtheim. Jusqu'à présent attribué à Marie Laurencin (1883-1956), il serait l'oeuvre du faussaire Beltracchi. Il est conservé au Musée Marie Laurencin à Tokyo. © Photo D.R.

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