Allemagne

Une année faste pour les musées de Berlin

Le Journal des Arts

Le 4 mars 2005 - 1362 mots

Fondation Helmut Newton, Musées de la photographie, de la préhistoire, Cabinet des monnaies : Berlin a engagé une politique sans précédent en faveur de ses institutions muséales.

« So schnell schiessen die Preussen nicht » (« Les Prussiens ne sont pas si rapides à la détente ») prévient un vieux dicton, derrière lequel les Berlinois aiment se retrancher lorsqu’on les presse d’agir un peu trop vite. Et pourtant, en 2004, les Musées nationaux de Berlin ont accompli un véritable exploit, qui rend obsolète le fameux dicton. Pour ce faire, la Fondation du patrimoine prussien (la Stiftung Preussischer Kulturbesitz, dont dépendent les collections nationales) s’est assuré l’aide de fondations et de collections privées. Les plus belles réussites de l’année, à savoir l’exposition des chefs-d’œuvre du MoMA à la Neue Nationalgalerie, financée par l’Association des amis de la Nationalgalerie et qui a dépassé le million de visiteurs, ou encore la présentation très controversée de la collection d’art contemporain de Friedrich Christian Flick à la Hamburger Bahnhof, illustrent bien l’opportunisme de la Fondation.

La collection Flick, la Fondation Helmut Newton et le Musée de la photographie
Outre la collection Flick, qui, depuis septembre dernier et pendant les sept années à venir, est exposée par rotation dans un lieu spécialement conçu pour elle à côté du Musée de la Hamburger Bahnhof, la Fondation du patrimoine prussien a consacré deux nouveaux lieux à l’art contemporain, et en particulier à la photo : la Fondation Helmut Newton (privée) et le Musée de la photographie. Ce dernier, actuellement encore en gestation, ouvrira l’été prochain avec une série d’expositions personnelles d’artistes contemporains. Ces deux institutions sont réunies dans le Landwehrkasino, un bâtiment très sobre du début du XXe siècle, qui se dresse non loin de la gare du Zoo. Construit à l’origine pour accueillir un cercle d’officiers prussiens, mais plus connu des historiens de l’art pour avoir abrité de 1954 à 1993 la Bibliothèque des beaux-arts (désormais logée au Kulturforum), ce bâtiment a fait l’objet d’une élégante restauration sur les deux premiers niveaux destinés à la Fondation Helmut Newton, qui a financé les travaux. Ce musée, souhaité par l’artiste en hommage à sa ville natale et créé en accord avec la Fondation du patrimoine prussien, présente depuis juin 2004 deux expositions qui lui sont consacrées : « Us and Them » et « Sex and Landscapes ». Devant l’énorme succès public de ce lieu, une autre exposition s’est ouverte en novembre 2004, « Private Property », rassemblant des objets personnels de Newton, hommage de son épouse June. Passer de l’ambiance glacée de cette fondation aux salles tristement dépouillées du Musée de la photographie, logé à l’étage supérieur non encore restauré, est une expérience à la fois déconcertante et stimulante, en particulier dans l’ancienne Kaisersaal, vaste espace dont les murs de pierre ont été mis à nu et qui se prête particulièrement bien à des installations vidéo.
 
Le château de Köpenick et le Cabinet des monnaies
L’un des événements muséographiques les plus importants de l’année 2004 aura sans conteste été l’ouverture en mai d’une annexe du Musée des arts décoratifs (le Kunstgewerbemuseum, dont le siège principal se situe au Kulturforum) dans le château de Köpenick, splendide palais baroque situé à l’est de la ville. Construit à grands frais entre 1677 et 1690, mais assez vite négligé par les Hohenzollern, le château abrita les collections d’arts décoratifs de Berlin-Est jusqu’à la réunification. Lorsque les collections nationales des deux secteurs furent réunies au début des années 1990, le château de Köpenick fut consacré aux collections de décoration intérieure (« Raumkunst ») de la Renaissance ainsi que des époques baroque et rococo. La restructuration de ce musée a été précédée de travaux de restauration, qui ont duré dix ans et qui ont permis une mise à niveau technique, surtout dans le domaine de la conservation des stucs, dont il possède une des collections les plus riches d’Allemagne. La réouverture en octobre 2004 du Cabinet des monnaies (le Münzkabinett) dans le Bode Museum a également nécessité d’importants travaux de restauration. En particulier la remise en service, avec amélioration des conditions de conservation et de sécurité, d’un équipement qui, lors de l’inauguration du musée un siècle plus tôt jour pour jour (le 18 octobre 1904), était absolument révolutionnaire : il s’agit d’un coffre-fort long de 60 mètres, encastré dans le mur et équipé de quelque dix mille petits tiroirs contenant les monnaies. Avec ses cinq cent mille pièces originales et presque autant de moulages, ce cabinet présente l’une des plus vastes collections de ce genre. Pour l’heure, il est davantage envisagé comme un centre d’archives et de recherche que comme un musée : il faudra attendre 2006, date de la fin des travaux de restauration et de rénovation de la totalité du Bode Museum, pour qu’une partie des collections soit ouverte au public.

Le Musée de la préhistoire
Enfin, deux autres collections berlinoises ont bénéficié d’une cure de jouvence en 2004. Le Musée de la préhistoire et de la protohistoire (le Museum für Vor-und Frühgeschichte), dont les collections couvrent l’histoire de l’humanité de l’Europe à l’Asie depuis l’âge de pierre jusqu’au bas Moyen Âge, est pour l’instant installé dans l’aile ouest du château de Charlottenburg, mais il devrait être transféré dans l’Île des musées (le Museumsinsel) dès l’achèvement de la restauration du Neues Museum. Toutefois, malgré le caractère provisoire de son installation, le musée s’est livré à un total renouvellement muséographique, abandonnant le pesant didactisme d’hier (vitrines avec fonds peints, interminables explications…) pour une présentation beaucoup plus sobre et élégante et prévoyant des espaces adaptés aux différents types d’exposition, y compris multimédia.

Le musée d’ethnographie et la Berlinische Galerie
Quant au Musée d’ethnographie, il fait l’objet d’une rénovation analogue depuis 2001 dans le Musée de Dahlem, où il côtoie les collections extraeuropéennes depuis les années 1960. Toutefois, la Fondation du patrimoine prussien a décidé qu’il serait transféré dans le château des Hohenzollern qui doit être reconstruit en face de l’Île des musées. En attendant, malgré la précarité de sa situation et le manque de moyens, ce musée a pu inaugurer cette année un nouveau mode de présentation des civilisations des mers du Sud, où les pièces exposées sont désormais sélectionnées avec plus de rigueur et regroupées par thèmes (par exemple, les statuettes uli de Nouvelle-Irlande, en Papouasie-Nouvelle-Guinée). Est aussi présenté un ensemble de pièces assez important, que l’on croyait perdu pendant la Seconde Guerre mondiale, et qui a refait surface en 1991 dans un musée de Leipzig. Ce dernier a avoué conserver cette part du butin de guerre russe depuis 1977.
La huitième et dernière inauguration célébrée à Berlin en 2004 concerne un musée régional : en effet, à la fin octobre a été inaugurée la Berlinische Galerie, non loin de la Alte Jakobstrasse, dans le quartier de Kreuzberg, à quelques pas du Musée juif construit par Daniel Libeskind. Fondée en 1975 et longtemps installée dans le Martin-Gropius-Bau, la Berlinische Galerie possède une très riche collection composite, de caractère à la fois local et international : œuvres d’art, photos, pièces d’architecture et d’arts graphiques réalisées par des artistes du monde entier au cours des cent vingt dernières années. La Berlinische Galerie a emménagé dans un vaste entrepôt des années 1960, restructuré avec intelligence malgré le manque de moyens. Il offre un ensemble d’espaces non seulement fonctionnels mais aussi très agréables, retravaillés par l’architecte-artiste Fritz Balthaus (pour l’entrée) et l’agence Kühn-Malvezzi (pour l’esplanade devant le musée).

- Helmut Newton Stiftung et Museum für Fotografie, Jebensstrasse 2, Berlin, tél. 49 30 2090 5566, tlj sauf lundi, 10h-18h, 10h-22h le jeudi. - Kunstgewerbemuseum (château de Köpenick), Tiergartenstrasse 6, Berlin, tél. 49 30 266 2902, tlj sauf lundi 10h-18h - Münzkabinett, Bode museum, Bodestrasse 1-3, Berlin, tél. 49 30 2090 5701, du mardi au vendredi 10h-16h30 - Museum für Vor-und Frühgeschichte, Schloss Charlottenburg, Langhansbau, Berlin, tél. 49 30 3267 4840, tlj sauf lundi 9h-17h, 10h-17h le samedi et le dimanche. - Ethnologisches Museum, Arnimallee 27, Berlin, tél. 49 30 8301 438, tlj sauf lundi, 10h-18h, 11h-18h le samedi et le dimanche L’adresse Internet pour tous ces musées : www.smb.spk-berlin.de - Berlinische Galerie, Landesmuseum für Moderne Kunst, Fotografie und Architektur, Alte Jakobstrasse 124–128, Berlin, tél. 49 30 789 02600, tlj 12h-20h, 10h-18h le dimanche, www.berlinischegalerie.de

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°210 du 4 mars 2005, avec le titre suivant : Une année faste pour les musées de Berlin

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