Vienne le pari de l’art contemporain

L'ŒIL

Le 1 février 2002 - 2003 mots

Au cœur de la capitale autrichienne, le MuseumsQuartier est devenu l’un des dix plus grands complexes culturels du monde. Véritable écosystème dédié à la création contemporaine pour les uns, il n’est pour d’autres
rien de plus qu’une vaste opération marketing.

Toute personne qui visite l’Autriche et plus particulièrement Vienne remarque ici et là de grandes affiches barrées de deux lettres : MQ. Sous ce sigle mystérieux se cache l’une de ces réalisations fastueuses que les grandes métropoles se plaisent à édifier. Situé à quelques centaines de mètres du centre, le MQ est en fait un gigantesque complexe rassemblant près d’une vingtaine d’institutions et de musées, tous dédiés à l’art des XXe et XXIe siècles. Trouver le MuseumsQuartier est aisé : de la cathédrale en rejoignant l’imposant complexe impérial (l’Albertina et le palais Hofburg), s’ouvre alors une perspective composée de jardins désuets, bordés d’un côté par l’austère Musée historique (Kunst-historisches Museum) et de l’autre par le Musée d’Histoire naturelle. Au fond, un long bâtiment baroque à la façade tout juste rénovée, les anciennes écuries impériales réalisées entre 1716 et 1725 par Johann Bernhard Fischer von Erlach et son fils. Composé de trois étages, l’élégant bâtiment aux nombreuses dépendances et vastes cours fut longtemps laissé à l’abandon, changeant régulièrement de destination. Pourtant, en 1985, le prestigieux Festival de Vienne investit momentanément les lieux. Au même moment, plusieurs institutions viennoises sont confrontées à un manque flagrant d’espace au point de devoir ouvrir des antennes pour poursuivre leur activité. Ainsi du Musée d’Art moderne-Ludwig Fondation qui, depuis son ouverture en 1962, n’a cessé de s’enrichir de dizaines d’œuvres importantes allant du Pop Art américain aux tendances européennes des années 60 et 70. Dans le même temps, la capitale autrichienne voit son nombre de visiteurs augmenter régulièrement. Les politiques décident alors d’élargir l’offre culturelle, une offre non plus centrée uniquement sur les traditions et les grands moments historiques, mais aussi sur l’art du XXe siècle. En 1986, une compétition internationale est lancée, même si le projet reste encore flou. Sur les 88 équipes qui concourent, sept sont retenues pour la seconde phase. Enfin, en 1990, le jury penche en faveur du projet de l’agence Ortner & Ortner. De cet élan initial, il ne reste aujourd’hui plus grand-chose. Dès 1991, le projet s’enlise faute de financement. Il faut attendre 1998 pour que la première pierre soit enfin posée et les architectes ont dû revoir leurs plans. « Le projet initial était assez différent. Nous avions prévu de réaliser de grandes tours dans les cours. Nos options étaient alors assez radicales, se souvient Christian Lichtenwagner, l’un des principaux artisans de ces plans. En fait, ce revirement des politiques faisait suite à une double polémique qui était née dans les journaux. Certains nous reprochaient de vouloir faire une sorte de monstre ingérable. D’autres, au contraire, fulminaient contre ce parti pris contemporain qui, selon eux, défigurait définitivement l’un des fleurons de l’architecture classique. Il ne faut pas oublier qu’en Autriche l’opinion publique est très conservatrice. Le moindre acte qui puisse remettre en cause la grandeur nationale du pays est considéré comme une grave offense. Mélanger l’architecture contemporaine et classique constitue ici une hérésie. Heureusement, le gouvernement n’a pas cédé. Il nous a simplement demandé de réviser nos projets et d’amoindrir la partie contemporaine. Il est vrai que la finalité de l’ensemble prenait une nouvelle orientation avec l’achat de la collection Leopold. C’est la plus grande collection d’œuvres d’Egon Schiele du monde et il détient une quantité de toiles majeures d’acteurs célèbres de la modernité autrichienne tels que Gustav Klimt, Oskar Kokoschka et Richard Gerstl ».

Des institutions de tailles très variées
Le Dr Wolfgang Waldner, actuel directeur du MuseumsQuartier, résume parfaitement l’état d’esprit qui guidait alors ce chantier : « Le MuseumsQuartier a pour but d’accueillir un certain nombre d’institutions de tailles très variées. Parmi les quatre principales, deux existaient déjà : le Museum Moderner Kunst Stiftung Ludwig (Mumok), qui était éclaté auparavant en deux entités distinctes, et la Kunsthalle de Vienne qui occupait des locaux trop petits pour ses activités. Le Leopold Museum était une création qui faisait suite, en 1994, à l’achat par l’Etat de l’extraordinaire collection de Rudolf Leopold consacrée à la Sécession viennoise. Enfin, nous allons également créer le Quartier 21, une série d’espaces ouverts à la jeune création ». De taille plus modeste, d’autres institutions et associations se partagent les dépendances et les ailes de ce complexe comme le Centre architectural (Architektur Zentrum), le Musée du Tabac (Tabakmuseum), l’Association autrichienne des galeries (Verband österreichischer Galerien moderner Kunst), les Archives de l’Art (basis wien), le Festival de Vienne et le bouillonnant Institut pour une nouvelle technologie culturelle (Institute for New Culture Technologie). Comme aiment à le déclarer certains responsables, le MuseumsQuartier se présente comme un véritable écosystème dédié à l’art et la création contemporaine. Il faut avouer que la place ne manque pas. 60 000 m2 de surface utilisable dont 53 000 réservés aux seules activités culturelles. Près de 28 000 m2 construits de toutes pièces, le tout pour un coût de 2 milliards de marks autrichiens et un public estimé à plus d’un million de visiteurs par an. Les équipements sont à la hauteur des espérances. Dès l’entrée, deux gigantesques cubes identiques encadrent un bâtiment baroque aux lignes sophistiquées servant d’écrin à la Kunsthalle. La première de ces constructions aux lignes minimales est le Leopold Museum. Sa blancheur forme un étrange contraste avec son frère jumeau (le Mumok) érigé de l’autre côté de la large place dans une pierre noire, mate, sans aucun reflet. « Le choix d’une pierre blanche pour le Leopold Museum répondait à notre volonté d’évoquer dans ce bâtiment les villas classiques qu’affectionnaient autrefois les riches collectionneurs. Même si cela ne semble pas forcément visible de l’extérieur, tous les attributs de la villa classique sont là : atrium, larges coursives qui desservent une série de salons aux vastes proportions. La conception de l’ensemble fut assez complexe tant le cahier des charges imposé par Rudolf Leopold était draconien ».

Le gigantesque alterne avec l’intime
Le résultat ? Un ensemble éblouissant de vastes espaces où le gigantesque alterne avec l’intime. Magnifiquement installées, les toiles et dessins suivent une lente progression jusqu’aux pièces du toit éclairées par de larges fenêtres. « En comparaison, le Mumok peut sembler plus austère avec sa pierre noire et ses espaces plus traditionnels. Dans cette construction, nous voulions au contraire réaliser un ensemble assez neutre, plus à même d’évoluer en fonction des acquisitions de la collection ».  Autour d’un escalier central qui scinde le bâtiment en deux, de grandes salles sans ouvertures se succèdent dans un vaste mouvement jouant sur les différences de niveau. Entre ces deux réalisations dépourvues de la moindre ornementation, on trouve un ancien manège pour chevaux qui accueille aujourd’hui, outre la Kunsthalle, un théâtre qui constitue sans doute l’une des plus belles réussites du MuseumsQuartier grâce à l’épure absolue de son dessin. A ses côtés, quelques salles pour les expositions temporaires. Au-dessus, un hall aveugle où se déroulent les plus importantes expositions. « Dans notre ancien site, nous avions un public très jeune qui nous a suivis ici, se souvient Sabine Folie, commissaire des expositions de la Kunst-halle. Nous devons aussi tenir compte des nouveaux publics qui désormais viennent voir nos expositions. Cependant, il est hors de question que nous abandonnions notre rôle de dénicheur de jeunes talents. Nous avons toujours été les premiers à accueillir certains artistes internationaux en Autriche. Aujourd’hui, nous sommes très attentifs à la scène électronique de Vienne qui s’affirme comme l’une des plus dynamiques d’Europe. Nous aidons aussi toute la jeune génération de réalisateurs autrichiens qui ne cessent de nous surprendre par des œuvres d’une incroyable pertinence ».  Face à ces trois entités, le Museums-Quartier vibre encore sous les marteaux piqueurs. Et même si la Kunsthalle a déjà ouvert en juin, si le Mumok et le Leopold Museum ont inauguré leurs espaces le 22 septembre avec un apparat depuis longtemps oublié à Vienne et si le TanzQuartier, espace pour la danse contemporaine
et la performance, s’est ouvert le 3 octobre, le MuseumsQuartier reste encore un vaste chantier. Les cours annexes sont en pleine restructuration, le bâtiment principal est la proie des plâtriers et des maçons. Impossible donc de se prononcer sur les autres institutions dont ce fameux Quartier 21, projet qui tient particulièrement à cœur à la direction. Face au gigantisme de l’ensemble, on est en droit de s’interroger sur son futur fonctionnement.

Contemporanéité et patrimoine
Comment concilier les missions aussi différentes que celle de la Kunsthalle, orientée vers la création la plus contemporaine, et les buts affichés du Leopold Museum avec sa collection très patrimoniale. Comme le rappelle le Dr Wolfgang Waldner, « les terrains et les bâtiments sont la propriété de l’Etat. Afin de gérer au mieux cet ensemble, une loi a été votée et une compagnie créée. Chaque musée, chaque institution loue donc l’espace qu’il occupe. Il est libre de faire ce que bon lui semble à l’intérieur de son territoire. Chaque contrat a été négocié individuellement. Par ailleurs, nous avions pour obligation de rembourser les investissements. Mon rôle consistait donc à trouver de nouvelles sources de revenus. C’est ce que j’ai en partie fait en instaurant quelques espaces commerciaux comme les restaurants, les librairies, les boutiques  à l’entrée du musée. Enfin, il y avait toutes ces petites institutions et associations installées là il y a quelques années et qui voulaient rester gratuitement. Nous avons fixé pour eux un loyer aussi bas que possible et créé un jury international afin de les sélectionner. Enfin, nous avons mis en place un nouveau concept, le Quartier 21. Il s’agit du rez-de-chaussée du palais confié à des commissaires indépendants afin de créer des événements artistiques. L’ensemble du Museums-Quartier ouvrira donc définitivement en juin 2002. Avec les musées, les galeries des environs, le MuseumsQuartier sera situé au cœur d’un petit espace qui concentrera près de 75 % des institutions culturelles de la ville ».

Une opération de marketing
En réponse à cet optimiste, les membres de l’Institute for New Culture Technologie répliquent : « Ce projet ne répond à aucune vision d’ensemble. Regardez toutes ces institutions qui n’ont pas grand-chose en commun : un Musée du Tabac, un musée contrôlé par un collectionneur despotique, un centre d’art contemporain, une association de galeries et au milieu des restaurants, des boutiques, des magasins. On se demande si nous ne sommes pas face à ce genre d’idée qui parfois germe dans l’esprit de grandes agences de communication qui ne connaissent rien à l’art et à ses enjeux. Nous sommes confrontés à une opération de marketing qui risque de s’effondrer. Mais ici personne n’ose émettre de critique. Les loyers sont bien trop élevés pour des institutions qui, sous la pression du gouvernement, se trouvent soudain prises au piège. La conséquence directe est qu’elles n’auront bientôt plus les moyens de respecter le programme d’exposition initialement prévu. Le sponsoring deviendra alors nécessaire avec toute sa cohorte d’horreur. Mais il est vrai que nous vivons dans un pays qui ne possède pas de véritable tradition démocratique. Ici, il ne fait pas bon refuser la bonne vieille tradition. Par exemple, notre association qui s’efforce d’aider les artistes à réaliser leurs projets technologiques est devenue ces derniers temps très critique envers la situation politique de ce pays. Depuis, toutes nos aides ont été supprimées ».
Que penser de ce MuseumsQuartier ? Indéniablement, l’ensemble est une véritable réussite architecturale. Certaines institutions font déjà preuve d’un dynamisme évident. Quant à savoir si une synergie va véritablement émerger, seule l’ouverture définitive de tous les espaces pourra le confirmer.

Depuis le début des années 70, André Morin se fait connaître dans le milieu de l’art contemporain comme photographe d’expositions. Il développe également un travail personnel autour de l’architecture et de son environnement. On peut voir actuellement une série de trois photographies monumentales accrochées aux murs du château des Adhémar à Montélimar. Il travaille également à l’illustration de livres d’art et d’architecture. Il prépare actuellement un livre sur l’urbanisme et l’environnement à partir d’un bâtiment des architectes suisses Herzog et de Meuron.

Déployé sur 45 000 m2 de terrain, le nouveau MuseumsQuartier abrite près d’une dizaine d’institutions culturelles. Parmi les plus importantes, il faut citer :
- Le Musée d’Art moderne-Fondation Ludwig de Vienne, baptisé Mumok et né du regroupement du Musée du XXe siècle, installé depuis 1962 dans le Jardin suisse et de la collection Ludwig, montrée depuis 1979 au Palais Lichtenstein. Il est organisé en cinq niveaux d’expositions, selon un parcours chronologique qui comprend toutes les périodes de l’art moderne et contemporain, de l’expressionnisme aux installations des années 90. Museum moderner Kunst Stiftung Ludwig Wien, Museumsplatz 1, A-1070 Vienne, tél. 00 43 1 317 69 00 ou www.MMKSLW.or.at Horaires : du mardi au dimanche de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 21h. Tarif : 6,5 euros.
Programmation actuelle : exposition inaugurale, 400 œuvres parmi lesquelles beaucoup de Tony Cragg, Bertrand Lavier, Gilbert & George, « La Collection », jusqu’au 17 mars.
- Le Leopold Museum a été édifié tout spécialement pour montrer de façon permanente la collection d’art moderne autrichien accumulée en 50 ans par Rudolf et Elisabeth Leopold : plus de 5 000 tableaux et œuvres graphiques d’artistes du XIXe et du XXe siècle tels que Klimt, Kokoschka, Kubin ou Gerstl et des objets décoratifs signés Koloman Moser, Adolf Loos, Dagobert Peche ou Otto Wagner. Surtout, la collection est célèbre pour son nombre exceptionnel d’œuvres de Egon Schiele, auquel le dernier étage du bâtiment est réservé. Leopold Museum, Museumsplatz 1, A-1070 Vienne, tél. 00 43 1 524 48 01 ou www.leopoldmuseum.org Horaires : lundi, mercredi, jeudi de 11h à 19h, vendredi de 11h à 21h, samedi et dimanche de 10h à 19h. Tarif : 9,08 euros. Programmation actuelle : « Egon Schiele, sélection d’aquarelles et dessins de la collection Leopold », jusqu’au 28 février.
- La Kunsthalle revendique le statut multiple d’atelier, de laboratoire et de forum pour le débat sur l’esthétique contemporaine. Dédié aux tendances « transborder », ce centre d’art contemporain accueille dans deux halls des installations et des performances, comme celle de Vanessa Beecroft qui a inauguré les lieux. Kunsthalle Wien, Museumsplatz 1, A-1070 Vienne, tél. 00 43 1 52189-1260 ou www.KUNSTHALLEwien.at Horaires : de 10h à 19h, le jeudi jusqu’à 22h. Tarif : 6,54 euros. Programmation actuelle : « Robert Adrian X », jusqu’au 10 février.
- Le Centre d’architecture se veut à la fois un centre d’études et d’archives pour l’architecture autrichienne du XXe siècle (à laquelle une exposition permanente est consacrée), et une plate-forme de réflexion sur les développements internationaux de l’architecture d’aujourd’hui. A noter, une bibliothèque de plus de 2 000 ouvrages et 80 journaux spécialisés, accessible au public, logée dans l’ancien manège impérial octogonal. Un forum de discussions se tient un mercredi sur deux. Architektur Zentrum Wien, Museumsplatz 1, A-1070 Vienne, tél. 00 43 1 522 3115 ou www.azw.at Horaires : tous les jours, de 10h à 19h, entrée libre. Programmation actuelle : « Architecture émergente 2 », jusqu’au 15 avril. « Qu’est-ce que l’architecture ? » jusqu’au 4 mars.
Le Museumsquartier comprend bien d’autres activités culturelles. Pour mémoire, on y trouvera une scène de la danse contemporaine, un Musée du tabac, un musée et un théâtre pour enfants, entre autres. Bon à savoir également, chacune des institutions décrites possède son propre café-restaurant, ouverts pour la majorité jusqu’à 2h du matin. Pour tout renseignement, consulter l’Office national autrichien du tourisme, 58, rue de Monceau, 75008 Paris, tél. 01 53 83 95 20 ou www.austria-tourisme.at

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°533 du 1 février 2002, avec le titre suivant : Vienne le pari de l’art contemporain

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