Bande dessinée

Les planches de Dune réalisées par Jean Giraud alias Moebius restituées à sa succession

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 6 novembre 2015 - 686 mots

PARIS [06.11.15] - Le TGI de Paris a ordonné, le 3 septembre 2015, la restitution des planches dessinées pour le projet de film jamais achevé d’Alejandro Jodorowsky, œuvres détenues jusqu’alors par la société de production.

En 2013, la Quinzaine des réalisateurs de Cannes présentait « Jodorowsky’s Dune », un documentaire relatant l’histoire du projet fou mené par le cinéaste franco-chilien visant à adapter le roman de science-fiction de Frank Herbert. Dévoilant pour la première fois au public les planches réalisées par Jean Giraud, également connu sous le nom de Moebius, le film est bloqué au dernier moment et la copie saisie par la police, autorisée par le tribunal de grande instance de Marseille à la demande de la dernière épouse de l’auteur.

La reproduction des planches, jamais divulguées, serait contrefaisante. Autorisé de son vivant par Jean Giraud à utiliser ses œuvres, le réalisateur du documentaire a pâti d’un conflit opposant depuis des années la société de production Camera One, à l’origine du projet de Jodorowsky suite à la production de La Montagne sacrée, et l’auteur, puis ses héritiers.

Appelé à créer les personnages, leurs costumes et les décors du film, Jean Giraud avait réalisé près de 250 planches sous la forme d’un story-board. Depuis l’abandon du projet en 1977, faute de financement suffisant, les planches étaient toujours détenues par Camera One. Or, Jean Giraud, puis sa dernière épouse, avaient régulièrement rappelé leur volonté de récupérer ces œuvres, simplement remises en dépôt et jamais cédées en l’absence de contrat en ce sens et de rémunération complémentaire.

Confortant cette analyse, le tribunal de grande instance de Paris vient d’ordonner leur restitution au profit de la succession de l’auteur, en retenant notamment que « la société Camera One n’avait pas vocation à devenir cessionnaire à titre gratuit des œuvres réalisées par Jean Giraud en vue d’une exploitation précise qui au demeurant a été abandonnée ». En effet, la qualité de dépositaire de la société ne lui permet pas de se fonder sur une prescription acquisitive pour revendiquer la propriété des planches, conformément aux dispositions de l’article 2266 du Code civil. De même, l’action en restitution initiée par les héritiers de l’auteur n’était pas prescrite, puisque le refus de restitution opposé par la Camera One datait seulement de 2012. Près de quarante ans après sa création, le story-board pourrait connaître une nouvelle vie.

Quant à l’atteinte au droit moral du fait de la divulgation non-autorisée des planches par le documentaire « Jorodowsky’s Dune », cette demande est rejetée par le tribunal. Le Code de la propriété intellectuelle distingue dans la transmission du droit moral la prérogative liée à la divulgation des autres prérogatives. Ainsi, à défaut de désignation d’un exécuteur testamentaire et sauf volonté contraire de l’auteur, le droit de divulgation est confié en premier lieu aux descendants. À cet égard, le tribunal retient que « en l’absence de volonté contraire exprimée par l’auteur, les titulaires du droit de divulgation sont ses quatre enfants ». Et tous les éléments fournis par la dernière épouse lors des débats permettent seulement de « confirmer le grand attachement de l’auteur à son épouse et le rôle important que celle-ci a pu jouer dans son inspiration et sa présence constructive à ses côtés », mais « ne révèlent à aucun moment une volonté clairement exprimée de désigner Isabelle Giraud comme titulaire du droit de divulgation de son œuvre ». Isabelle Giraud ayant seule formé une demande fondée sur l’atteinte au droit de divulgation, ses prétentions sont donc jugées irrecevables en l’absence de qualité à agir de sa part.

Le sort du documentaire, également produit par Camera One, demeure toujours en suspens. Les ayants droit de Jean Giraud prévoient d’engager une procédure distincte afin d’obtenir réparation du préjudice résultant de l’atteinte au droit patrimonial suite à l’exploitation considérée comme contrefaisante des planches.

Le projet abandonné qui devait convoquer la participation d’Orson Welles, de Salvador Dali, de H. R. Giger avec la musique des Pink Floyd, donna naissance à la collaboration entre Jodorowsky et Moebius pour la création de la bande dessinée Lincal, marqueur fondamental pour des générations qui inspira de très nombreuses grandes productions cinématographiques.

Légende photo

Jean Giraud au festival international de la BD à Łódź, le 4 octobre 2008 © Photo Jaron11 - 2008 - Licence CC BY-SA 3.0

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