11e jour de grève des salariés du Mont-Saint-Michel, les raisons du conflit

Par Sarah Barry · lejournaldesarts.fr

Le 13 juin 2013 - 1040 mots

MONT-SAINT-MICHEL [13.06.13] – Le conflit entre les salariés du Mont-Saint-Michel, les élus locaux, le syndicat mixte de la baie et la société de transport Transdev (ex Veolia) ne semble pas sur le point de se résoudre. Les personnels de l’abbaye entament ce jeudi 13 juin 2013 leur 11e jour de grève reconductible, dans une bataille où les enjeux économiques semblent prendre le pas sur la dimension patrimoniale.

Depuis le lundi 3 juin 2013, les salariés de l’abbaye du Mont-Saint-Michel sont en grève pour protester contre une dégradation de leurs conditions de travail. Cortèges, banderoles déployées sur le monument, maintien de la gratuité de l’abbaye constituent le quotidien des manifestants. Sont avant tout mises en cause les modalités de transport entre le parking principal et le Mont, les changements mis en place récemment ne convenant pas aux travailleurs du monument.

Le prix du parking a en effet augmenté de 41% et les navettes dites « La Montoise », qui transportaient les utilisateurs quotidiens jusqu’au pied du rocher depuis un peu plus d’un an, ont été supprimées. Ceux-ci doivent désormais utiliser le service commun mis en place par la société Transdev (ex Veolia, désignée comme délégataire pour l’organisation de l’acheminement vers le monument), qui dépose les voyageurs à 400 mètres du Mont.

Dans un entretien au Journal des Arts, Laurent Beauvais, président de la région Basse-Normandie et du syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel, qui est le maître d’ouvrage du retour au caractère maritime du site, a expliqué que ces nouvelles mesures sont la conséquence du déplacement du point de départ des navettes à proximité immédiate du parking, alors qu’il se trouvait auparavant à 900 mètres, ce qui représentait pour les touristes une marche totale de près de 1,3 km. Le service « La Montoise » avait été mis en place lorsque les parkings du pied du rocher avaient été supprimés, afin d’éviter aux utilisateurs quotidiens de trop marcher. Le problème des 900 mètres entre le parking et le départ des navettes étant réglé, ce service, très coûteux, a été supprimé, comme annoncé à maintes reprises.

Transdev, par la voix de son porte-parole explique par ailleurs l’augmentation du prix du parking par le déplacement du point de départ, un « service supplémentaire » qui « a généré de nouveaux investissements ». Transdev se défend par ailleurs de « ne pouvoir être totalement opérationnel, tant que tous les travaux ne seront pas achevés ».

Dans l’univers particulier du Mont-Saint-Michel, la dimension patrimoniale et environnementale semble parfois s’effacer devant les enjeux économiques et politiques. L’emplacement du départ des navettes avait déjà fait l’objet d’une large polémique, qui avait abouti à la condamnation du maire du Mont, Éric Vannier, pour « prise illégale d’intérêt ». Aujourd’hui, c’est tout le projet de désensablement de la baie – projet destiné à rendre au site son caractère maritime dans une démarche patrimoniale et environnementale -, qui est remis en question par certains groupes; ces derniers regrettant de ne plus pouvoir accéder au Mont par leurs propres moyens, et craignant une baisse de la fréquentation touristique.

Arrêté dans ses grandes lignes par le gouvernement de Dominique de Villepin en 2006, le projet, qui représente un investissement de 210 millions d’euros, est confié au secteur privé. « Je vis avec douleur les conséquences de ces décisions prises en 2006 », commente Laurent Beauvais, qui rappelle que « l’État ne fait pas partie du syndicat mixte », problème que le récent rapport de la Cour des Comptes aurait relevé ; « le projet suppose un environnement réglementaire gigantesque, qui n’est pas maîtrisé de façon collective ».

Le président du syndicat mixte de la baie dénonce également « une double erreur de la part de Transdev, qui a raté son service en avril 2012 (les capacités de transport des navettes étaient insuffisantes) et qui n’a pas pu lancer les maringotes (ces navettes hippomobiles ayant rencontré divers problèmes techniques) ». Mais aux contestataires des nouvelles dispositions, il demande une période d’essai : « les conclusions doivent être tirées sur la base d’expériences, et non d’a priori. Regardons comment Transdev propose de gérer la période à forte affluence qui arrive ». Et d’ajouter : « personne n’est en mesure aujourd’hui de subventionner le fonctionnement d’un service de transport public, s’ils veulent mettre Transdev dehors, il faut me donner 40 millions d’euros pour les rembourser ».

Une passerelle, dont la construction doit prendre fin en 2014, permettra de réduire d’environ 100 m la distance entre l’arrivée des navettes et le rocher. Manifestement oubliée de tous, une réglementation mise en place en amont devait interdire tout stationnement et passage de véhicule à moins de 300 mètres du Mont, livraisons et interventions de sécurité mises à part. Selon Laurent Beauvais, des réunions publiques destinées aux salariés et habitants de la région avaient été tenues au moment de la prise de décision ; il regrette qu’aujourd’hui certains découvrent ou fassent semblant de découvrir ces mesures environnementales qui, de toute façon, devaient exclure la circulation de navettes jusqu’au pied du Mont.

Les grévistes quant à eux ont fait valoir leurs revendications sur le site internet de la CGT culture, et lors d’une conférence de presse au matin du 13 juin 2013. Le maintien des nouvelles mesures pourrait les conduire à réclamer une prime de pénibilité. Le Syndicat national des monuments historiques (CGT) a par ailleurs dénoncé dans un communiqué de presse les « méthodes antidémocratiques » employées par Transdev lors des récentes manifestations ; la société aurait dépêché des huissiers afin d’identifier les grévistes et de déposer une plainte. Cinq agents de l’abbaye seraient convoqués le 13 juin en comparution immédiate au Tribunal de Coutances.

La tenue d’une table ronde avec les différents acteurs du site a enfin été demandée par les manifestants, ce à quoi Laurent Beauvais répond favorablement : « J’ai écrit au maire ce matin (12 juin 2013), je suis prêt à faire un groupe de travail, Philippe Bélaval également, mais il faut qu’il y ait Transdev ».

Quant au président du Centre des monuments nationaux, il se garde désormais de tout commentaire ; il serait cependant « en train, avec toutes les autorités concernées, d’essayer de trouver une mesure équitable qui convienne à tout le monde », comme l’a indiqué un porte-parole du CMN.

Légende photo

Vue du Mont-Saint-Michel- © Photo Giuseppe CITINO - 2011 - Licence CC BY 2.0

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque