Entreprise

Une fixation sur l’art

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2006 - 766 mots

La filiale française du groupe allemand Würth ouvrira en 2007 en Alsace un lieu dédié à sa collection d’art du XXe siècle.

 ERSTEIN - La rencontre de l’art et de l’entreprise relève d’une équation souvent plus forcée que naturelle. Elle s’est pourtant solidement ancrée dans la philosophie du groupe allemand Würth, champion international dans la vente de matériel de fixation. Après l’ouverture d’un musée dans la maison mère de Künzelsau (Bade-Wurtemberg) en 1991, puis, dix ans plus tard, d’une Kunsthalle, le siège alsacien d’Erstein (Bas-Rhin) bénéficiera en 2007 d’un musée conçu par les architectes Jacques et Clément Vergély.
Pour Würth, l’art participe d’une logique de communication interne, mieux, de liant social. L’approche s’apparente davantage à celle d’une PME qu’à celle d’une multinationale au chiffre d’affaires de 7 milliards d’euros ! « Plus l’esthétique et l’art se rencontrent dans l’entreprise, plus les collaborateurs
s’identifient à elle et peuvent être performants », a indiqué Pierre Hugel, président du directoire de Würth France, lors de la conférence de presse de présentation du nouveau musée le 11 mai. Le président de la communauté urbaine de Strasbourg, Robert Grossmann, a renchéri en parlant d’« évasion intérieure salutaire pour une vie de labeur ». L’action de Würth est bien plus louable que les propos paternalistico-lyriques qui viennent malencontreusement s’y greffer !

Budget d’acquisition
Amorcée dans les années 1960 par le propriétaire du groupe, Reinhold Würth, la collection compte près de neuf mille œuvres de qualité inégale, articulées autour de l’expressionnisme allemand, du surréalisme et de l’Art concret. Pour l’après-guerre, l’accent se porte sur la figuration des années 1960-1980, avec la troïka allemande Baselitz-Immendorf-Lüpertz. La sculpture britannique y a aussi trouvé ses aises avec The last Judgement d’Anthony Caro, installation en vingt-cinq parties visible en 1999 à la Biennale de Venise. Voilà trois ans, Reinhold Würth s’est de plus aventuré sur les terres inédites de l’art ancien. Il a acheté en bloc au prince Heinrich de Fürstenberg un ensemble de peintures allemandes et suisses du XVIe siècle.
Le collectionneur jouit aussi d’une proximité avec quelques artistes comme Christo et sa femme, Jeanne-Claude, lesquels avaient empaqueté ses quartiers généraux en 1995. L’homme est en revanche peu porté sur l’art du XXIe siècle et sur les nouveaux médias. Le budget d’acquisition, lié aux recettes de l’entreprise, reste confidentiel. Même si Reinhold Würth garde toujours le dernier mot dans les achats, la mise en place récente d’un  comité artistique, composé notamment de l’historien de l’art et ancien directeur du Musée national d’art moderne Werner Spies et du directeur des Musées de Strasbourg, Fabrice Hergott, permettra d’éviter certains faux pas. Le mécénat de Reinhold Würth a enfin trouvé d’autres prolongements. L’an dernier, celui-ci a déboursé 2,5 millions d’euros pour la restauration de la chapelle palatine du Palais des Normands, à Palerme (Italie), où se tient actuellement une exposition de sa collection. Il a aussi offert 100 000 euros à la Ville de Strasbourg pour lui permettre de conserver un Canaletto (lire le JdA no 199, 25 juin 2004).

Route artistique
Le projet architectural de son nouveau musée français, dont le coût de construction est évalué à 6 millions d’euros, a connu quatre modifications en trois ans. Le premier programme portait sur un pavillon de 1 000 m2 dans le parc adjacent. Dans la deuxième mouture, l’agrandissement du pavillon ne permettant plus une implantation dans le parc, le projet fut déplacé en lisière. Finalement, il fut décidé de rapprocher le musée, d’une superficie de 3 000 m2, du siège social. Une proximité renforcée par une ouverture du musée et du siège sur un parvis commun. Inauguré sans doute à l’été ou à l’automne 2007, le bâtiment en béton et en verre n’a rien d’une démonstration architecturale. Ordonnés autour de deux nefs latérales et d’un bloc central destiné à accueillir une salle de spectacle, les volumes se veulent simples et discrets. Pour l’heure, la programmation du site, plus proche en fait d’une Kunsthalle que d’un musée, n’est pas définie. Le rythme pourrait être de deux expositions thématiques ou monographiques annuelles.
Après la Fondation Beyeler, à Riehen, près de Bâle, le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg et la Fondation Frieder Burda, à Baden-Baden, le Musée Würth d’Erstein vient renforcer une route artistique dessinée via l’Alsace. La directrice du nouveau site, Viktoria von der Brüggen, espère d’ailleurs engager une vraie collaboration avec les différents lieux. Certaines œuvres entretiennent déjà involontairement une complicité. Par le plus grand des hasards, l’immense cheval en terre cuite de Mimmo Paladino, à l’entrée du siège social de Würth France, renvoie en écho à un autre équidé en bronze de l’artiste au Musée de Strasbourg !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°238 du 26 mai 2006, avec le titre suivant : Une fixation sur l’art

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